Pourquoi l'Inde est-elle l'invitée d'honneur du 14-Juillet?

Narendra Modi et Emmanuel Macron durant le G7 à Hiroshima, au Japon, le 20 mai 2023. - Ludovic MARIN / POOL / AFP
L'Inde au cœur des célébrations du 14-Juillet. À l’occasion du 25e anniversaire du partenariat stratégique franco-indien, le Premier ministre indien Narendra Modi est en visite à Paris. Ce jeudi, il rencontrera la cheffe du gouvernement Elisabeth Borne et le président du Sénat Gérard Larcher, puis s'adressera à la communauté indienne de France.
Vendredi, il assistera avec Emmanuel Macron au défilé militaire sur les Champs-Elysées - auquel participeront 240 soldats indiens - avant un dîner au Louvre avec le président. Une mise à l'honneur qui révèle le renforcement des relations entre les deux pays.
Pour Emmanuel Macron, le géant indien est un interlocuteur incontournable à l'heure où la France veut renforcer sa présence dans l'Indo-pacifique, une zone où la Chine entend imposer son hégémonie.
L'Inde entretient, elle, une relation conflictuelle avec son voisin chinois, à qui elle vient d'arracher le titre de pays le plus peuplé au monde. En cause, notamment : un conflit frontalier qui s'éternise dans l'Himalaya et qui a fait 20 morts côté indien en 2020. Membre de l'alliance "Quad" avec les États-Unis, l'Australie et le Japon, le pays est perçu par les Occidentaux comme un partenaire leur permettant de contenir les ambitions chinoises.
Non-alignement
La relation stratégique que partagent Paris et New Delhi est ancienne. En 1982 déjà, François Mitterrand concluait avec l'Indien Indira Gandhi un accord pour la livraison de 40 Mirage 2000. Aujourd'hui, les diplomaties française et indienne tiennent des discours de "non-alignement" qui les rapprochent.
D'un côté, Emmanuel Macron se range sans ambiguïté dans le camp occidental mais n'hésite pas à se démarquer de l'allié américain par des déclarations chocs, comme celle sur Taïwan en avril dernier ou sur l'Otan en 2019. Conscient d'une "fracture du monde", le président français a également théorisé à la tribune de l'Assemblée générale de l'ONU en septembre dernier la nécessité de "bâtir un nouveau contrat entre le Nord et le Sud".
De l'autre, Narendra Modi cultive le "multi-alignement". S'il noue des relations stratégiques fortes avec Washington, où il a été accueilli en grande pompe en juin dernier, il refuse de condamner l'invasion russe de l'Ukraine. Et achète en grande quantité du pétrole russe.
Achat de Rafale
La visite de Modi à Paris est aussi l'occasion d'annoncer de gros contrats d'armement. Jeudi, l'Inde a officialisé l'achat de 26 avions Rafale et la commande de trois sous-marins Scorpène qui seront construits par l'indien MDL et le français Naval Group. Un contrat qui marque un nouveau gros succès pour l'industrie de défense française en Inde, pays ayant déjà commandé 36 avions pour son armée de l'Air en 2016.
Pour les ONG, l'accueil fastueux réservé à Narendra Modi soulève toutefois des questions en matière de droits de l'homme. Le Premier ministre indien, figure du nationalisme hindou, est en effet régulièrement pointé du doigt pour sa politique de stigmatisation à l'égard des minorités religieuses, particulièrement les musulmans.
Musulmans stigmatisés
En 2019, une loi très controversée a exclu les musulmans d'un dispositif permettant de régulariser les réfugiés ayant fui pour "pour des raisons religieuses" l’Afghanistan, le Pakistan ou le Bangladesh. Depuis l'arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014, les communautés musulmanes sont la cible de violences croissantes, tolérées voire encouragées par les autorités, selon Human Right Watch (HRW).
"Des responsables du BJP (le parti de Modi, NDLR) ont régulièrement porté des allégations haineuses contre des musulmans, des chrétiens et d'autres communautés vulnérables, provoquant la violence des partisans du BJP, qui sont ensuite protégés par la police", écrit l'ONG dans une tribune qui dénonce le mutisme d'Emmanuel Macron sur le sujet.
HRW pointe globalement une "détérioration de la situation des droits humains en Inde" marquée notamment par un recul de la liberté de la presse. En mai dernier, Reporters sans frontières (RSF) a relégué l’Inde à la 161e place sur 180 de son index annuel.
Realpolitk
La dérive autoritaire du Premier ministre indien pourrait se poursuivre encore plusieurs années. En écartant son principal rival Rahul Gandhi, déclaré inéligible après avoir déclaré que "tous les voleurs ont Modi comme nom de famille", le Premier ministre indien s'est assuré une victoire quasi certaine aux élections générales de 2024.
Le scrutin pourrait d'ailleurs faire l'objet d'irrégularités. "Lorsque la formation du premier ministre est défaite dans les urnes, elle soudoie les députés de l’opposition pour reprendre le pouvoir", relate la correspondante du Monde à New Delhi.
En 2005, Narendra Modi, alors seulement ministre en chef de l'Etat du Gujarat, était mis au ban de la communauté internationale pour avoir encouragé des pogroms anti-musulmans. Washington lui interdisait même l'entrée sur le territoire américain. Près de 20 ans plus tard, la donne a changé. Signe de la montée en puissance de l'Inde sur la scène internationale et de la realpolitik appliquée par des pays occidentaux en quête d'alliés face à la Russie ou la Chine.