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Comment expliquer la montée électorale du Rassemblement national dans les Outre-mer?

Marine Le Pen à Mayotte en 2016.

Marine Le Pen à Mayotte en 2016. - DAVID LEMOR / AFP

A la présidentielle, aux européennes, Marine Le Pen et le Rassemblement national ont décroché des scores très élevés dans les territoires ultramarins. Une politologue spécialiste de l'Outre-mer nous explique les facteurs dirigeant cette tendance nouvelle.

"Vous avez vu les chiffres du Rassemblement national ici. Vous avez vu les difficultés économiques, l'habitat insalubre. Cela a une résultante", a lâché Emmanuel Macron mardi lors de son déplacement à Mayotte où il a mis l'accent sur sa volonté de juguler l'immigration clandestine. Le président de la République poursuit sa tournée dans l'Océan indien ce mercredi en se rendant à la Réunion. 

A deux ans et demi de la prochaine présidentielle, l'enjeu politique est majeur. Depuis 2017, Marine Le Pen et le Rassemblement national façonnent leur influence dans différentes contrées de l'Outre-Mer. Une influence mais pas encore de fiefs: sur ce point, le mouvement mise sur les municipales de mars prochain. 

Crescendo 

Ils ont de quoi nourrir quelques espérances. En 2017, la candidate frontiste trouve une audience électorale impressionnante. Si les résultats définitifs du premier tour enregistrés par le ministère de l'Intérieur montrent des difficultés persistantes dans les Antilles (avec seulement 13,51% de suffrages exprimés en sa faveur en Martinique, et 10,94% en Guadeloupe), ou à Wallis-et-Futuna (elle n'y a décroché que 7,11% des voix valides), Marine Le Pen s'est installée à la deuxième position ailleurs, avec des scores très élevés: 32,54% en Polynésie française, 29,09% en Nouvelle Calédonie, à 27,19% à Mayotte, 24,30% en Guyane, 23,46% à la Réunion ou encore 23,32% dans le secteur de Saint Martin/ Saint Barthélémy. 

Et la tendance va crescendo. Aux européennes, le rassemblement national a pris la première place dans huit DOM-TOM sur onze, posant même son leadership dans toutes les communes de la Réunion. Christiane Rafidinarivo, politologue, spécialiste de l'Outre-Mer, chercheure invitée au Centre de recherches politiques (CEVIPOF) pour lequel elle a rédigé des notes consacrées à cette question, est revenue auprès de BFMTV.com sur la spécificité de la situation réunionnaise. "Il y a eu une érosion du Parti communiste réunionnais et érosion, c'est peu dire", tout en ajoutant que cette "culture de gauche reste forte". Jean-Luc Mélenchon s'est d'ailleurs imposé au premier tour mais de peu devant la figure de l'extrême-droite. 

La question de la pauvreté 

Expliquer la montée en puissance de cette dernière famille politique dans les territoires ultramarins, qu'on préfère parfois désigner par le pluriel plutôt que par le singulier "Outre-Mer", dispersés sur tous les continents, dans tous les océans, confrontés à des problématiques très diverses, est une gageure. Christiane Rafidinarivo dégage tout de même quelques points communs, si ancrés dans le temps qu'ils ressemblent à des invariants: "Le point commun, c'est l'insatisfaction des électeurs en matière de pauvreté, de chômage, de pouvoir d'achat. Et ça dure depuis tellement longtemps que cette problématique est presque une donnée structurelle!"

Elle poursuit sur le chapitre de Mayotte: "L'autre fondement de l'insatisfaction, c'est la sécurité des personnes et des biens mais aussi le sentiment d'inquiétude par rapport à des risques sur l'avenir des générations à venir." L'universitaire développe: "Ce sont des cultures où la question générationnelle est très forte et je ne parle pas uniquement d'une culture ancestrale mais aussi en raison de la situation de grande pauvreté". 

Un discours qui sait se faire entendre 

A 11.000 kilomètres de distance, Mayotte l'insulaire et la continentale Guyane partagent une autre préoccupation: l'immigration clandestine. Cependant, la politologue nuance: "En Guyane, la frontière est poreuse aux va-et-vient des narcotrafiquants tandis qu'à Mayotte, il s'agit d'une immigration de gens qui ont le projet de s'installer, voire de rejoindre la métropole dans un second temps."

Chaque exécutif se déplaçant dans ces territoires se fait toujours fort de son bilan en la matière, bombe le torse. Sans convaincre à l'évidence, alors que le Rassemblement national parvient de mieux en mieux à se faire entendre. "Le RN répond à ces inquiétudes en mettant des mots politiques et émotionnels: 'souffrance', 'les oubliés' etc. Et ça a une résonance. Même si l'abstention est toujours très forte, le phénomène se traduit davantage en votes désormais", analyse Christiane Rafidinarivo. 

Enfin, l'universitaire relève un dernier facteur permettant d'entrevoir les racines du vote grandissant en faveur du Rassemblement national dans les îles et les territoires d'Outre-Mer. "L'entourage de Marine Le Pen compte des transfuges de poids, d'anciens chiraquiens longtemps à la manœuvre dans l'Outre-Mer". Un profil qui correspond notamment à celui d'André Rougé, ancien assistant parlementaire de Michel Debré, ancien chargé de mission pour Alain Juppé, spécialiste des DOM-TOM et à présent député européen pour le RN. Le Rassemblement national soigne décidément ses ambitions ultramarines. 

Robin Verner