L'Egypte mise sur la "marche du million" contre Hosni Moubarak

Place Tahrir, épicentre de la contestation, au Caire. Forte des concessions déjà obtenues, l'opposition égyptienne tente d'exploiter son avantage mardi avec une marche dont elle espère qu'elle réunira un million de personnes et contraindra par son ampleur - -
par Samia Nakhoul et Sherine el Madany
LE CAIRE (Reuters) - Forte des concessions déjà obtenues, l'opposition égyptienne tente d'exploiter son avantage mardi avec une marche dont elle espère qu'elle réunira un million de personnes et contraindra par son ampleur le président Hosni Moubarak à quitter le pouvoir après une semaine de crise.
Les manifestants se sont également sentis confortés dans leur entreprise par l'annonce faite lundi que l'armée n'aura pas recours à la force pour les empêcher d'exprimer leurs revendications qu'elle a qualifiées de "légitimes".
"Les forces armées n'auront pas recours à l'usage de la force contre notre grand peuple. Vos forces armées sont conscientes de la légitimité de vos demandes", affirme un communiqué militaire.
Cette prise de position est importante, car l'armée représente une institution essentielle dans le fonctionnement du pouvoir égyptien depuis qu'elle a renversé le roi Farouk soutenu par la Grande-Bretagne en 1952.
"Moubarak est devenu une gêne pour l'institution militaire", estime Faouaz Gerges de la London School of Economics. "Et il devient chaque jour plus difficile pour Moubarak de rester au pouvoir."
Certains analystes estiment que les militaires tentent de trouver une sortie qui soit à la fois honorable pour Moubarak et qui leur permette de préserver leur influence dans l'appareil d'Etat ainsi qu'au sein du parti dirigeant.
L'élection présidentielle prévue en septembre pourrait fournir à Hosni Moubarak l'occasion d'annoncer qu'il n'envisage pas de se représenter pour un nouveau mandat après 30 années au pouvoir. Mais ce scénario ne prend pas en compte la volonté farouche de la rue de le voir partir immédiatement.
"Cela ne marchera pas. Ce sont des manoeuvres dilatoires. Je ne pense pas que Moubarak se rende vraiment compte de la gravité de la situation", explique Faysal Itani d'Exclusive Analysis. "Si le blocage persiste, il risque de se produire de nouveaux troubles à l'ordre public", juge-t-il.
LA RUE RESTE MOBILISÉE
Ce besoin de transformation a également été formulé par Robert Gibbs, porte-parole de la Maison blanche, qui a estimé que "l'Egypte doit changer de visage et de fonctionnement".
Face à une contestation qui ne faiblit pas, Moubarak a multiplié les initiatives politiques. Son vice-président Omar Souleimane, issu des rangs de l'armée, a annoncé que le nouveau gouvernement intronisé lundi a entamé ses consultations avec l'ensemble des partis politiques.
"C'est maintenant Souleimane qui représente l'armée, et non Moubarak", précise Faouaz Gerges. "Avec ce communiqué sur l'ouverture de négociations, l'armée essaie de voir si l'opposition est prête à s'engager", ajoute-t-il.
Cette nouvelle équipe dirigeante, a précisé Souleimane, va s'attaquer en priorité à la maîtrise de l'inflation, à la lutte contre le chômage et contre la corruption afin de répondre aux principales revendications des manifestants.
Ces promesses n'ont pas convaincu et des milliers de protestataires continuaient de camper sur la place Tahrir, au centre du Caire, dans la nuit de lundi à mardi. Pour Ahmed Helmi, un avocat âgé de 45 ans, ces concessions arrivent trop tard.
"La seule chose que nous voulons de sa part est qu'il monte dans un avion et qu'il s'en aille", a-t-il dit, se référant à la fuite du président tunisien Zine ben Ali.
L'accès à internet et l'utilisation des réseaux sociaux, importants outils de communication au début de la révolte, demeurent impossibles. Mais Google a annoncé l'ouverture d'un nouveau service qui permet de publier des messages sur Twitter simplement en dictant un message vocal par téléphone.
Washington, dont l'Egypte est le principal allié dans le monde arabe, a accentué la pression en appelant dimanche à une "transition en bon ordre" et a dépêché un émissaire sur place - Frank Wisner, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Egypte, qui "a la faculté" de parler aux autorités.
Cet appel a été relayé lundi par l'Union européenne. Réunis à Bruxelles, les ministres des Affaires étrangères ont invité les autorités égyptiennes "à ouvrir une transition ordonnée vers un gouvernement reposant sur une base élargie".
Avec Andrew Hammond, Patrick Werr, Dina Zayed, Marwa Awad, Shaimaa Fayed, Sherine El Madany, Yasmine Saleh, Alison Williams et Samia Nakhoul au Caire, et Peter Apps, Angus MacSwan et William Maclean à Londres, Pierre Sérisier pour le service français