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TOUT COMPRENDRE. Sélection des détenus, conditions d’incarcération: comment vont fonctionner les prisons de haute sécurité?

Le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, dans les Hauts-de-France, accueillera ses premiers détenus à partir du 31 juillet.

Le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, dans les Hauts-de-France, accueillera ses premiers détenus à partir du 31 juillet. - Michel Euler / POOL / AFP

La première prison de haute sécurité doit être opérationnelle en France à partir du 31 juillet prochain. Ces établissements accueilleront les narcotrafiquants les plus dangereux. Leur dangerosité pose justement des questions quant à leurs transfèrements et à leurs conditions de détention.

Deux morts, plusieurs blessés et une France abasourdie: le 14 mai 2024, le narcotrafiquant Mohamed Amra réussissait une évasion meurtrière au péage d'Incarville, dans l'Eure, durant un transfèrement. Une attaque hyper violente et minutieusement organisée depuis l'intérieur même d'une prison.

De cette onde de choc va naître le projet de créer trois établissements pénitentiaires aux caractéristiques inédites en France, pour isoler les membres identifiés des organisations criminelles et lutter contre le narcotrafic. À terme, la France sera équipée de trois prisons de haute sécurité spécialement aménagées pour accueillir les narcotrafiquants les plus dangereux de l'Hexagone.

La première est située à Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais. "Ce sera bien prêt pour le 31 juillet" a confirmé cette semaine sur BFMTV le ministre de la Justice, Gérald Darmanin.L'entourage du ministre précise que les deux autres prisons de ce type "devraient ouvrir le 15 octobre prochain à Condé-sur-Sarthe et une autre en Guyaine d'ici 2028".

Ces prisons, inspirées du modèle anti-mafia italien, seront occupées par les plus dangereux narcotrafiquants qui seront transférés depuis leurs cellules actuelles.

Qu'est ce qu'une prison de haute sécurité où va être incarcéré Mohamed Amra?
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• Comment les détenus sont-ils sélectionnés?

La prison de Vendin-le-Vieil accueillera à partir de la fin juillet cent narcotrafiquants qui ont été sélectionnés à l'avance par les autorités.

"La sélection est le fruit de la collaboration entre le ministère, des magistrats ainsi que des membres des Juridictions interrégionales spécialisées (JIRS)", souffle à BFMTV.com, l'entourage du garde des Sceaux.

Ces nouveaux prisonniers incarcérés dans ces prisons de haute sécurité sont choisis selon leur dangerosité et non selon leur statut devant la justice. Ils peuvent avoir été condamnés ou être en attente d'un jugement.

"Le critère de dangerosité inclut la capacité des détenus à commanditer des assassinats, à corrompre, à menacer, à diriger leurs trafics depuis leur cellule", précise le ministère sur son site.

Une fois cette sélection faite, un processus bien rodé -arbitré par le ministre de la Justice-, se met en place. Pour commencer, le garde des Sceaux contacte le directeur d'une prison pour lui notifier que l'un de ses détenus a été choisi pour intégrer l'un des nouveaux pénitenciers.

Après avoir été informé par le ministre, le directeur concerné convoque son détenu pour lui notifier cette décision. Une fois le prisonnier au courant, une phase de contradictoire de 72 heures est enclenchée. Le narcotrafiquant peut avec son avocat émettre des remarques par écrit ou par oral concernant cette décision. Le détenu est alors une nouvelle fois convoqué par le chef d'établissement.

Une fois les 72 heures écoulées, le ministre de l'Intérieur prend un arrêté lui permettant d'enclencher le transfèrement. Le détenu peut alors saisir le Conseil d'État, mais ce recours ne suspend pas l'arrêté.

• Comment vont être transférés les détenus?

D'après les informations de BFMTV.com, la majorité des criminels jusqu'à présent détenus à Vendin-le-Vieil ont déjà été répartis dans d'autres établissements. Seuls cinq d'entre eux, dont Rédouane Faïd et le terroriste Salah Abdeslam, sont toujours sur place et devraient y rester.

Les détenus sélectionnés vont eux intégrer prochainement la prison. Invité de BFMTV, ce mercredi 16 juillet, le ministre de la Justice a indiqué qu'une partie des prisonniers choisis pour intégrer Vendin-le-Vieil ont déjà été informés de leur futur placement. Il faudra ensuite les déplacer.

"Les transfèrements vers Vendin-le-Vieil auront lieu par vague", indique à BFMTV.com une source proche du dossier. Le reste des modalités des transferts reste en revanche classé "secret défense".

Ces déplacements se feront de toute façon sous haute sécurité, compte tenu du profil et de la dangerosité des détenus. En juin dernier, alors que Mohamed Amra devait être extrait de sa cellule pour être interrogé à Paris, la question de la sécurité de ce déplacement avait déjà été posée. Le narcotrafiquant avait finalement été transféré par hélicoptère de Condé-sur-Sarthe jusqu'à Paris.

• Quels dispositifs de sécurité dans la prison ?

Pour transformer l'ancienne prison de Vendin-le-Vieil en établissement de haute sécurité, les autorités ont dépensé 4 millions d'euros dans des travaux de sécurisation. "C'est une révolution pénitentiaire, ça n'a jamais été fait en France", affirme à BFMTV.com, l'entourage du garde des Sceaux.

La prison est désormais dotée de plusieurs dispositifs de haute sécurité comme un système de détection et de neutralisation des drones. Un renforcement de la lutte contre les communications, notamment des systèmes de brouillages, a été opéré. La vidéosurveillance a elle aussi été augmentée et de nouveaux miradors ont été dressés.

Entre les murs de la prison, les ailes de détention ne comprendront que quatre à cinq détenus afin de limiter au maximum les contacts lors des promenades. Les individus seront aussi seuls dans les cellules.

"C'est un lieu extrêmement clos où on ne peut pas téléphoner, on ne peut pas avoir de communication avec l'extérieur", indiquait Gérald Darmanin sur BFMTV.

Les rares contacts avec l'extérieur seront eux aussi très surveillés. Pour éviter les sorties hors des murs de la prison, et les drames comme à Incarville, la visioconférence va être généralisée. Pour les parloirs, qui se feront désormais par hygiaphone, les détenus seront constamment fouillés après. Les unités de vie familiale y sont supprimées.

Concernant les appels téléphoniques, les détenus pourront utiliser deux heures par semaine un appareil fixe. "Les conversations seront écoutées en direct", souffle à BFMTV.com, une source proche du dossier.

• Comment vont être surveillés les détenus?

Durant les travaux d'aménagement, les agents pénitentiaires de Vendin-le-Vieil ont été formés aux nouvelles normes de haute sécurité et au risque de corruption. Les effectifs ont par ailleurs été "largement renforcés".

"Le nombre de surveillants est supérieur au nombre de détenus", indique à BFMTV.com, le cabinet du ministre de l'Intérieur. "Lors des promenades ou durant les autres déplacements, le détenu sera toujours accompagné par plusieurs surveillants", ajoute-t-il.

De leur côté, les agents pénitentiaires de Vendin-le-Vieil se tiennent prêts. "Cela fait cinq mois qu'on se prépare et qu'on fait des rondes à blanc", indique à BFMTV.com, David Lacroix, surveillant et secrétaire local Force Ouvrière (FO) du Centre Pénitentiaire de Vendin-le-Vieil.

"Nous sommes très satisfaits des renforts de 20 agents supplémentaires. Nous sommes désormais 200, ce qui fait 3 agents pour 20 détenus. Dans d'autres prisons, ils sont un surveillant pour 100 détenus", ajoute-t-il.

En plus de ce renfort, le surveillant confirme avoir reçu une formation, "un programme pour pouvoir gérer les profils que nous allons recevoir".

• Un obstacle pour préparer la défense des détenus?

De son côté, Mohamed Amra a été averti ce mardi qu'il allait être transféré vers le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil. Le narcotrafiquant, actuellement emprisonné à Condé-sur-Sarthe, dans un quartier de haute sécurité, sera donc incarcéré sous le régime strict de cet établissement dédié aux narcotrafiquants. Un placement qu'il n'a pas contesté, selon les informations de BFMTV.com

"À ce stade, cela ne change pas grand-chose pour mon client qui est déjà soumis dans la prison de Condé à des conditions de sécurité très strictes. Je ne vois pas ce qu'il peut y avoir de plus", souffle à BFMTV.com, Maître Lucas Montagnier, avocat du narcotrafiquant.

"Il est déjà à l'isolement, il a déjà constamment six agents qui l'accompagnent quand il bouge, il a déjà un parloir avec séparation et ses conversations téléphoniques sont déjà écoutées", ajoute-t-il.

Un régime de détention extrêmement sévère qui pose par ailleurs problème au Conseil du barreau de Marseille. "L'accès au téléphone ne doit pas être restreint, surtout lorsque c'est pour échanger avec moi. En matière de confidentialité, le fait que les appels avec l'avocat soient écoutés pose problème. Ces restrictions font que je ne peux pas bien préparer sa défense", déclare l'avocat.

Pour rendre visite à son client, il devra désormais se rendre dans le Pas-de-Calais, un département très éloigné du barreau de Marseille. "Je vais envoyer une lettre à Gérald Darmanin pour demander la mise en place de visioconférence avec lien sécurisé pour les entretiens entre les avocats et leurs clients incarcérés à Vendin", conclut auprès de BFMTV.com, Maître Montagnier.

Sylvain Allemand