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Sein Win « La corruption règne, la population souffre »

Sein Win: « La corruption règne, la population souffre »

Sein Win: « La corruption règne, la population souffre » - -

Le docteur Sein Win, premier Ministre du gouvernement en exil, décrypte la situation, de plus en plus tendue, en Birmanie.

J-J B : Commençons par rappeler qui vous êtes. En 1990, la ligue nationale pour la démocratie dirigée par Aung San Suu Kyi, qui est votre cousine et Prix Nobel de la Paix, obtient 82% des sièges aux élections législatives générales organisées par les militaires. Mais les militaires refusent de transférer le pouvoir et ne laissent pas siéger l’Assemblée nouvellement élue. Les forces démocratiques forment alors un gouvernement en exil. Un Gouvernement de coalition nationale, dont vous êtes le Premier Ministre.

J-J B : Regardons ensemble les dernières informations en provenance de Birmanie : tirs de sommation des forces de sécurité birmanes pour dissuader les manifestants de se rassembler dans l’est de Rangoon. Est ce que la situation est très grave ?
Dr Sein Win : Bien sûr, la situation est grave. Nous sommes très inquiets que ceci puisse amener à un véritable bain de sang. A l’heure actuelle de nombreuses personnes ont été arrêtées et plusieurs ont été tuées.

J-J B : Combien de morts, est ce que vous avez des chiffres ?
Dr S W : Selon les derniers chiffres, on parlerait de sept personnes (ndlr : depuis cet entretien, la télévision birmane avance le chiffre de 9 tués). Mais l’on ne sait pas exactement car le temps passe vite et lorsque des personnes sont arrêtées elles sont frappées et torturées, nous savons que des leaders étudiants sont déjà à l’hôpital.

J-J B : Est ce que vous avez des nouvelles de votre cousine Aung San Suu Kyi ?
Dr S W : Non, la dernière fois que je l’ai vue, c’est lorsqu’elle a pu sortir et rencontrer des Bonzes. Je savais qu’elle allait bien à l’époque. Mais la dernière fois que l’un d’entre nous a pu la voir c’est lorsque M. Gambari (ndlr : émissaire des Nations Unies) est allé en Birmanie il y a un an.

J-J B : Qui est au pouvoir aujourd’hui en Birmanie ?
Dr S W : Comme vous le savez, ceux que nous appelons la junte, ont le pouvoir. Le chef de cette junte utilise l’armée et les structures militaires pour réprimer les populations et pour faire absolument ce qu’il veut.

J-J B : Et face à eux des centaines de milliers de bonzes. Quel rôle joue le bouddhisme aujourd’hui ?
Dr S W : Un rôle moral. Les bonzes sont très importants. Ce sont des religieux que nous respectons énormément. En règle générale ils ne sont pas impliqués du tout dans la vie politique. Mais cette fois-ci c’est différent. Compte tenu de la situation de la population qui est vraiment catastrophique, ils ont eu le sentiment qu’ils devaient s’en mêler et exiger des militaires que quelque chose soit fait. Ils mettent les militaires face à leurs responsabilités. La population n’a même plus de quoi vivre, elle a besoin de nourriture. La situation est vraiment catastrophique. Les bonzes sont puissants et respectés et lorsqu’ils disent quelque chose ils sont écoutés.

J-J B : Mais pourquoi sont-ils sortis précisément de leur isolement ?
Dr S W : Ecoutez, je voudrais vous dire quelque chose : les bonzes jeunes sont de plus en plus politisés. Ils veulent savoir ce qui se passe dans le monde, dans la vie politique. Mais en réalité, selon la doctrine bouddhiste, les moines reçoivent leurs aliments de la population, ce sont des offrandes. Donc ils ont un lien très fort qui les rapproche de la population et quand celle-ci a un problème c’est aux bonzes qu’elle en parle. Donc ne serait-ce que pour recevoir de la nourriture ils se rencontrent… Après avoir fait le tour de dix maisons, cela suffit en principe. En ce moment au bout de vingt maisons, ils n’ont toujours pas assez de nourriture. Donc ils se rendent bien compte qu’il y a des problèmes dans notre pays. La population leur donne des médicaments, de la nourriture. Ils sont vraiment proches et ils ont eu le sentiment qu’ils se devaient de réagir et de défendre ceux qui justement leur permettent de vivre, la population du pays.

J-J B : La Birmanie est un pays riche ou un pays pauvre ?
Dr S W : C’est un pays riche qui a des ressources. Nous avons du teck, des forêts, des pierres, des minéraux et nous avons trouvé du gaz naturel récemment. Je dirais que nous sommes proches de la Malaisie à ce niveau-là. C’est un pays riche. En 1962, avant que les militaires ne prennent le pouvoir, la Birmanie était l’un des pays d’Asie du sud-est les plus riches. C’était un pays riche, peut être qu’il vaudrait mieux le dire comme cela. En tout cas la population ne l’est plus.

J-J B : Il a été pillé ?
Dr S W : Oui tout à fait, c’est exactement ce qu’il s’est passé.

J-J B : Il y a des entreprises françaises qui sont en Birmanie dont le groupe Total. Il y a quatre ans, Bernard Kouchner avait conduit une enquête sur le travail forcé en Birmanie et il avait conclu cette mission d’évaluation en expliquant que Total n’avait pas eu recours au travail forcé. Est ce que vous regrettez cette conclusion ?
Dr S W : Bien sûr. Total peut toujours dire qu’il n’utilise pas de main d’œuvre forcée. Mais l’armée le fait… et puisqu’elle protège l’entreprise Total. Lorsque vous avez un gazoduc qui doit être protégé, il faut mettre en place une infrastructure et c’est l’armée qui va venir sur place pour des raisons de sécurité. Selon nos informations, les militaires utilisent ce système de travail forcé. Total dit le contraire, mais il y a forcément quelque chose de ce genre.

J-J B : Qu’avez vous dit au Président de la République Nicolas Sarkozy hier ? Que lui avez-vous demandé ?
Dr S W : La France est en ce moment présidente du Conseil de sécurité de l’ONU, elle est membre de l’Union Européenne. Elle peut prendre des initiatives et le Président m’a dit qu’il avait justement donné des instructions pour qu’il y ait un débat et une discussion au sein du Conseil de sécurité de l’ONU concernant des sanctions. Il m’a dit qu’il allait justement proposé que les entreprises francaises et européennes n'investissent plus en Birmanie.

J-J B : La Chine et la Russie bloquent toutes interventions internationales aujourd’hui ?
Dr S W : Oui, c’est bien le problème, la Chine et la Russie bloquent des interventions au Conseil de sécurité et celui ci est pourtant l’organisme qui pourrait obtenir un résultat. J’aimerais cependant dire que la Chine, dans son propre intérêt, devrait au contraire faire en sorte d’essayer que les militaires changent d’attitude, qu’il y ait de la stabilité, du développement économique. Aussi longtemps que la junte militaire sera au pouvoir, nous n’aurons pas de stabilité et il n’y aura pas de développement économique.

J-J B : Doit-on utiliser les Jeux Olympiques de Pékin, qui auront lieu en Chine dans quelques mois, comme moyen de pression ?
Dr S W : Bien évidemment on en parle, la question a été abordé lorsque j’ai rencontré M. Sarkozy, mais je ne crois pas que ce sera le cas, aucun pays ne fera quoi que ce soit. D’un autre coté, montrer qu’il y a des liens étroits entre la Chine et le Gouvernement Birman pourrait amener la Chine à revoir sa position. Parce qu’ils veulent quand même organiser les Jeux Olympiques, ils veulent améliorer leur image. Mais avec le gouvernement militaire qui fait ce qu’il veut ce sera beaucoup plus difficile. Car on voit bien que la Chine est le meilleur allié de la Birmanie.

J-J B : La Malaisie et d’autres pays sont opposés à des sanctions économiques contre la junte estimant qu’elles seraient contre-productives et affecteraient avant tout la population. Qu’en pensez-vous ?
Dr S W : C’est toujours un argument qui est avancé : le fait que ça puisse être contre productif, ou que l’on n’obtiendra pas ce que l’on souhaite. Mais une chose est certaine, la population n’en souffrira pas ! Parce qu’elle souffre déjà et ce depuis bien longtemps. Donc si l’on ne fait rien ça s’aggravera plus qu’autre chose.

J-J B : Beaucoup disent qu’il faut absolument continuer à aller en Birmanie parce que le tourisme aide la population. Vous êtes d’accord avec ça ?
Dr S W : En fait, ce que nous disons, c’est : en définitive est-ce que le tourisme va vraiment aider la population ? Est-ce que l’argent va vraiment aller à la population ou aux militaires ? Les gens qui vont là-bas vont simplement passer des vacances ou apprendre sur le pays et la vie locale ?

J-J B : Quelles mesures la Communauté Internationale devrait prendre dans l’urgence pour essayer de sortir ce pays de la tutelle écrasante de cette junte militaire ?
Dr S W : Il faut aider la population dans le pays, ce sont des manifestants qui risquent leur vie.

J-J B : Mais il faut les aider militairement ?
Dr S W : Non, pas militairement. On peut les aider depuis notre exil parce que nous avons bien évidemment des canaux de contacts. Nous les aidons mais nous ne savons pas réellement comment les aider. Ce sont des gens qui ont besoin de nous.

J-J B : Est ce qu’on se satisfait économiquement de la présence de la dictature en Birmanie ?
Dr S W : Bien sûr. Ils ont pillé le pays et disent que l’économie de marché n’est pas une véritable économie. En fait c’est du capitalisme chronique. La corruption règne et c’est la raison pour laquelle la population souffre énormément. Ce n’est pas tellement parce que le pays est pauvre mais parce que les militaires commandent et que ce n’est plus, du coup, une vraie économie de marché. Je vous donne un exemple : les téléphones portables chez moi sont un produit de luxe. Personne ne peut s’en offrir, c’est beaucoup plus cher qu’en France ou aux Etats Unis. Alors que les téléphones sont utilisés partout en Asie, chez nous c’est un produit de luxe. Donc c’est une économie qui est détournée et c’est la raison pour laquelle la population souffre.

La rédaction-Bourdin & Co