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Police-Justice

Affaire Muller: meurtre ou suicide? Le doute au coeur du troisième procès

Le docteur Jean-Louis Muller, lundi, au premier jour de son procès devant les assises de Nancy.

Le docteur Jean-Louis Muller, lundi, au premier jour de son procès devant les assises de Nancy. - -

Depuis lundi, le docteur Jean-Louis Muller répond pour la troisième fois devant la justice du meurtre de son épouse. Après trois jours de procès, le doute qui mine le dossier depuis 14 ans ne parvient pas à se dissiper.

Suicide ou crime? Crime ou suicide? C'est la troisième fois que la justice tourne et retourne cette question au sujet de Jean-Louis Muller. Or, depuis l'ouverture du troisième procès de ce médecin-légiste alsacien, lundi, le doute reste tenace à la barre.

La vérité judiciaire est attendue depuis quatorze ans. Elle devra surgir le 31 octobre, date où la Cour et les jurés sont invités à se prononcer au bout de ce troisième procès après cassation. Par deux fois, en 2008 et 2010, Jean-Louis Muller avait été condamné à 20 ans de réclusion pour le meurtre de son épouse Brigitte. Ce qu'il nie.

L'homme de 57 ans a toujours adopté la même défense: ce soir du 8 novembre 1999, sa femme s'est donné la mort dans la salle de jeu des enfants, au sous-sol de leur domicile d'Ingwiller, dans le Bas-Rhin. A l'époque, le parquet avait lui-même conclu à un suicide, et une autorisation d'incinérer avait été délivrée quelques jours après le drame.

Résidus de tir

C'est la famille de la victime qui a émis des doutes. Brigitte se serait servie du 357 Magnum de son mari pour mettre fin à ses jours, alors qu'elle avait les armes à feu en aversion. Des doutes encore sur l'hypothèse d'un suicide, alors qu'elle portait une profonde affection aux enfants du couple. Et ce couple, justement, qui semblait battre de l'aile.

L'enquête elle-même a mis au jour des éléments permettant au doute de s'insinuer. D'un côté, l'autopsie a révélé que Brigitte avait bu peu de temps avant le drame, et absorbé deux antidépresseurs. De l'autre, les expertises ont noté la faible présence de particules de résidus de tir sur la victime, les traces de poudre découvertes sur Jean-Louis Muller. Enfin, l'enquête a fourni un mobile: le climat houleux au sein du couple - Brigitte avait rencontré un autre homme et semblait vouloir faire ses valises.

Jean-Louis Muller, un homme replet au frond dégarni, n'en démord pas depuis lundi. Il est "innocent". Il reprend sa version, toujours la même. Il se trouvait au premier étage, son programme TV venait de commencer. Un film, A armes égales. Il a entendu un claquement. Il a pénétré dans la pièce, a "peut-être" touché des munitions utilisées, peut-être été contaminé par les résidus de tirs dans la pièce, où il dit être entré deux fois. C'est lui qui a appelé la gendarmerie.

Un expert du crime dans le box

Mais Jean-Louis Muller est lui-même un expert du crime. Sa thèse d'études porte sur "les effets des projectiles de petit calibre". Pour l'accusation, il a très bien pu maquiller le théâtre d'un crime en scène de suicide.

Une scène qui, quatorze ans après, trouble encore les experts judiciaires. Mardi, deux analyses présentées à la Cour se sont révélées contradictoires. Elles n'ont pas su s'accorder sur la quantité des résidus retrouvés sur l'accusé.

Ludwig Niewöhrer, l'un des experts appelés à la barre, exprime bien ces doutes: "Lorsqu'il y a suicide, il y a des résidus de tir beaucoup plus prononcés sur la victime", a-t-il estimé. Avant de nuancer son propos. "A condition que les prélèvements aient été correctement réalisés... Il existe aussi des cas où il y a très peu de résidus de tir, alors qu'on sait qu'il s'agit d'un suicide."

"Rien d'exclu, rien de probant"

La reconstitution effectuée mercredi n'a pas été plus décisive. Un autre expert, Yves Roedland, a estimé la position où a été retrouvée l'arme "difficilement compatible" avec un suicide.

Mais la défense, menée par le ténor du barreau Eric Dupond-Moretti, s'est empressée de démontrer que des rebonds sur le sol ou sur la table devant laquelle se trouvait Brigitte étaient envisageables. "Comment peut-on savoir si, dans un dernier geste, la main peut se crisper sur le revolver? Comment peut-on savoir comment l'arme va tomber? Etes-vous chutologue?", s'est emporté l'avocat.

Yves Roedland a suggéré un tir "à bout portant", "marque vraisemblable d'un homicide". Mais un autre expert, professeur en médecine légale recruté par l'accusé, l'a aussitôt contredit en indiquant qu'il s'agissait "nécessairement" d'un tir à bout touchant, "vu l'explosion et les blessures". "Rien n'est exclu, rien n'est probant", a lâché l'un des spécialistes - phrase qui résume peut-être au mieux la teneur du dossier.

Une semaine de débats attend encore la Cour et les jurés de Nancy. Mais à moins d'un coup de théâtre, ils ne pourront une nouvelle fois se fonder que sur leur intime conviction.

Mathilde Tournier et avec AFP