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Pourquoi les films d'animation "Barbie" sont bien plus subtils que vous ne le pensez

Le film "Barbie : Cœur de princesse" (2004)

Le film "Barbie : Cœur de princesse" (2004) - Mattel Entertainment

Les films d'animation de la licence Barbie, entre commentaires ironiques et sous-textes crypto-gays, ont ouvert la voie au film avec Margot Robbie, en salles ce mercredi 19 juillet.

Et si Barbie: Cœur de princesse était un chef-d'œuvre méconnu du 7e Art? Un rapide coup d'œil sur la franchise Barbie - qui compte désormais 42 films d'animation et une demi-douzaine de séries animées - suffit en tout cas pour se rendre compte de la puissance ironique de cette licence depuis une vingtaine d'années.

Revoir Barbie: Cœur de princesse avant le live action Barbie avec Margot Robbie (en salles le 19 juillet) permet ainsi de comprendre comment sa réalisatrice Greta Gerwig a pu imposer sa vision tout en autodérision sur la poupée et sa maison-mère Mattel, au sein d'un projet aussi mercantile et contrôlé.

Sorti en 2004, Barbie: Cœur de princesse est une libre adaptation du Prince et le Pauvre de Mark Twain. Anneliese, une princesse blonde promise en mariage au roi Dominic du pays voisin, et Erika, jeune fille brune et pauvre travaillant dans un atelier de couture au village, rêvent toutes deux de liberté et de bonheur.

Un jour, les deux jeunes filles se rencontrent par hasard. Découvrant qu'elles se ressemblent parfaitement, elles nouent un fort lien d'amitié. Lorsque Anneliese est enlevée par le machiavélique Preminger qui convoite le trône, Erika accepte avec courage de prendre sa place pour rétablir l'ordre...

Métaphore de l'homosexualité

Si Cœur de princesse est devenu culte, notamment grâce à son ton volontairement kitsch, certains y voient une métaphore de la découverte de l'homosexualité. C'est la théorie que développe le vidéaste Alexander Avila dans une vidéo intitulée "Overanalyzing the Barbie Movies with Queer Marxist Theory".

"Les deux héroïnes désirent fondamentalement pouvoir déterminer leur propre destin", explique-t-il dans cette vidéo vue près d'un million de fois sur YouTube. "Je suis certain que les personnes queer peuvent s'identifier à cette sensation d'être piégé dans une voie."

"Rêver à une alternative que la société nous présente comme impossible: non seulement l'enjeu principal du film est incroyablement queer, mais peut-on imaginer une ambition plus homosexuelle que celle de vouloir épouser la personne que l'on aime vraiment plus que tout et travailler dans les arts?", ajoute-t-il.

Un chef-d'œuvre postmoderne

Greta Gerwig et Noah Baumbach, son co-scénariste, ont appliqué ce sous-texte à leur film Barbie. Ils ont déclaré en interview s'être inspirés de Reviving Ophelia, un livre de 1994 qui analyse l'entrée des jeunes filles dans l'adolescence et les doutes que créent en elles la pression sociale. Des émotions que va vivre Barbie dans son film.

Entre The Truman Show et Matrix, le film suit en effet Barbie (Margot Robbie) alors qu'elle commence à se poser des questions sur ce qui la rend humaine. Débarquant dans le monde réel avec Ken (Ryan Gosling) pour découvrir la vérité sur l'univers, elle est poursuivie par le patron de Mattel (Will Ferrell), décidé à la faire rentrer dans le rang.

Ces questionnements étaient déjà abordés dès 2012 dans la série Barbie et sa maison de rêve, rappelle le vidéaste T. Pralinus. "Barbie et sa maison de rêve, c'est vraiment un chef-d'œuvre postmoderne [soit un film qui apporte une distance critique à un discours devenu hégémonique, NDLR]. Il y a une vraie conscience du public: c'est monté comme une télé-réalité, il y a un épisode entier sur la pénurie de paillettes."

"Les personnages ont conscience d'eux-mêmes", ajoute Diane Truc, co-autrice du webtoon Colossale. "Ils savent qu'ils sont en plastique et que tout est en plastique. À un moment, elle court avec ses potes dans le tambour d'une machine à laver. L'une d'elle dit: 'Mes articulations n'ont pas été faites pour ça!' C'est hyper méta!"

Les films d'animation témoignent de la normalisation depuis les années 2000 du "camp", une esthétique propre à la communauté LGBT+ et qui joue sur l'exagération, le grotesque, la provocation et l'ironie. "Les premiers films sont accidentellement camp, les suivants le sont plus ouvertement", note T. Pralinus.

"Les premiers films étaient des réécritures de contes et de ballets. Un virage a été pris à partir du moment où ils ont décidé de situer des films Barbie dans la vie réelle", renchérit Océane Zerbini, créatrice du podcast sur la pop culture Lemon Adaptation Club. "Ils ont commencé à faire des films avec un second degré un peu plus explicite."

"Les personnages de Barbie et sa maison de rêve sont beaucoup dans le sarcasme et l'ironie", confirme Diane Truc. "Tu peux mater un film Barbie comme tu pourrais mater avec des potes une soirée drag queen. Il y a des punchlines dans tous les sens."

Un esprit qui les rend souvent très jouissifs à regarder, indique Océane Zerbini: "Je préfère Barbie, princesse Raiponce au Raiponce de Disney. C'est très premier degré. Ça ne cherche pas à faire de l'humour à tout prix toutes les deux secondes comme le fait Disney. Évidemment, ce n'est pas une très bonne adaptation du conte."

"Ils se sont de plus en plus lâchés"

Après avoir joué les princesses pendant des années, Barbie est ainsi devenue agent secret, gameuse, astronaute, styliste. Une manière aussi pour Mattel de changer discrètement son image grâce aux films. "Ils ont compris qu'il fallait prendre un virage pour plaire davantage", note Océane Zerbini.

Ce virage est intervenu dans la licence Barbie au cours des années 2010 parallèlement au développement du film live. Dans la première version du script, avec Amy Schumer en star, une Barbie renvoyée du monde des Barbies se retrouvait ainsi obligée de s'intégrer au monde réel dans le corps d'une femme imparfaite.

"Au fur et à mesure, ils se sont de plus en plus lâchés dans les films", poursuit Océane Zerbini. "Mattel a vu que ça marchait, mais aussi que le cœur de cible était certes les petites filles, mais aussi celles qui avaient grandi. Ce n'est pas anodin. C'est aussi quelque chose qui est chez Gerwig. Il y avait des graines plantées dans ces films."

Les réseaux sociaux ont joué un rôle dans cette valorisation nouvelle des films animés Barbie, complète-t-elle: "Les réseaux sociaux ont permis à ces films d'avoir une nouvelle jeunesse. Ce n'est pas anodin quand Netflix fait un tweet pour dire qu'ils ont récupéré les films Barbie. Ils savent clairement à qui ils s’adressent."

"Barbie, c'est l'alpha-bitch"

Les films Barbie proposent une vision de la femme puissante, estime T. Pralinus: "Les autres ont le droit d'être un peu puissants, mais c'est Barbie la plus puissante. C'est Barbie qui fait tout. Elle énerve tout le monde parce qu'elle fait tout parfaitement. Les mecs ont très peu de caractère. C'est l'alpha-bitch de toutes ces histoires."

Ces films mettent plus particulièrement en avant l'amitié féminine. Barbie au bal des douze princesses est ainsi un éloge de la sororité. Cœur de princesse est un plaidoyer pour l'indépendance des femmes. Le Palais de diamant et La Magie des dauphins nous apprend enfin qu'il n'y a pas de plus belle relation que l'amour entre deux femmes.

"Dans ces films, iI y a cette idée très commerciale d'être soi-même alors que la Barbie en elle-même est très normée. Mais Barbie réussit à exprimer son individualité en dépit de normes très rigides", analyse T.Pralinus. "Les films sont tellement à fond sur l'amitié entre les meufs qu'il y a un public lesbien qui reçoit ça avec beaucoup de joie."

Un court extrait du film, dévoilé récemment par Warner, montre que Greta Gerwig a bien retenu la leçon de la franchise animée. Un bref échange de regards entre Barbie et Gloria (America Ferrera), une employée de Mattel aidant la poupée à s'enfuir, a enflammé la communauté lesbienne sur les réseaux sociaux.

"Mattel ne fait pas attention"

Comment ce discours queer a-t-il pu infiltrer une franchise aussi mercantile? "Personne n'en a rien à foutre", répond T.Pralinus. "Mattel ne fait pas attention. Et il n'y a pas non plus de messages révolutionnaires sous-jacents dans ces films." Pour lui, ce discours queer ne s'oppose pas à la dimension mercantile de Barbie. Au contraire:

"C'est même dans la lignée du personnage qui au départ était vu comme une manière d'éduquer les petites filles et a évolué en pseudo-icône féministe", affirme-t-il. "Le camp fait aussi vendre, comme on le voit avec RuPaul. Il y a un public gay et un public féminin plus âgé, avec un pouvoir d'achat clairement identifiés."

Si les films Barbie sont tous des métaphores sur l'homosexualité, "on ne peut pas affirmer que Barbie est gay", nuance cependant le vidéaste Alexander Avila:"Le principe du monde de Barbie est de lui donner soi-même le sens que l'on veut."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV