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Le procès de l'affaire Pelicot, également dit des viols de Mazan, s'est achevé le 19 décembre 2024 à Avignon (Vaucluse).

PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV

"Il était temps que ça s'arrête": l'affaire Pelicot, une épreuve pour tous les acteurs du procès

Pendant 15 semaines, magistrats, avocats, policiers, journalistes ont assisté au procès des viols de Mazan. Ces 64 jours d'audience, parfois tendus et marqués par la diffusion des vidéos de viol, n'ont laissé personne indifférent.

"Monsieur le procureur, monsieur le procureur, je voulais vous remercier pour tout le travail que vous avez fait sur ce procès." Les cinq magistrats de la cour criminelle du Vaucluse viennent de se retirer pour délibérer, ce lundi 16 décembre, lorsque Jean-François Mayet, qui a porté l'accusation pendant ce procès des viols de Mazan avec sa collègue l'avocate générale Laure Chabaud, est félicité par une femme venue assister à la quasi-totalité des audiences avec ses amies.

À cette femme du public venu lui apporter ses félicitations, le procureur de la République d'Avignon, lui, consent qu'il fallait "tenir sur la durée", ne pas se laisser aller "au sentiment d'usure".

Après 15 semaines de débats, 64 jours d'audience, le verdict est tombé ce jeudi 19 décembre. Tous les acteurs de ce procès hors norme estiment qu'il "était temps que ça se finisse", comme le concède Patrick Gontard, avocat de la défense. À commencer par la principale intéressée, celle qui était au coeur de l'attention, celle qui a du faire face à ses agresseurs pendant trois mois et demi. L'entourage de Gisèle Pelicot l'a décrivait "épuisée" par ce procès, ce "deuxième tsunami" qu'elle a du affronter.

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"Impossible de sortir de ce procès"

Depuis le 2 septembre, dans la salle d'audience, magistrats, huissier, avocats et journalistes se serrent sur les bancs pour entendre les explications des 51 hommes accusés d'avoir violé Gisèle Pelicot, et voir les vidéos de ces scènes sordides. Dans la salle de retransmission, le public, nombreux, peine à entrer, surtout quand la presse est présente. Une affluence due à la décision de la septuagénaire - elle a eu 72 ans le 7 décembre - qui s'est battue pour refuser le huis clos.

Tous voulaient assister à ce procès qualifié d'hors norme, d'historique, "ce procès de l'horreur". Tous ont vécu l'expérience du procès du Mazan, dans la durée, et avec "l'intensité émotionnelle importante" de cette affaire.

"C'est le premier procès où je me suis tant impliquée", raconte Raquel Villaecija, correspondante en France pour le quotidien espagnol El Mundo. "Nous étions beaucoup de journalistes femmes, pour Gisèle Pelicot, je me dis que c'était important d'être à la hauteur."

Au milieu des articles pour relater les secousses de la vie politique française ces dernières semaines, d'autres affaires judiciaires ou dernièrement l'actualité tragique avec le cyclone Chido à Mayotte, la journaliste espagnole a fait les allers-retours entre Paris et Avignon le plus souvent possible. Tous les acteurs décrivent un "marathon" physique pour tenir pendant ces quinze semaines.

"Je pense que c'est impossible de sortir du procès, on est devenu tous fous", commente-t-elle avec ironie.

Le 1er août 2024, un mois avant le début du procès, Me Guilaine Michel est mandatée par Florian R. pour le représenter. L'homme est accusé d'avoir violé Gisèle Pelicot, droguée au préalable par son mari. Au cœur de l'été, la toute jeune pénaliste - deux ans de barreau - se plonge dans les 31 tomes du dossier d'instruction et rencontre à de nombreuses reprises son client. Elle ne regarde que la vidéo qui le concerne, celle sur laquelle on voit ce chauffeur-livreur de 32 ans imposer des rapports sexuels à la victime, totalement endormie.

La diffusion "malaisante" des vidéos

Les vidéos sont apparues comme la pièce centrale de ce dossier. Exit le parole contre parole habituel dans les dossiers de violences sexuelles, la preuve est là. Pendant 10 ans, Dominique Pelicot a filmé les hommes qu'il recrutait sur le site Coco.gg abuser de sa femme droguée. "La première fois que les autres vidéos ont été diffusées, c’était très malaisant, inconfortable", reconnaît Me Michel.

"Il y avait, sur les images, ce mélange de normalité pour ces hommes et une extrême violence", décrit-elle. "Le pire, ce sont peut-être les petits bruits du quotidien qu’on entend sur ces vidéos."

Outre les ronflements de Gisèle Pelicot, qui ont fait dire aux avocats de la septuagénaire et aux avocats généraux qu'il était impossible d'ignorer l'état d'inconscience de cette femme, on pouvait en effet entendre le bruit de la télévision en fond sonore, par exemple. À chaque diffusion de ces vidéos devant la cour, un silence s'est imposé, autant dans la salle d'audience que dans la salle de retransmission.

"Au début, je regardais les vidéos, puis rapidement, je ne le faisais plus car c’était insoutenable", se souvient Alex Guey, journaliste pour Vaucluse Matin, qui a suivi l'intégralité des audiences. D'autant que la place qu'il occupait habituellement était tout près de Gisèle Pelicot, créant "beaucoup de gêne" chez lui.

Croquis du palais de justice d'Avignon, le 27 novembre 2024, lors du procès de Dominique Pelicot, accusé d'avoir drogué sa femme Gisèle Pelicot pendant près de dix ans et d'avoir invité des inconnus à la violer à leur domicile de Mazan
Croquis du palais de justice d'Avignon, le 27 novembre 2024, lors du procès de Dominique Pelicot, accusé d'avoir drogué sa femme Gisèle Pelicot pendant près de dix ans et d'avoir invité des inconnus à la violer à leur domicile de Mazan © Benoit PEYRUCQ © 2019 AFP

"La première vidéo, celle de Jacques C., n’était pas la plus horrible mais il y a un malaise général qui m’a professionnellement marqué", poursuit-il. "J’en ai vu deux-trois puis après j’ai arrêté. Je n’avais pas envie que ce moment devienne normal dans un procès qui ne l’est pas."

"Certains matins, je n‘en pouvais plus d’entendre parler de ça, il y avait une fatigue émotionnelle et physique", poursuit le journaliste, qui a préféré "travailler sur ses papiers" pendant la diffusion. Pour Raquel Villaecija, "écrire" lui a permis de tenir sur la distance. "On tient parce que ce procès important professionnellement, en tant que journaliste on a un devoir", assure la journaliste espagnole. "Ce procès peut changer les choses. J’ai tenu car on écrit, on peut faire ressentir ce qu’on vit."

La nécessité de ne pas être touché émotionnellement

Pour les avocats des accusés, il fallait poursuivre leur défense. "Quand on fait du pénal, des vidéos horribles, on y est confronté quotidiennement", estime Me Christophe Huguenin-Virchaux, avocat d'un autre accusé, Charlie A. "Le fait de ne pas être touché, c’est se protéger. L'œuvre de justice doit être dépassionnée."

Pour Me Guilaine Michel, il était aussi nécessaire de se concentrer sur son client et sur sa plaidoirie pour "éviter le massacre" et une condamnation à 13 ans de réclusion criminelle, requise par le ministère public - il a finalement écopé d'une peine conforme aux réquisitions.

"Il y a des moments où j’ai dû décrocher", explique-t-elle. "Cette histoire, ce procès vous rentre dans le cerveau. Il fallait que je décroche vis-à-vis de mon client, il ne fallait pas que ce que je voyais chaque jour, avec ces vidéos, déteigne sur ma défense."

Bien esseulée sur les bancs de la défense, l'avocate de Dominique Pelicot, Me Béatrice Zavarro, a dû "se blinder". "Je l'ai mal vécu car ça m'a pesé, mais je l'ai aussi bien vécu car je me suis préparée, j'avais vu toutes les vidéos avant", assure-t-elle. "Je savais que je serai seule, physiquement mais aussi du point de vue de l'argumentaire."

Chaque jour, l'avocate aux lunettes rouges a pu compter sur la présence de son mari Edouard à ses côtés. Ensemble, ils ont loué un appartement à Avignon pour la durée du procès et partaient se ressourcer chez eux le week-end. "J'ai pu débriefer avec lui, j'ai pu extérioriser mes humeurs", se souvient-elle.

Un croquis de Gisèle Pelicot lors du procès des viols de Mazan à Avignon le 17 septembre 2024.
Un croquis de Gisèle Pelicot lors du procès des viols de Mazan à Avignon le 17 septembre 2024. © Benoit PEYRUCQ / AFP

"Tout le monde nous en parle"

L'organisation de ce procès hors norme, de par le nombre d'accusés et d'avocats ainsi que par l'attention médiatique, a aussi pesé sur les autres professionnels du tribunal. "Moi je ne regarde plus, j'en ai ma dose", soufflait en novembre un auxiliaire de justice présent dans la salle. Devant la salle, un policier qui assure la sécurité du procès reconnait ne pas avoir voulu voir ces images.

Dans ce procès, il y a les images. Il y a aussi eu ces longues semaines d'interrogatoires des accusés invités à donner leur version. La grande majorité a nié l'intention de viol, se réfugiant derrière une "manipulation" de Dominique Pelicot. "Gisèle Pelicot n'a eu de cesse d'entendre les accusés se déresponsabiliser en se posant comme victimes et fait confiance à la cour criminelle", soulignait ses proches à la veille de la fin des débats, et ce, alors que quinze accusés ont reconnu les faits au cours de l'audience.

"Depuis le début de ce procès, j'ai entendu énormément de choses inaudibles, inacceptables (...) De tout ce que j'ai entendu à cette barre, c'est le procès de lâcheté", s'agaçait la septuagénaire lors de sa dernière prise de parole devant la cour le 19 novembre.

Pour Raquel Villaecija, le plus dur était aussi "d'entrendre les accusés nier après la diffusion des images". "Cette violence était plus forte que les images elles-mêmes", souffle la journaliste espagnole.

Pendant trois mois et demi, tous les acteurs de ce procès étaient présents aux audiences cinq jours sur sept, dès 9 heures du matin, parfois jusqu'à tard. Et pourtant, à l'extérieur, impossible de couper avec ce procès. "J’ai essayé de ne pas en parler à l’extérieur mais tout le monde nous en parle", soupire Me Huguenin-Virchaux, présent à quasiment toutes audiences, sauf les jours où il ne pouvait obtenir de renvoi pour ses autres dossiers. "C'était complexe de sortir de cette affaire pour en évoquer d'autres."

Croquis d'audience montrant Dominique Pelicot (en haut à droite), à l'encontre de qui le parquet a requis la peine maximale de 20 ans de réclusion criminelle, lors de son procès au palais de justice d'Avignon (Vaucluse), le 25 novembre 2024
Croquis d'audience montrant Dominique Pelicot (en haut à droite), à l'encontre de qui le parquet a requis la peine maximale de 20 ans de réclusion criminelle, lors de son procès au palais de justice d'Avignon (Vaucluse), le 25 novembre 2024 © Benoit PEYRUCQ © 2019 AFP

La crainte du "sentiment de vide"

Situation identique pour sa consœur Me Michel, qui a dû continuer à travailler sur d'autres affaires: "C’est usant, il n’y a pas un endroit où on se rend où personne ne va en parler. Les vacances, ce sera après les vacances de Noël en famille."

"Il était temps que ça s'arrête, c’est un procès lourd émotionnellement pour les accusés, pour la victime, pour le public", ajoute l'avocat de Charlie A.

Avec ce procès, Avignon est apparu au couer de toutes les attentions. Une situation qui ne plaisait pas à tous. Le patron de la brasserie située à proximité du palais de justice de la ville ne cache pas son soulagement désormais que le verdict a été rendu. Souvent les accusés, qui comparaissaient libres, se retrouvaient dans son établissement avant ou après les audiences, créant chez lui et ses clients un "sentiment de malaise". "C'était une mauvaise publicité pour moi", confie-t-il.

Certains craignent toutefois un phénomène de décompensation après trois mois et demi à vivre "au rythme Pelicot". "On a vécu quelque chose de très surprenant ensemble, il va y avoir un vide ensuite", considère Me Guilaine Michel, qui ouvrira son propre cabinet en janvier, notamment grâce à la petite notoriété gagnée au procès.

Désormais, pour tous, il va falloir revenir à la "vie normale" et "travailler sur les dossiers mis de côté" ou replonger dans le reste de l'actualité. Tous ont pourtant en tête un nouveau rendez-vous, celui du probable procès en appel.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV