Qui achète et qui vend des kalachnikovs, comment et à quel prix?

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Comment expliquer la prolifération des kalachnikovs dans les mains des braqueurs, des trafiquants de drogue, et parfois des délinquants des cités? La "kalach", nom de code AK-47, est une arme de guerre, mais qui essaime aujourd'hui bien au-delà des conflits armés. Le braquage d'une société prestataire de la SNCF à la kalachnikov, dimanche soir à Paris, repose la question des filières du trafic de cette arme dévastatrice.
Selon une source au Syndicat des commissaires de police (SCPN), "la kalachnikov est d'abord une arme d'une efficacité redoutable, de calibre 7,62 mm, avec un pouvoir de perforation considérable, très supérieur aux armes de poing. Elle est mortelle à plusieurs kilomètres [du tireur]".
La kalachnikov est aussi prisée pour son incroyable robustesse: c'est une arme "très fiable, qui ne s'enraye pas. Elle est facile à réparer, sa conception est fabuleuse", reconnaît-on au SCPN. Si cette arme est aussi répandue sur les théâtres de guerre du monde entier, et maintenant dans les milieux du grand banditisme en France, c'est qu'au-delà de son efficacité, elle est très facile à fabriquer. La Chine en produit même une copie, réputée moins fiable toutefois.
La filière de l'ex-Yougoslavie, principal fournisseur en France
"L'effondrement du Pacte de Varsovie, mais surtout de l'ex-Yougoslavie, a rendu les frontières perméables" avec des pays où la kalachnikov est extrêmement répandue, explique-t-on au SCPN. "Or, il est très difficile de contrôler ces frontières terrestres, où les armes peuvent transiter en train, en bus ou en voiture. Il est très compliqué pour les douanes de les bloquer".
Les kalachnikovs qui circulent en France proviennent en grande majorité des pays de l'ex-Yougoslavie, confirme Jean-Charles Antoine, chercheur à l'Institut français de géopolitique (Paris 8) et auteur de l'enquête "Au coeur du trafic d'armes, des Balkans aux banlieues" (Vendémiaire). Neuf fois sur dix, elles entrent sur le territoire français par le nord de l'Italie, la Suisse ou l'Allemagne. Plus précisément, explique Jean-Charles Antoine, les "kalach" d'origine yougoslave sont des Zastava M70, ce sont elles qui alimentent le gros du marché noir en France, et il est devenu plus facile de s'en procurer qu'il y a 10 ou 15 ans.
Mais l'achat d'une telle arme de guerre n'est pas accessible au premier venu. "C'est le contact qui est le plus difficile à trouver", explique-t-on au SCPN. Dans une cité, concrètement, un candidat à l'achat qui se présenterait sans être recommandé ni connu de quiconque serait instantanément "grillé", ou pris pour un policier. Ce n'est donc qu'en remontant les intermédiaires, par relations, que la "kalach" se déniche.
2.000 euros pour une kalachnikov en bon état
Pour 2.000 à 2.500 euros, en France, on peut alors obtenir une Zastava M70 en bon état avec sa crosse repliable, et son chargeur de 30 cartouches. Trois filières d'approvisionnement coexistent. D'abord celle des trafiquants occasionnels, vivant en France avec des attaches en ex-Yougoslavie, familiales par exemple, et qui vont y faire "deux voyages par mois" en moyenne, selon le SCPN, en prenant leur commission sur chaque arme revendue en France. Une façon d'arrondir les fins de mois.
Deuxième filière, les kalachnikovs "tombées du camion" à la sortie de l'usine, toujours en ex-Yougoslavie, et enfin le collectionneur d'armes véreux qui remilitarise une kalachnikov démilitarisée, qu'on peut se procurer légalement, en refabriquant artisanalement la pièce manquante. Dans ce dernier cas, l'arme "réactivée" peut se négocier autour de 400 euros, car elle a perdu de sa puissance et de sa fiabilité.
Qui achète? Jean-Charles Antoine distingue deux types de clients: "ceux qui ont besoin d'une kalachnikov, pour un braquage ou un règlement de compte, et ceux qui en ressentent le besoin, pour la protection d'un territoire [une cité] ou d'un trafic". En clair, la possession d'une kalachnikov est contagieuse.
Jean-Charles Antoine se remémore cette phrase d'un ancien dictateur africain: "Kabila disait 'vous la mettez dans l'eau, dans la boue, dans le sable, vous la donnez à un gamin, et il peut encore tirer avec'". Une arme de sinistre réputation... à coup sûr.