"LFI doit être combattu sur le terrain de l’opinion": à la barre, Raphaël Enthoven assume d’avoir qualifié le parti de "passionnément antisémite"

Le philosophe Raphaël Enthoven lors d'une cérémonie en hommage à Robert Badinter, devant le ministère de la Justice, place Vendôme, à Paris, le 14 février 2024. - LUDOVIC MARIN / AFP
D’abord, il y a eu le mot "exégèse". Puis, c’est "herméneutique" qui a été lâché à la barre. Un témoin est, ensuite, venu parler de l’édit de Caracalla datant de 212 avant de terminer par un peu "d’ontologie", d’une référence à Marcel Proust, de sa recherche du temps perdu et d’une autre à La passion triste de Spinoza.
Un autre a été interrogé sur les "dragons célestes" du manga One Piece. Des débats philosophiques de haut vol donc dans le but de répondre à une seule question: peut-on dire que la France insoumise (LFI) est un parti "antisémite"? "Passionnément antisémite", même?
Poursuivi en justice par le mouvement de Manuel Bompard pour "injures publiques", le philosophe Raphaël Enthoven est venu, ce mardi 23 septembre à la barre de la 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris, assumer les propos qu’il avait tenus, sur le réseau social X le 1er mai 2024, à l’égard du parti d’extrême gauche.
"J’avais besoin de le faire"
"Ce jour-là, j’ai eu besoin de dire ça. J’avais besoin de le faire. Ça me paraissait tout à fait nécessaire", a-t-il expliqué au tribunal.
Nécessaire parce que quelques heures plus tôt, Raphaël Glucksman, le patron de Place publique, avait été pris à parti par des militants "gauchistes" lors de la manifestation du 1er mai dans les rues de Saint-Étienne (Loire).
Et qu’il fallait donc dénoncer ces "cons" et "déficients" comme les avait nommés Raphaël Enthoven à l’époque. Mais surtout "nécessaire" parce qu’il s’agit d’un combat à mener "dans l’opinion" selon le prévenu.
Abandonnant les notes posées sur les pupitres, les mains de part et d’autre du micro, Raphaël Enthoven est ainsi venu expliquer la mission qu’il semble s’être assignée. "Il y a un antisémitisme d’atmosphère qui vit sous les radars de la loi", dénonce-t-il ainsi.
Quand Jean-Luc Mélenchon critique Yaël Braun-Pivet en disant qu’elle va "camper à Tel-Aviv", il reprend les mots d’Édouard Drumont (écrivain antisémite): "Jean-Luc Mélenchon n’est pas sous le coup de la loi mais il faut le combattre...".
"Je n’ai pas demandé le CV des gauchistes"
Comme si l’exemple était un peu trop érudit pour les magistrats de la 17e pourtant rodés à ce l’exercice, le philosophe se fend d’une deuxième illustration.
"Les gens qui parlent des juifs sur Twitter en accompagnant leur message d’une photo de pizza cuite au four font référence à la Shoah... Cela doit être combattu sur le terrain de l’opinion. Débusqué et combattu sur le terrain de l’opinion, c’est le sens de ma démarche", a-t-il affirmé.
Et peu importe qu’il ignorait si les "gauchistes" ayant chassé Raphaël Glucksman des rues de Saint-Etienne étaient des Insoumis ou pas, d’ailleurs. "Non, je n’ai pas demandé le CV des gauchistes en question. Mais comment ne pas faire le lien avec les discours diffusés en permanence et ceux qui passent à l’acte à cause de ces discours", a avancé le philosophe.
Autant d’éléments afin donc de démontrer que son tweet était donc une "opinion" légitime au titre de la liberté d’expression et non pas une "injure publique", comme l’accuse aujourd’hui La France insoumise.
La décision du tribunal mise en en délibéré
Installé à gauche du prétoire, Matthieu Davy, l’avocat de LFI, a attendu l’heure de plaider pour tenter de remettre les choses au clair sur les intentions de son client. "L’incident dont a été victime Raphaël Glucksman a été revendiqué par les Jeunes Communistes de la Loire!".
Autrement dit, Raphaël Enthoven a profité de la situation et a instrumentalisé cette affaire, selon lui. Et en tweetant ainsi, s’est donc rendu coupable d’injure. "Tout ce que vous avez entendu cet après-midi n’a donc aucun rapport!". Pas du tout pour Richard Malka. Vers 19 heures, l'avocat de la défense a ouvert le volumineux dossier devant lui pour se mettre à plaider en défense du philosophe sur un thème très simple.
Le tweet de Raphaël Enthoven est de la "critique idéologique qui participe d’un débat national. Rien de plus". Et de citer tous les responsables politiques - dont Gabriel Attal, Premier ministre à l'époque - et tous les intellectuels qui ont parlé de cet événement. Raison pour laquelle, selon lui, il convient purement et simplement de relaxer son client. La décision du tribunal a été mise en délibéré.