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Inscriptions, préventes... Pourquoi acheter un billet pour voir Beyoncé (et les autres concerts) est-il si compliqué?

Beyoncé lors du concert de la mi-temps d'un match de la NFL, le 25 décembre 2024.

Beyoncé lors du concert de la mi-temps d'un match de la NFL, le 25 décembre 2024. - Netflix

Les artistes internationaux mettent en place des processus de billetterie toujours plus fastidieux pour leurs concerts. Tirages au sort, préventes, files d'attentes interminables... Pourquoi l'achat de tickets est-il devenu si compliqué?

Pour ceux qui espèrent applaudir Beyoncé au Stade de France, les 19, 21 et 22 juin prochains, le marathon a déjà commencé. La semaine s'écoule au rythme de trois préventes de billets, du mardi 11 au jeudi 13 février, avant de s'achever avec la vente générale le vendredi 14. Soit quatre chances, en tout, d'obtenir l'une des quelque 240.000 places disponibles pour les dates françaises de ce Cowboy Carter Tour.

Chacune de ces préventes mises en place par Ticketmaster, grand manitou mondial de la billetterie en ligne, a sa spécificité. La première, la prévente BeyHive (le surnom dont les fans de Beyoncé se sont affublés), était exclusivement réservée aux abonnés du site officiel beyonce.com. La deuxième, la prévente Mastercard, n'est accessible qu'aux détenteurs de la fameuse carte de paiement. La dernière, la prévente Artiste, est une prévente classique: elle sera ouverte à quiconque s'est inscrit en temps et en heure pour pouvoir y participer.

Les nerfs des aspirants spectateurs seront donc mis à rude épreuve, d'autant que rien ne leur garantit d'obtenir un billet, pas même l'inscription à une prévente. Tout dépendra de leur placement dans les files d'attente virtuelles et du bon fonctionnement de la plateforme de mise en vente le Jour-J.

Rien de nouveau sous la billetterie?

Les préventes sont devenues un passage obligé pour quiconque souhaite assister à un concert d'une grande star internationale. Beyoncé, The Weeknd, Oasis récemment ou Taylor Swift: tous ont recours à ce système. Comment en sont-elles venues à se décliner en plusieurs sessions? Pour Angelo Gopee, directeur général de Live Nation France (Live Nation Entertainment est la société-mère de Ticketmaster), le phénomène n'a rien de nouveau:

"C'était déjà le cas il y a dix ans", assure-t-il auprès de BFMTV.com. "Les artistes ont mis en place des préventes pour être sûrs que les fans aient accès à des billets avant le grand public, dans l'objectif de récompenser leur fidélité."

La prévente Mastercard résulte, elle, d'un partenariat. Là encore, "ça fait dix ans que ça existe", insiste-t-il, citant de précédents partenariats avec Amex ou la Caisse d'épargne.

Il présente ainsi le déroulé "prévente fan, prévente Mastercard, prévente Ticketmaster et, enfin, vente publique" comme un schéma habituel. Ce qui a changé, selon lui, ce sont les outils dont disposent les fans pour faire connaître leur mécontentement lorsqu'ils ressortent perdants de cette chasse au ticket. Car c'est désormais un réflexe: leur frustration post-billetterie, ils la passent à loisir sur TikTok ou X (ex-Twitter) - mettant ainsi un coup de projecteur sur le phénomène.

Une demande toujours plus forte

Ce fut le cas à l'été 2023 quand Ticketmaster a coupé court à la vente des billets pour les concerts français de Taylor Swift, après une série de dysfonctionnements. Les fans de la chanteuse, qui avaient déjà dû se soumettre à un tirage au sort dans le simple espoir de pouvoir accéder aux files d'attente de la billetterie, s'étaient alors répandus en messages colériques sur les réseaux sociaux, invectivant la plateforme et attirant l'attention des internautes comme des médias sur ces systèmes de mise en vente fastidieux.

Pour Olivier Darbois, président du syndicat du spectacle vivant Ekhoscènes, ces préventes permettent aussi de réguler des ventes virtuelles non seulement saturées, mais aussi constamment menacées par des attaques de bots, lesquels viennent faire main basse sur les billets pour les revendre sur le marché noir.

Il met en avant une "explosion de la demande" post-Covid, confirmée par les derniers chiffres publiés par le ministère de la Culture. Entre 2022 et 2023, le nombre de billets disponibles pour des représentations de spectacle vivant en France a augmenté de 11% et les revenus de la billetterie ont bondi de 17%. Les concerts représentent à eux seuls près de la moitié des spectateurs du spectacle vivant sur l'année.

"Le public a été privé pendant deux ans de spectacles avec la pandémie, et il y a eu une grosse focalisation médiatique sur la fermeture de notre secteur; certaines personnes ont découvert ce qu'était le spectacle vivant."

Plus d'artistes, plus de fans

Cette hausse de l'intérêt du public, Angelo Gopee l'explique par un autre phénomène: l'accessibilité, plus facile que jamais, à la musique. Les réseaux sociaux et les plateformes de streaming ont en effet permis au quidam de découvrir "des milliards de chanteurs", mettant fin au monopole de la radio et des chaînes musicales:

"Une playlist en radio, c'est une quarantaine de titres. Sur Spotify ou Deezer, ce sont des millions de morceaux qui sortent chaque semaine."

"Avant, les fans de rap écoutaient du rap et les fans de pop écoutaient de la pop. Les réseaux sociaux et les plateformes ont décloisonné les genres." Quand ils n'en ont pas fait émerger de nouveaux: "Entendait-on de la K-Pop en radio, avant?", demande-t-il.

Sitôt en vente, sitôt vendu

Ainsi, c'est cet intérêt renouvelé pour la scène, couplé aux nouveaux outils quasi-exclusivement numériques d'achat de billets, qui rendrait la concurrence toujours plus rude pour obtenir des tickets:

"Quand j'ai commencé ce métier, c'étaient des billets physiques", rappelle Olivier Darbois. "Il fallait se déplacer en boutique pour aller les chercher. Aujourd'hui, c'est numérique: vous pouvez acheter de votre portable, de votre ordinateur, ce qui accélère la séquence d'achat."

"Dès que l'information (de la mise en vente) est passée, il y a un rush immédiat sur les outils pour aller chercher la place de concert. Ce qui provoque soit un embouteillage, soit une période de vente très courte, car tout se vend excessivement vite."

S'il insiste sur le fait que les préventes ont été mises en place uniquement pour favoriser les fans, Angelo Gopee admet: elles permettent également, à l'heure du tout numérique, des bots et d'une explosion de la demande, de "pondérer largement le trafic".

Des prix fous légitimés?

Trop de fans, trop de bots, pas assez de places. Un déséquilibre entre l'offre et la demande qui, forcément, occasionne une autre déconvenue pour les fans: "Les prix augmentent de manière stratosphérique", déplore auprès de BFMTV.com Françoise Benhamou, autrice de L'économie de la culture (Éditions La Découverte) présidente du Cercle des économistes, professeure émérite à l'Université Sorbonne Paris Nord.

En 2023, les places françaises pour le Celebration Tour de Madonna ont coûté jusqu'à 650 euros, celles d'Elton John 580 et Beyoncé 450. "On se retrouve avec une bulle inflationniste qui n'en finit pas", déclare la spécialiste. Sans parler de la tarification dynamique, système en vigueur dans les pays anglo-saxons, qui permet d'adapter les prix à la demande - ce qui génère des envolées tarifaires.

La demande explose, les prix aussi... et, dans le même temps, les complexes processus de préventes rendent peut-être la place de concert encore plus désirable. Justifiant aux yeux des fans ces prix toujours plus hauts, dans un cercle mercantile vertueux?

"Il y a des stratégies pensées pour créer des effets de rareté, parfois artificiels", avance Françoise Benhamou. "L'attente est une manière de créer l'engouement. On amplifie l'effet 'événement exceptionnel', 'une fois dans votre vie', 'vous pouvez mettre de l'argent', décrypte-t-elle.

Angelo Gopee, de son côté, balaie toute idée de stratégie: "Il n'y a pas de tentative d'événementialiser", assure-t-il. "L'événement, c'est l'annonce du concert ou de la tournée, pas la mise en vente."

Doit-on s'attendre, alors, à voir les places de concerts devenir toujours plus chères et toujours plus difficiles à obtenir? "Je pense qu'il y aura un plafond", prédit Françoise Benhamou. "À un moment, quand nous aurons atteint des prix devenus fous, je pense que la demande cessera de suivre." Une fois ce plafond atteint, les sessions de préventes seront-elles aussi nombreuses?

https://twitter.com/b_pierret Benjamin Pierret Journaliste culture et people BFMTV