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Cinéma

Thriller efficace et implacable, "Un simple accident", Palme d'or à Cannes, arrive en salles

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CRITIQUE - Ce road-movie tendu autour d'une petite troupe d'anciens détenus kidnappant leur présumé bourreau, en salles ce 1er octobre, confirme le courage d’un cinéaste entravé, mais inarrêtable.

Un Iranien, Eghbal, quarante ans approximatifs, au volant de son auto sur une route noire, plein phares, est assis à côté de sa femme, sur le siège passager, voilée et enceinte. À l'arrière, leur fille apparaît au milieu des deux sièges, dansante et rieuse. Elle augmente le son des basses. Le père se tend. Il craint d'être dévisagé par les voitures passantes. Il fait nuit. La petite famille percute un animal. S'arrête, abasourdie. Puis reprend la route et demande secours à des garagistes un peu plus loin.

Là, à la vue d'Eghbal, le mécanicien, type ordinaire à moustache, se fige. Il croit reconnaître le sanguinaire qui l'a torturé des heures durant lorsqu'il était emprisonné, les yeux bandés, par les autorités iraniennes. Sa prothèse de jambe couine comme dans les geôles. Sa démarche aussi, saccadée et bruyante, éclopée, sûre d'elle-même, lui semble familière. Aussitôt, il veut se venger. L'enlève alors pour l'enterrer vivant. Jusqu'à ce que le doute s'immisce. Il retourne alors à la capitale et demande à plusieurs anciens codétenus persécutés, eux aussi les yeux voilés, de confirmer, ou non, son identité.

Le onzième tableau de l'Iranien Jafar Panahi, auréolé de la Palme d'or en mai dernier à Cannes et choisi pour représenter la France aux Oscars 2026, façon thriller dans le désert et les ruelles de Téhéran, démarre dans l'obscurité et la méfiance. S'ensuit une sorte de road-movie choral et tendu sur les routes iraniennes, en camionnette. Certaines victimes n'ont que la vengeance à la bouche, d'autres veulent juste savoir, entendre un aveu, lui dire leurs traumatismes. Rétablir un temps soit peu une forme de justice.

Charge tranchante

Le réalisateur de Taxi Téhéran (2015, Ours d'or du meilleur film à la Berlinale), Trois visages (2018, Prix du scénario à Cannes) ou encore Aucun ours (2022, Prix spécial du jury à la Mostra de Venise), 65 ans, protégé d'Abbas Kiarostami, dont il fut l’assistant réalisateur dans sa jeunesse, n'y va pas par quatre chemins. Son film, fait de rebondissements, de poésie, de dilemmes moraux et de visages à feu et à sang, hyper humains, ou en recherche d'humanité, est avant tout une charge tranchante contre le régime iranien.

Jafar Panahi dézingue le régime des mollahs, son intolérance, sa fureur, sa surveillance totalisante, sa corruption. Ses sévices contre tous ceux qui lèvent un sourcil ou pensent autrement que lui. Il dépeint aussi le traumatisme de ses victimes et l'horizon impossible qu'il leur reste, entre besoin de justice et désir forcené de vengeance. Comment donc passer à autre chose, peut-être pardonner? Obtenir justice? Ne pas reproduire la même violence? Sortir enfin de la prison?

Jafar Panahi n'en oublie pas non plus l'humour - dans un premier temps du moins -, plaçant ses personnages un poil burlesques autour d'un dispositif absurde et tragique. Puis le film avance, roule surtout, s'enfonce dans le thriller et les dilemmes éthiques (que faire face à cet énergumène dont on soupçonne les pires atrocités?) et débouche sur un final autour d'un tronc d'arbre, saisissant et magnifique.

Irréprochable

Taillé pour indigner, Un simple accident n'est peut-être pas la Palme d'or la plus surprenante des dernières décennies, tant elle s'inscrit dans la lignée du renouveau du cinéma iranien des années 2010-2020, porté par Mohammad Rasoulof (l'an passé, son génial Les Graines du figuier sauvage, peut-être encore plus nerveux et intime qu'Un simple accident, avait loupé de peu la Palme, glanant quand même un Prix spécial à Cannes), Asghar Farhadi, Saeed Roustaee et lui-même. Mais elle a la qualité d'être ultra maîtrisée, visuellement, scénaristiquement, philosophiquement. Efficace donc, voire irréprochable - trop scolaire diront les mauvaises voix.

Et puis, elle a la qualité de juste exister. Quand on sait que son réalisateur, empêché de circuler et d’exercer son art par la République islamique depuis 2009, censuré, emprisonné à deux reprises (il a notamment fait une grève de la faim et de la soif lors de sa seconde incarcération, entre juillet 2022 et février 2023, pour dénoncer ses conditions de détention), a tourné Un simple accident clandestinement, on se dit que l'homme a un certain degré de courage. Son film n'en vibre que davantage.

Estelle Aubin