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Enlèvement parental à l'étranger: "Certains États se soustraient à leurs engagements internationaux"

Le ministère de la Justice, place Beauvau à Paris (PHOTO D'ILLUSTRATION).

Le ministère de la Justice, place Beauvau à Paris (PHOTO D'ILLUSTRATION). - Loic Venance - AFP

La Chancellerie traite actuellement 318 dossiers d’enlèvements parentaux à l’international. Elle revient pour BFMTV.com sur l'enjeu de ces affaires ultra-sensibles.

Le ministère de la Justice traite actuellement 318 dossiers d’enlèvements parentaux à l’international. Le Bureau du droit de l’Union, du droit international privé et de l’entraide civile (BDIP) est chargé de venir en aide à ces parents, souvent perdus dans la multitude de recours à enclencher ou démunis face à des pays étrangers qui ne respectent pas les engagements internationaux.

Emmanuelle Masson, porte-parole du ministère de la Justice, explique à BFMTV.com l'enjeu de ces affaires sensibles, où le bien-être de l'enfant se joue au gré d'épineuses procédures judiciaires.

· Comment la France agit-elle dans une affaire d’enlèvement parental?

Le BDIP du ministère de la justice joue un rôle majeur. Il assure, par exemple, la mise en œuvre de la convention de La Haye pour obtenir le retour d’un enfant, déplacé ou retenu de façon illicite à l’étranger par un de ses parents, vers l'État de sa résidence habituelle. Il s’agit d’une procédure de nature exclusivement civile, et non pénale.

Ce bureau comprend notamment sept rédacteurs aux profils variés (juristes, avocats, magistrats), chacun en charge d’un portefeuille de pays et assistés par quatre collaborateurs. Il fait le lien entre le parent délaissé et l’autorité centrale étrangère, il vérifie que la demande de retour est complète avant de la transmettre à son homologue étranger et informe le parent délaissé de l’avancée de la procédure qui se déroule dans le pays où l’enfant a été enlevé.

Si une décision ordonne le retour de l’enfant, le BDIP peut intervenir pour veiller à son exécution et assurer le retour sans danger de l’enfant, en lien avec le parquet général.

· Comment faire si l’enfant est emmené dans un pays qui n’est pas signataire de la convention de La Haye?

Si le parent dont l’enfant a été enlevé peut se prévaloir d’une décision de justice française (lui accordant un droit de visite ou fixant la résidence habituelle de l’enfant à son domicile), il peut en solliciter l’exécution à l’étranger par la procédure dite d’exequatur. Le parent peut également choisir de saisir directement les tribunaux étrangers pour obtenir une décision relative à la résidence habituelle de l’enfant ou à son droit de visite.

La France peut aussi être liée à des pays non signataires de la convention de La Haye par d’autres accords bilatéraux. Tel est le cas par exemple de l’Algérie. Les deux pays sont liés par un "Échange de lettres" signé en 1980 entre les deux gouvernements. Ce texte prévoit une coopération judiciaire entre les ministères de la Justice français et algérien pour obtenir, par la voie de la conciliation, la remise volontaire des enfants dont le droit de garde est contesté ou méconnu.

· Des pays qui ont ratifié la convention de La Haye, comme le Japon, ne l’appliquent pas. Que fait l’État français pour aider les parents lésés dans cette situation?

Les autorités françaises sont particulièrement attentives à l’application qui est faite de la convention avec chaque État. Mais les litiges familiaux internationaux sont particulièrement complexes et sensibles, ils font écho à des divergences culturelles et judiciaires.

Par exemple, au Japon, en cas de séparation, un seul des parents détient l’autorité parentale. L’autre parent ne pourra que demander un droit de visite qui lui sera accordé dans le seul intérêt de l’enfant. Cette vision est très différente de la vision du droit français où les parents, même séparés, continuent d’exercer conjointement l’autorité parentale.

Certains États choisissent de se soustraire à leurs engagements internationaux et il n’existe pas, à proprement parler, de mécanisme de sanction pour contraindre les Etats défaillants. Le ministère de la justice est particulièrement vigilant sur ce point et des actions sont mises en œuvre pour renforcer la coopération avec les Etats où celle-ci est particulièrement difficile.

· Comment le ministère tente-t-il d’améliorer la coordination entre les pays?

Le rôle de l’autorité centrale est d’assurer la coordination entre les différents intervenants, au travers d’échanges très réguliers entre les autorités et les parents, et des relances sont effectuées en cas de nécessité.

Si certaines situations peuvent faire l’objet d’un traitement rapide et aboutir au retour des enfants en quelques semaines, d’autres situations sont malheureusement très difficiles à dénouer et peuvent durer plusieurs années. Cela dépendra notamment du pays vers lequel l’enfant a été enlevé, de la nécessité éventuelle de faire localiser l’enfant si le parent le cache, de la possibilité qu’offre le droit étranger d’obtenir le concours des forces de police pour faire exécuter la décision quand le parent s’oppose au retour.

S’agissant des enlèvements internationaux de la France vers l’étranger, l’autorité centrale a pour seul interlocuteur l’autorité centrale étrangère. Pour les enlèvements internationaux de l’étranger vers la France, l’autorité centrale est en lien avec les parquets spécialisés en matière de déplacement illicite.

· Les familles font également état de procédures coûteuses. Une aide juridictionnelle peut-elle être proposée?

La convention de La Haye prévoit un mécanisme d’aide juridictionnelle et d’assistance juridique mais un certain nombre d'États parties ont formulé une réserve sur ce point. Ce mécanisme peut donc recevoir des exceptions selon le pays concerné.

En France, les frais d’avocat engagés pour la procédure de retour peuvent être pris en charge dès lors que le parent qui en fait la demande est éligible à l’aide juridictionnelle. Les frais d’avocat sont très variables d’un pays à l’autre et peuvent représenter un coût prohibitif pour de nombreux parents.

Ces coûts sont en outre démultipliés dans les conflits familiaux à dimension internationale qui supposent souvent d’engager plusieurs procédures parallèlement, en France et à l’étranger. Les parents peuvent alors se retrouver dans une situation financière très complexe s’ils n’ont pas accès à une prise en charge de leurs frais d’avocat et de justice.

Par Esther Paolini et Ambre Lepoivre