"J'y pense chaque nuit": l'impatience des victimes avant la publication du rapport sur la pédocriminalité dans l'Église

"C'est un peu comme si j'entendais le verdict d'un procès". C'est ainsi que résonnera, ce mardi sur les coups de 9h, la publication du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église de France aux oreilles de Francis. Celui-ci, aujourd'hui âgé de 73 ans et victime d'un prêtre dans son enfance, a accepté d'évoquer ses attentes à notre micro, en prélude au dévoilement de ce document, après deux ans et demi de travaux pilotés par le haut-fonctionnaire Jean-Marc Sauvé.
"J'y pense chaque nuit"
Cette somme de 2500 pages doit en effet faire date. Dès ce week-end, quelques-unes des statistiques dressées ont filtré dans la presse: selon les estimations "a minima" des auteurs du rapport, l'Église de France a pu compter entre "2900 et 3200" pédocriminels dans ses rangs entre les années 1950 et nos jours, des criminels sexuels laissant derrière eux autour de 216.000 victimes.
L'Église, qui insiste sur sa détermination à ne pas détourner le regard, a pris les devants. Dès vendredi, monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France, a prévenu que l'ampleur du phénomène serait "plus importante" encore que ses craintes initiales. Le même jour, l'épiscopat français remettait une note au pape qui a commenté:
"C'est votre croix"
Francis porte la sienne depuis 63 ans, lui qui n'avait que dix ans quand un religieux a brisé sa vie. "Je peux vous dire que j’y pense pratiquement chaque nuit. Je me refais le film, le film des conséquences, et les moments où je n’ai pas saisi les possibilités d’intervenir", a-t-il confié à BFMTV. Désormais, bien qu'en dérobant son visage à nos caméras, il ose parler. Il a cependant mis cinquante ans à y parvenir.
"Je n’ai jamais déposé plainte", a-t-il prolongé. "C’est (la publication du rapport, NDLR) le seul signe officiel pour moi, ce sont des personnes indépendantes. C’est un peu comme si j’entendais le verdict du procès".
La question de l'indemnisation
Une impatience à la hauteur des dommages causés par ces attouchements dans sa vie. "J’ai eu besoin de me faire accompagner sur le plan psychologique et psychiatrique pour pouvoir reparler de cette histoire et m’en sortir", a-t-il détaillé. Si le rapport de la Ciase doit lui-même formuler ses préconisations quant aux réparations à proposer, Francis plaide pour l'édification d'un lieu de mémoire aux victimes et le versement de compensations financières.
L'Église a déjà pensé à la question. Elle compte s'appuyer - comme nous le mentionnions ici - sur un "fonds de dotation ad hoc" - d'abord crédité de cinq millions d'euros et qu'alimenteront ecclésiastiques, fidèles ou simples particuliers.
Les compagnons d'infortune de Francis font écho à sa demande d'indemnités. "Je ne veux pas la charité. Ce n'est pas un don que l'Église me doit. C'est un dû, pour réparer les préjudices subis", a toutefois prévenu Michel, victime d'un membre de l'Église, auprès de l'AFP.
"Réparer l'irréparable", ou le défi de l'Église
Soeur Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, a abordé auprès de notre antenne cette gageure de "réparer l'irréparable". Elle a poursuivi, en militant "en faveur de la prévention, de la formation, de l’écoute des victimes qui n’ont pas encore pu parler".
C'est peut-être le plus terrible dans les chiffres qui ont filtré dans la presse et marquent ce rapport: il ne s'agit que de mesures approximatives tirées de l'examen des archives ecclésiales, judiciaires et policières, et des témoignages des victimes. Des limites qui obligent à les tenir pour inférieures à la réalité. "Bref, il y a beaucoup de chantiers à entreprendre", a reconnu la soeur Véronique Margron qui a lancé: "Et entreprendre, autant que faire se peut, dans des délais rapides".
C'est au moins de novembre que les conférences religieuses livreront leurs réponses. D'ici un mois donc. Le pape quant à lui pourrait avoir - dès ce mercredi au cours de sa traditionnelle audience générale selon Vatican News - des mots à l'intention de ceux qui sont sortis blessés des mains de l'Église de France. Un exercice qui en devient douloureusement récurrent: en 2018, par exemple, le souverain pontife avait déjà dû s'exprimer au sujet des crimes sexuels commis au Chili et en Irlande au sein de l'institution dont il a la charge.