La Turquie riposte en Syrie mais ne veut pas la guerre

LA TURQUIE RÉPLIQUE À UN TIR SYRIEN - -
par Jonathon Burch et Murad Sezer
AKCAKALE, Turquie (Reuters) - La Turquie a mené jeudi de nouveaux tirs de représailles en Syrie, tuant plusieurs militaires, au lendemain de la chute d'un obus de mortier qui a coûté la vie à cinq civils dans un village frontalier turc.
A Ankara, le Parlement a donné son aval à d'autres opérations transfrontalières si le gouvernement le jugeait nécessaire. Le texte, visant initialement la rébellion kurde dans le nord de l'Irak, inclut également l'hypothèse d'un nouveau débordement du conflit syrien en territoire turc.
Le vice-Premier ministre Besir Atalay a toutefois souligné que cette autorisation n'était pas une "déclaration de guerre". La priorité d'Ankara, a-t-il dit, est d'agir en coordination avec les instances internationales.
La Russie, principal allié de Damas, a dit avoir reçu l'assurance des autorités syriennes que le tir de mortier était un accident tragique et ne se reproduirait plus. La veille, Damas avait adressé ses condoléances au peuple turc.
Mais le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan a estimé que les "actions agressives" de l'armée syrienne sur son territoire constituaient une menace grave à sa sécurité nationale et demandé aux députés d'approuver le déploiement de troupes turques au-delà de la frontière.
"La Turquie n'a pas intérêt à une guerre avec la Syrie. Mais la Turquie est capable de protéger ses frontières et ripostera quand cela sera nécessaire", a expliqué Ibrahim Kalin, conseiller d'Erdogan, sur son compte Twitter. "Les initiatives politiques et diplomatiques se poursuivront", a-t-il ajouté.
"GOUTTE D'EAU"
L'incident d'Akçakale est le plus grave survenu aux frontières de la Syrie en dix-huit mois de soulèvement contre le président Bachar al Assad, qui s'est mué peu à peu en guerre civile et a fait 30.000 morts depuis mars 2011.
La Turquie a qualifié le tir, qui a coûté la vie à une mère, ses trois enfants, et à une proche, de "goutte d'eau" de trop.
Quelques heures plus tard, les services du Premier ministre turc annonçaient une riposte à cette "attaque abominable".
Dans la nuit, l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) et une source proche des services de sécurité turcs ont déclaré que le pilonnage d'un poste militaire dans le district de Tel Abyad, à dix km environ à l'intérieur du territoire syrien, avait tué plusieurs soldats syriens.
L'OSDH a également fait état d'affrontements entre forces et rebelles syriens aux alentours du poste militaire visé.
Coïncidence du calendrier, l'extension d'une autorisation de cinq ans donnée à l'armée pour mener des opérations transfrontalières était jeudi à l'ordre du jour du Parlement.
L'accord visait initialement à autoriser les frappes contre des bastions kurdes dans le nord de l'Irak mais une note signée d'Ergodan et envoyée dans la nuit aux élus prend en compte l'incident d'Akçakale en soulignant qu'en dépit d'avertissements répétés, l'armée syrienne a lancé des actions agressives en territoire turc.
En juin, la Turquie avait vigoureusement protesté après la destruction d'un avion F-4 turc par un missile de la défense antiaérienne syrienne et annoncé une modification des règles d'engagement de son armée, priée de réagir à tout élément approchant considéré comme une menace. Ankara partage 900 km de frontière avec la Syrie.
MOSCOU CHERCHE À CALMER LE JEU
Damas a promis d'enquêter sur l'origine du tir de mortier, qui reste énigmatique à ce stade. La sécurité turque a toutefois établi qu'il provenait de Tel Abyad et déployé des renforts dans le secteur.
Cherchant à calmer le jeu, la Russie a déclaré que la Syrie lui avait promis que ce genre d'incident ne se répéterait pas. "Nous pensons qu'il est d'une importance fondamentale que Damas l'exprime de manière officielle", a déclaré le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, cité par l'agence Novosti durant une visite à Islamabad.
Un responsable gouvernemental turc a dit n'avoir eu pour l'instant aucun contact bilatéral avec Damas, aucune explication ni aucune demande d'excuse de la part du gouvernement syrien.
L'incident a été fermement condamné par l'Otan, les Etats-Unis ou encore la France qui ont affiché leur solidarité avec Ankara, pays membre de l'Alliance.
A Budapest, le secrétaire au Foreign Office William Hague a toutefois dit "ne pas vouloir assister à la poursuite de l'escalade à propos de cet incident".
L'Alliance atlantique s'est réunie d'urgence mercredi soir à Bruxelles conformément à l'article 4 du traité de l'Atlantique Nord qui prévoit des consultations extraordinaires si l'une des parties juge que son intégrité territoriale, son indépendance politique ou sa sécurité est menacée.
Elle a exigé l'arrêt immédiat des actions "agressives" de la Syrie contre la Turquie mais n'a pas invoqué l'article 5 qui autorise le recours à la force.
L'ONU SAISIE
La Turquie a également demandé mercredi au Conseil de sécurité des Nations unies de prendre "les mesures nécessaires" pour faire cesser "l'agression" syrienne.
Selon des diplomates de l'Onu, le Conseil de sécurité pense publier jeudi une déclaration non contraignante condamnant le tir de mortier de la Syrie "dans les termes les plus fermes" et exigeant la cessation des atteintes à la souveraineté territoriale de la Turquie.
Le communiqué était d'abord attendu pour mercredi soir, mais Moscou a demandé un délai, apprend-on de source diplomatique.
Le projet de déclaration obtenu par Reuters estime que l'attaque syrienne est "une démonstration du débordement de la crise en Syrie dans les Etats voisins à un degré alarmant".
"De telles violations du droit international constituent une menace grave pour la paix internationale et à la sécurité", selon le projet de texte, préparé par l'Azerbaïdjan.
Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Mohamed Kamal Amr, a "appelé le gouvernement syrien à ne pas violer les frontières des pays voisins, avertissant contre les nombreux dangers pour l'ensemble de la région" en cas d'extension de la crise.
Danielle Rouquié, Hélène Duvigneau et Jean-Stéphane Brosse pour le service français