Attaque de Marseille: après le limogeage du préfet du Rhône, la méthode du gouvernement critiquée

Le drame de Marseille aurait-il pu être évité? Depuis dix jours, cette question agite les débats sur la lutte contre le terrorisme. Arrêté à Lyon deux jours avant d'assassiner deux jeunes filles sur le parvis de la gare Saint-Charles à Marseille, l'assaillant, en situation irrégulière en France, aurait dû être placé en centre de rétention. Manque de place, supérieurs injoignables: un rapport de l'Inspection générale de l'administration pointe des "dysfonctionnements graves" mais aucune "faute personnelle". Pourtant, le préfet du Rhône a sauté.
Décision rare
Annoncé mardi par le ministre de l'Intérieur, le remaniement de la hiérarchie préfectorale a été officialisé lors du conseil des ministres de mercredi. A la place d'Henri-Michel Comet, Stéphane Bouillon, ancien préfet de Provence-Alpes-Côte d'Azur chez qui Emmanuel Macron avait passé ses vacances cet été, est devenu préfet du Rhône. Si la valse des préfets est fréquente, un limogeage l'est beaucoup moins. "C'est sous la responsabilité du ministre de l'Intérieur que la décision a été prise, mais évidemment en lien avec le président de la République et le Premier ministre", justifie Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement, rejetant tout "acte d'autorité".
"Un chef de l’Etat c’est un chef", renchérit Bruno Bonnell, député LREM. "Un chef d’entreprise, c’est un chef. Quand il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, on réorganise pour que ça aille mieux. Je ne pense pas du tout que c’est de la brutalité, c’est de la gestion traditionnelle et normale."
Si l'annonce a été accueillie de manière "sereine" par Henri-Michel Comet, selon son entourage, la méthode a été jugée brutale. "Il est regrettable, car injuste et inapproprié, que le préfet soit limogé", estime Philippe Bouchu, délégué régional UNSA-Intérieur. "J’observe que le rapport ne pointe aucune faute personnelle mais pointe des dysfonctionnements liés au manque d’effectifs, aux réductions d’effectifs que nous connaissons depuis 10 ans". Une décision qui a été prise dans un contexte difficile à la préfecture du Rhône, notamment pour l'agent de permanence le soir de l'interpellation de l'assaillant.
"Tous les collègues du service étrangers, et plus précisément sur les éloignements se disent que ça aurait pu leur arriver, qu’ils auraient pu être confrontés à une situation identique", témoigne Jean-Michel Morel, délégué CFDT.
Bouc émissaire
Injuste, brutale, pour beaucoup, il fallait à travers cette décision trouver un bouc émissaire. "Le problème est au niveau des décisions gouvernementales depuis 10 ans", poursuit Philippe Bouchu. L'affaire a fait grand bruit en plein examen de la loi sur la lutte contre le terrorisme. Et prend ainsi un tournant politique. "Il fallait un lampiste, il fallait trouver un symbole, ça y est", ironise Philippe Vigier, député UDI. "Ils ont exécuté le préfet, qui est d’ailleurs un grand préfet. Suite à ce rapport, il fallait bien qu’Emmanuel Macron, et le ministre Gérard Colomb, soient en mesure de dire aux Français 'vous voyez on a agi'."
"Je trouve qu’il y a une forme de lâcheté à se délester sur un collaborateur", note pour sa part le Républicain Eric Ciotti. "Le préfet du Rhône, comme tous les préfets de France, subissent des décisions du gouvernement. (...) Ce n’est pas en limogeant monsieur Comet que demain on évitera que ça reproduise. Que fait monsieur Collomb pour que ça ne se reproduise pas?"
Mardi soir, le ministre de l'Intérieur a annoncé le recrutement de 150 personnels supplémentaires dans les services des étrangers et l'ouverture de 200 places supplémentaires en centre de rétention. Une mauvaise politique pour les associations qui viennent en aide aux personnes étrangères. "Le ministre de l’Intérieur semble sciemment confondre lutte contre l’immigration irrégulière et lutte contre le terrorisme, situation de personnes étrangères en situation irrégulière et acte d’une personne isolée ne représentant qu’elle-même", dénonce Jean-Claude Mas, le secrétaire général de la Cimade, une association qui accompagne les étrangers dans la défense de leurs droits.
Et d'ajouter: "Nous réfutons tout lien entre ces deux événements, entre ces deux politiques parce que ces liens, pour nous, induisent des amalgames, induisent des raccourcis qui sont inadmissibles et irresponsables."