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Le député écologiste de Paris Julien Bayou le 23 août 2023

LOU BENOIST / AFP

"Deux clans, deux visions de la politique": l'affaire Bayou continue de diviser les Écologistes, malgré le classement sans suite

Une semaine après le classement de la plainte de l'ex-compagne de Julien Bayou, le mouvement hésite sur la façon de clore ce douloureux épisode. Certains appellent à ce que "la vie privée reste privée". D'autres jugent que "le comportement de Bayou est en décalage" avec les valeurs féministes du mouvement qu'il dirigeait.

Un classement sans suite loin de tout résoudre pour les Verts. Presque une semaine après la décision de la justice de mettre fin à la procédure judiciaire pour harcèlement moral et abus de faiblesse contre Julien Bayou, l'ex-patron des Écologistes, le parti peine à tourner la page.

"Est-ce qu'on s'excuse quand on a brisé une carrière, sans décision de justice derrière? Est-ce qu'on se dit que le comportement de Bayou est en décalage avec nos valeurs? C'est insoluble", soupire une députée du parti auprès de BFMTV.com.

Pas d'excuses

Une lettre ouverte signée par plusieurs centaines de militants du mouvement réclame "la réparation de l'injustice" faite à Julien Bayou et espère des "excuses" de la part de la direction. Quant au dernier bureau exécutif, qui a eu lieu le lendemain du classement de l'affaire, il a tourné au vinaigre, opposant d'un côté ceux qui demandaient à faire amende honorable et de l'autre les tenants d'une position sans contrition.

Prévue pour durer environ 1h30, cette réunion autour des cadres du parti s'est éternisée pour finalement accoucher d'un communiqué de presse ménageant la chèvre et la chou. Si aucune excuse n'y est formulée, le texte reconnaît "des souffrances" et des "conséquences négatives" sur la vie de l'ancien écologiste. Lui a affirmé de son côté dans une conférence de presse "avoir tout perdu".

"On a une plainte de Bayou contre X pour diffamation, on ne devait pas lui donner du grain à moudre avec notre communiqué", sous-titre un participant.

Résultat: l'une des membres de la direction Hélène Hardy a claqué la porte. "Nous sommes dans l'incapacité de reconnaître nos erreurs, d'exprimer nos regrets, autres que minimalistes, et de reconnaître l'innocence de Julien Bayou", a-t-elle expliqué. Même topo pour la sénatrice Ghislaine Senée qui a quitté le parti dans la foulée, regrettant l'absence "d'excuses claires".

Marine Tondelier, qui a succédé au trentenaire à la tête du parti, n'a pas bougé de cette ligne "en même temps". Mardi sur France info, elle a indiqué être à la fois "sincèrement désolée" pour l'ancien député tout en évoquant "la souffrance" de son ex-compagne Anaïs Leleux.

"Nous n'avons jamais mis en cause Bayou", assure le député européen David Cormand. "Notre parti n'a fait qu'investiguer. Nous n'avons pas si mal fait que ça notre travail. Nous sommes arrivés aux mêmes conclusions que la justice."

Un appel à témoignages auprès de 12.000 personnes

Après le signalement d'Anaïs Leleux à l'été 2022, la jeune femme n'avait pas souhaité être entendue par la cellule interne du mouvement et aucune plainte n'avait été déposée à ce moment-là.

En mars 2024, elle avait finalement déposé deux plaintes, l'une contre Julien Bayou, l'autre contre le parti. Dans un long entretien au média Les jours, elle expliquait avoir subi "des violences psychologiques" de sa part. Elle l'accusait également d'abus de faiblesse.

Alors qu'elle était "suicidaire" et" et en "stress post-traumatique", elle affirmait avoir signé à sa demande "plein de papiers" comme "une convention de séparation, un protocole d'accord, un acte de vente" de la maison achetée avec lui. "Il s'est acharné sur moi alors que j'étais au bout du rouleau", jugeait-elle encore.

Julien Bayou avait dénoncé de son côté par la voix de son avocate "un véritable harcèlement constitué de rumeurs, de menaces et d'accusations infondées et mensongères".

Le contexte avait poussé Marine Tondelier, élue dirigeante des Écologistes en décembre 2022, à confier à un cabinet spécialisé une enquête interne sur ces accusations. Un appel à témoignages lancé aux adhérents et ex-adhérents avait été lancé, soit en tout 12.000 personnes.

Le député Julien Bayou assiste au lancement du mouvement Les Écologistes, à Pantin (Seine-Saint-Denis), le 14 octobre 2023.
Le député Julien Bayou assiste au lancement du mouvement Les Écologistes, à Pantin (Seine-Saint-Denis), le 14 octobre 2023. © Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

"On a envie de passer à autre chose"

Dans la foulée, Julien Bayou avait claqué la porte du mouvement et du groupe parlementaire, dénonçant un "acharnement déloyal et scandaleux". "C'est lui-même qui est parti, qui a démissionné. Personne ne lui a jamais demandé de quitter le mouvement quand même", relativise aujourd'hui Aminata Niakaté, porte-parole des Écologistes.

Des militants et des élus avaient cependant bien appelé à son départ. En juin dernier, le quadragénaire semblait cependant encore croire possible de continuer. Le député de Paris avait décidé de se représenter pour les législatives mais avait vu un candidat investi par son ex-parti au titre de l'union de la gauche se mettre en travers de sa route. Il avait finalement retiré sa candidature, sans que grand-monde ne s'en émeuve dans son ancienne famille politique.

Preuve que le sujet reste très sensible, rares sont celles et ceux au sein du mouvement à accepter de parler ouvertement, à quelques semaines du congrès d'avril qui devrait voir Marine Tondelier rester la patronne. "On voit tous que c'est très dur pour Bayou. Je pense qu'humainement, il doit ramer mais on a envie de passer à autre chose et de ne pas remettre une pièce dans la machine", relate un député écologiste pour justifier son embarras.

"C'est grave d'être lâche quand la justice a fait son travail", tance l'un de ses collègues, resté proche de Julien Bayou. "On n'a rien eu à lui reprocher sur son activité publique. La vie privée reste privée. Si on cherche, je suis sûr qu'on peut tous nous reprocher des choses."

"C'est kafkaïen"

D'autres en interne jugent pourtant que le classement sans suite de cette affaire ne change rien. "La question pour nous n'a jamais été 'est-ce que Julien est innocent?'. De par la loi, il est présumé innocent. La question, c'est qu'est qu'on fait des accusations de violences psychologiques?", avance la députée Sandra Regol, longtemps proche de Julien Bayou.

"Honnêtement, la justice condamne rarement les violences faites aux femmes", explique encore celle qui a partagé un poste de porte-parole du parti avec lui.

"On tourne en rond. La justice, certes ne condamne pas, mais en attendant, c'est à elle de dire qui est coupable ou non. Même blanchi, on continue de l'accuser. C'est kafkaïen franchement", juge un sénateur écologiste.

"Remettre en cause le patriarcat, ça crée toujours de l'inconfort et c'est aussi notre travail en tant qu'élus d'avancer là-dessus", lui répond le député européen David Cormand.

Il faut dire que la question du féminisme fait partie de l'ADN des Écologistes. "Nous agissons pour faire du mouvement de l'écologie politique un mouvement féministe dans son projet politique comme dans ses pratiques depuis sa création", peut-on lire sur le site du parti.

"Son comportement avec les femmes est celui d'un mufle, vraiment immature, pas très digne", estime un député. "Ce n'est pas interdit par le Code pénal jusqu'à preuve du contraire. Mais on ne peut pas laisser passer ça chez nous."

"Deux clans, deux visions de la politique"

La ligne est partagée par Sandrine Rousseau qui avait évoqué sur France 5, quelques semaines après le signalement de l'ex-compagne de Julien Bayou, des "comportements" de son collègue qui "de nature à briser la santé morale des femmes".

Les députés écologistes Sandrine Rousseau et Julien Bayou à l'Assemblée nationale, le 20 octobre 2022.
Les députés écologistes Sandrine Rousseau et Julien Bayou à l'Assemblée nationale, le 20 octobre 2022. © Alain JOCARD / AFP

Les faits dont était accusé le quadragénaire "n’ont pas besoin de qualification judiciaire pour être appréhendés politiquement", avance désormais l'écoféministe dans une longue mise au point sur Bluesky. "Ils sont en contradiction avec nos valeurs féministes".

"C’est précisément sur ces sujets-là que nous attendons notre parti, et non sur des réactions uniquement calquées sur l’activité policière et judiciaire", juge encore Sandrine Rousseau ce lundi.

Réponse de Julien Bayou sur France inter deux jours plus tard: "Quand la réalité la contredit, c'est la réalité qui a tort".

Si les deux écologistes entretenaient depuis des années une relation sous très haute tension, bien avant les accusations de l'ex-compagne de l'ancien patron des Verts, leurs échanges ont l'avantage de résumer les divisions au sein du parti.

"Même si c'est sûrement un peu caricatural, tout ça nourrit deux clans, deux visions de la politique avec d'un côté 'priorité absolue à la parole des femmes', peu importe les conséquences derrière et de l'autre ceux qui s'interrogent sur la réhabilitation quand rien ne tombe sous le coup de la justice", regrette un sénateur écologiste.

"Je rappelle quand même que la procédure qu'on a mis en place avait été décidé sous Julien Bayou lui-même. Je doute que si cela ne l'avait pas concerné lui-même, ça l'aurait dérangé", tance de son côté la porte-parole du mouvement Aminata Niakaté.

Marine Tondelier a déjà promis qu'elle tirerait "des enseignements" de cette affaire. Son lieutenant David Cormand a déjà une piste, directement inspirée des pratiques du groupe écologistes au Parlement européen. Il est demandé aux eurodéputés de signaler à la direction du groupe toute relation avec un collaborateur ou un collègue.

L'affaire n'est peut-être pas encore terminée et pourrait à nouveau exacerber les tensions au sein des Écologistes. L'ex-compagne de Julien Bayou attend désormais de recevoir le dossier judiciaire pour envisager de déposer une nouvelle plainte avec constitution de partie civile.

Marie-Pierre Bourgeois