La créatrice du mouvement #MeToo réagit au verdict contre Amber Heard: "le mouvement n'est pas mort"

L'actrice Amber Heard à sa sortie du tribunal de Los Angeles ce mercredi à l'issue du procès qui l'opposait à Johnny Depp. - Brendan SMIALOWSKI
Le verdict du procès qui opposait Johnny Depp à Amber Heard, largement favorable à l'acteur américain, a fait naître une inquiétude au sein des cercles féministes: cinq ans après l'affaire Weinstein et la libération de la parole sur les violences sexistes et sexuelles, cette condamnation d'une femme qui assure avoir été victime de violences conjugales marque-t-elle un retour en arrière? Non, a répondu jeudi l'Américaine Tarana Burke, instigatrice du mouvement #MeToo.
"Le mouvement #MeToo n'est pas mort, c'est le système qui l'est", assure-t-elle dans un message publié sur Twitter. "Le même système judiciare dont vous avez toutes attendu justice (...) pendant des décennies sans jamais obtenir gain de cause."
Lancé sur les réseaux sociaux dans la foulée des accusations de violences sexuelles contre le producteur Harvey Weinstein, à l'automne 2017, des millions d'internautes avaient utilisé ce hashtag pour faire part de leurs propres expériences de harcèlement et/ou de violences sexuelles. Ce raz-de-marée avait propulsé dans le débat public la question de l'oppression des femmes, au niveau mondial.
"Quand vous obtenez le verdict que vous vouliez, 'le mouvement fonctionne'. Quand vous ne l'obtenez pas, il est mort", ajoute Tarana Burke. "Quand Weinstein est allé en prison, tout le monde a dit '#MeToo l'emporte!'. Quand Cosby est rentré chez lui (après avoir été libéré de prison, NDLR) tout le monde a dit 'C'est foutu, #MeToo a perdu'."
"Ce mouvement en EN VIE"
"Pendant ce temps, des millions de personnes qui n'ont jamais été capables de prononcer les mots 'ça m'est arrivé' se sont débarrassées de la honte qu'elles n'avaient pas à porter, nous avons créé le premier agenda politique du pays uniquement mis en place par des survivantes (de violences), et pour la première fois depuis qu'Anita Hill a témoigné il y a trois décennies nous avons engagé un dialogue national continu sur non seulement le harcèlement sexuel mais le spectre des violences sexuelles dans ce pays. À celà s'ajoute les diverses lois et politiques obtenues, etc. Il n'y a pas de doute: ce mouvement est EN VIE."
Elle conclut en s'adressant manifestement aux opposants à ce mouvement: "Vous voulez jouer au ping pong et faire ce que vous voulez du hashtag parce qu'il ne signifie rien pour vous, alors vous essayez de le tuer tous les quelques mois. Mais il signifie quelque chose pour des millions et des millions de personnes. Il signifie la liberté, la communauté, la sécurité, le pouvoir. Vous ne pouvez pas nous tuer. Nous sommes au-delà du hashtag. Nous sommes un mouvement."
Attaques en diffamation
L'objet du procès qui opposait Johnny Depp et Amber Heard était une plainte en diffamation déposée par l'acteur, en rapport à la publication d'une tribune publiée en 2018 dans le Washington Post dans laquelle Amber Heard affirmait avoir été victime de violences conjugales, sans toutefois citer son ex-mari.
Amber Heard avait répliqué avec une autre plainte pour diffamation, concernant des propos de l'avocat de Johnny Depp qui avait qualifié les déclarations de l'actrice de fausses. Elle demandait le double de son ex-mari, soit 100 millions de dollars.
Chacun condamné
Les six semaines de ce procès retransmis en direct aux États-Unis ont été le théâtre d'un grand déballage sur les détails les plus scabreux de leur vie de couple. Amber Heard a raconté, pour la première fois, une dispute suivie d'un viol supposé en mars 2015, lors du séjour du couple en Australie où Johnny Depp tournait le 5e épisode de la saga Pirates des Caraïbes. L'acteur, qui a toujours nié avoir été un mari violent, a eu l'extrémité du majeur droit sectionné et a été hospitalisé.
Johnny Depp affirme que c'est l'éclat d'une bouteille de vodka lancée par Amber Heard, et qui s'est brisé près de sa main, qui l'a blessé. L'actrice assure qu'il s'est blessé tout seul. Il a ensuite utilisé son sang pour inscrire des messages insultants sur les murs, les miroirs et les abat-jour de leur maison de location.
La justice les a tous les deux condamnés pour diffamation, mais Amber Heard a écopé de dommages et intérêts de 15 millions de dollars (dont le montant a été ramené à 10,4 millions par la juge), tandis que son époux devra lui verser 2 millions. Peu après l'annonce du verdict, l'actrice avait réagi en se disant "dévastée": "Je suis encore plus déçue par ce que ce verdict signifie pour les autres femmes. C'est un revers. Cela remet en cause l'idée que la violence envers les femmes doit être prise au sérieux".