"Une machine à broyer": comment le milieu du cinéma a été secoué par la commission d'enquête sur les violences sexuelles

La révolution aura-t-elle lieu? La commission d'enquête sur les "violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité", a rendu son rapport ce mercredi 9 avril.
Près de 90 propositions y figurent pour tenter d'assainir l'industrie du cinéma, du spectacle vivant et de la mode. Et de mettre fin à des pratiques, révélées par les témoignages parfois bouleversants des acteurs du secteur.
"On ne pensait pas que c'était si systémique"
Cette commission, constituée à l'initiative de la comédienne Judith Godrèche, et présidée par l'élue écologiste Sandrine Rousseau aura en effet eu le mérite de libérer la parole et de faire prendre conscience à certains acteurs de l'industrie du cinéma, mais aussi au grand public de la violence et du sexisme qui y règnent.
"Ce qu'on a découvert, c'est que ce monde est une machine à broyer des talents", a détaillé le député Erwan Balanant, rapporteur de la commisssion ce mercredi sur BFMTV.
"On ne pensait pas que c'était si systémique, que c'était endémique, que c'était si ancré dans ce milieu".
Pendant près de six mois, les témoins se sont succédé, parfois à huis clos, pour évoquer, à travers leur cas personnel et leur expérience, les violences qu'ils ont pu constater ou vivre. Certains témoignages, particulièrement marquants, montrent en tout cas de la différence de traitement - et de perception - entre les hommes et les femmes, notamment sur les tournages.
"Mains balladeuses et réflexions grasses"
"Je n'avais pas pris auparavant la pleine mesure de ce à quoi les femmes sont confrontées dans le monde personnel ou professionnel", a ainsi reconnu le producteur des Trois Mousquetaires, Dimitri Rassam, le 13 mars 2025.
"Malheureusement, pour beaucoup d’hommes – et je ne sais pas si cela relève d’un déni –, il y avait de toute évidence une déconnexion entre ce que vivaient les femmes et ce que nous en percevions."
À son image, plusieurs professionnels du secteur, travaillant dans le milieu depuis des décennies, ont fait état de leur déconnexion.
"J'ai entendu des choses: des maquilleuses m'ont parlé d’acteurs aux mains baladeuses et de réflexions grasses et débiles – c'est assez fréquent", a reconnu Gilles Lellouche, lors d'une table ronde le 10 mars, tandis que Jean-Paul Rouve, acteur depuis plus de 25 ans, assurait, lui n'avoir "jamais rien vu sur un plateau".
"Dans l'ordre des choses"
"Nous ne mentons pas quand nous disons n'avoir rien vu ni entendu", a insisté l'acteur. "Les femmes, de manière générale, ne parlent pas des gestes et des regards déplacés qu'elles subissent constamment, dans la rue et ailleurs (...) Mes amies comédiennes ne m'en parlent pas parce que, malheureusement, elles considèrent que c'est dans l'ordre des choses."
Si cette introspection a pu mener à quelques remises en questions - "Je pense que j'ai pu être lourd dans ma façon de signifier les choses", a ainsi lâché le comédien Pio Marmaï - certains ont refusé de remettre en cause leurs pratiques.
L'agent de stars Dominique Besnehard a, lui, carrément accusé les comédiennes, assurant: "J'ai quand même vu des actrices un peu dépasser les bornes". "On ne va pas dans un hôtel avec un metteur en scène. Weinstein, qui allait à Cannes, certaines actrices allaient dans sa chambre pour peut-être faire une carrière américaine. Je l'ai vu ça", a-t-il raconté.
"Impressionnant et assez terrifiant"
Ce que ces auditions ont également révélé, a expliqué ce mercredi Erwan Balanant sur BFMTV, c'est qu'au delà de quelques cas emblématiques, comme celui de Judith Godrèche, qui a initié cette commission d'enquête, ou des quelques actrices qui ont parlé, comme Adèle Haenel ou bien avant, Maria Schneider, ces violences touchent tout le monde, à tous les niveaux.
"Ce qui est apparu, c'est qu'au-delà des cas de stars, il y avait des techniciens, des techniciennes, des jeunes comédiens, qui souffraient de violences tout au long de leur carrière", a souligné Erwan Balanant.
Judith Godrèche a qualifié le constat d'"impressionnant et assez terrifiant". "Mais je n'en suis pas étonnée parce que je ne m'attendais pas à mieux", a-t-elle déclaré sur Franceinfo ce mercredi.
En plus de son témoignage, on a pu entendre ceux, particulièrement frappants, des actrices Anna Mouglalis, Nina Meurisse, Sara Forestier. Mais aussi ceux d'Amandine Lach, critique cinéma, ou Sophie Tissier, assistante réalisatrice, victimes de violences sexistes et sexuelles. Mais aussi des scénaristes, des figurants, des scriptes, des opérateurs...
"Sexisme institutionnel"
Tous ont décrit des propos sexistes, des relations d'emprise, de domination, un "sexisme institutionnel" ou encore "l'injustice de la précarité financière".
"Mon stage s'est clos sur un 'alors c'est bientôt fini ton stage, quand est-ce que tu me suces'", a raconté, bouleversée, Sophie Tisser.
"J'avais 10 ans quand j'ai tourné pour la première fois", a également livré l'actrice Nina Meurisse. Dans ce film, il y a une scène de viol. (...) Je vois arriver en courant un jeune acteur, qui me saute dessus, qui me prend la poitrine et qui essaie de me soulever la robe. On refera la scène plusieurs fois. J'ai dix ans, je n'ai même jamais embrassé un garçon, je suis tétanisée".
"J'ai été frappée", a livré pour sa part Anna Mouglalis, racontant ses expériences de tournages. "C'était d'ailleurs très prévisible, puisque l'acteur et le reste de l'équipe, masculine, s'étaient alcoolisés dès le petit-déjeuner. Au moment où l'acteur m'a mis une droite, le réalisateur a dit: 'On continue à tourner !'."
Pour Erwan Balanant, il règne dans le cinéma "le 'culte du talent', qui fait que le talent permettrait tout. Le talent permettrait au réalisateur de traiter comme il veut ses acteurs." C'est ce qui ressort en tout cas de ces témoignages.
"J'ai commencé ma carrière en disant 'non', a lâché la comédienne Sara Forestier, qui a démarré sa carrière à l'âge de 13 ans. "Quand on m'a demandé de retirer ma culotte et de la faire tournoyer dans les airs pour qu'elle atterrisse dans l'assiette d'un autre personnage, dans une scène soi-disant comique d'un court-métrage. (...) J'ai dit non et je suis partie."
"À vous écouter on a l'impression de voir ces dessins qui expliquent la chaîne alimentaire", a lancé Erwan Balanant lors d'une audition, ajoutant: "J'espère que c'est le tableau d'une époque en partie révolue".
Les propositions de cette commission d'enquête visent en tout cas à endiguer ces violences systémiques, comme l'a écrit la députée Sandrine Rousseau dans ce rapport.