Tunisie: Daesh s'invite dans la campagne

Dans cette vidéo, un jihadiste qui s'identifie comme Abou Mouqatel a revendiqué l'assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. - al-Itisaam Media Foundation - AFP
"Oui tyrans, c'est nous qui avons tué Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi", dit dans la vidéo un jihadiste qui s'identifie comme Abou Mouqatel. Le ministère tunisien de l'Intérieur y a reconnu Boubaker Hakim sur son état civil, un Franco-tunisien déjà recherché. Or, précision cocasse, ce Mouqatel ou Hakim voit dans les marxistes des "tyrans" alors que les marxistes n’ont jamais dirigé la Tunisie. Bien au contraire, ils ont fait l’objet de sévères contrôles et même de vagues de répression sous le régime de Bourguiba (1956-1987) puis de Ben Ali, renversé en 2011.
A Paris, des spécialistes ont d’ailleurs discouru ce mercredi du sujet du terrorisme, à quelques jour du scrutin en Tunisie. Dans une salle de l’Assemblée nationale, ils ont rappelé que le terrorisme était pratiquement le problème national numéro 1 dans ce pays, ex-aequo avec le chômage. Parfois même, le terrorisme islamiste passait devant le chômage dans la vision de la demi-douzaine de Tunisiens invités à s'exprimer!
La crainte de la contagion jihadiste
Prenons les deux intervenants les plus à gauche:
Abderrazak Hammami, secrétaire général du Parti du Travail Patriotique et Démocratique, de tendance communiste et - fait rarissime dans le monde arabe - disposant d’une quinzaine d’élus au Parlement, proche des deux militants assassinés par Daesh, note que des organisations politiques œuvrant à ciel ouvert ne cachent pas leurs proximités avec Ansar al Charia, avec Daesh et avec al-Qaïda! Les liens entre groupes terroristes tunisiens et libyens sont patents. "La solution uniquement sociale et économique ne suffira pas, il faudra une réaction sécuritaire à la menace terroriste extérieure. Et si les groupes terroristes libyens finissent par dominer en Libye, la Tunisie sera la prochaine cible", prédit-il. Hammami fait ici allusion aux suspicions qui visent le candidat Moncef Marzouki, candidat favori des électeurs islamistes.
Prenons maintenant le point de vue d’une chercheuse et enseignante tunisienne du supérieur, de sensibilité de gauche: Badra Gaâloul, présidente du Centre international des études stratégiques, sécuritaires et militaires, à Tunis. Depuis la chute de Ben Ali, rappelle-t-elle, la Tunisie sort de quatre années de violences, d’assassinats politiques, d’apparitions de mouvements terroristes. Le président de la République, dans la nouvelle Constitution, devra définir la politique générale de défense et de sécurité. Or, Moncef Marzouki n’a pas su, selon Gaâloul, tisser des relations entre la présidence et les forces de sécurité et de police, alors que les mafias sont aux frontières avec la Libye, où sévissent tous les groupes jihadistes. En outre, on compte deux millions de Libyens en Tunisie, pour une population globale de 10 millions d'habitants, et les contacts sont faciles entre les deux pays.
En conclusion, l’apparition sur la scène de Daesh comme auteur des assassinats politiques les plus consternants de 2013 donne un nouveau souffle à ces voix tunisiennes déjà anti-islamistes. Et enfin chacun craint la contagion jihadiste libyenne, ce cadeau empoisonné du renversement de Kadhafi.