Gênes: après la tragédie, la bataille politique

Matteo Salvini sur les lieux de la catastrophe le 15 août dernier. - Andrea Leoni - AFP
Après la tragédie, vient le temps des responsabilités: l'effondrement du pont Morandi de Gênes aurait-il pu être évité? En Italie, la question est sur toutes les lèvres. Dans le viseur, le Mouvement 5 étoiles, qui gouverne désormais le pays avec la Ligue: en 2014 déjà, son leader, Beppe Grillo, haranguait les foules en fustigeant les grands chantiers lancés dans le pays – synonymes pour son parti de corruption et de dépenses exorbitantes.
A l'époque, il avait fait de la "Gronda", la bretelle d'autoroute envisagée comme alternative au viaduc de Gênes, un cheval de bataille, et évoquait avec ironie "la petite fable qu'on nous raconte sur un pont qui pourrait s'effondrer à tout moment". Il avait même monté un mouvement baptisé "No Gronda", en écho à ceux qui existaient pour lutter contre la ligne Lyon-Turin ou contre l'incinérateur de Rome.
La société autoroutière accusée de négligences
Quatre ans plus tard, le pont s'est partiellement écroulé et 38 personnes sont mortes. Le communiqué des "No Gronda" contre "la fable" de l'effondrement du pont a été supprimé du site du parti, rapporte Le Monde. Certains élus dissimulent avec peine leur embarras. Pour ne pas revenir sur des prises de position compromettantes, le Mouvement 5 étoiles se concentre donc sur la meilleure défense: l'attaque. Dès l'annonce de la catastrophe, le président du Conseil Giuseppe Conte ainsi que les deux leaders de sa coalition, Matteo Salvini (Ligue) et Luigi di Maio (M5S), ont fustigé la société autoroutière Autostrade (détenue en partie par la famille Benetton), l'accusant de négligences graves dans la sécurité du viaduc.
Mercredi soir, la concession de l'autoroute à cette société a officiellement été révoquée, avant même que les résultats de l'enquête soient publiés. Atlantia, qui détient Autostrade, a dénoncé une annonce faite "en l'absence de toute certitude sur les causes effectives" du drame. Et a prévenu que la révocation coûterait cher en indemnités à l'Etat: selon des médias italiens, cela se chiffre en milliards d'euros. Une nouvelle polémique pour le gouvernement? Ce dernier a déjà refusé de verser une quelconque pénalité, et poursuit ses accusations: "La concession de l'Etat a été prorogée jusqu'en 2042 grâce à une loi votée en 2015 de nuit au Parlement", a accusé Luigi di Maio. "Celui qui l'a présentée l'a fait pour financer sa campagne électorale".
De quoi s'attirer les foudres de Matteo Renzi, à l'époque président du Conseil, qui a répondu dans un communiqué: "Celui qui dit que mon gouvernement a pris de l'argent des Benetton ou d'Autostrade est un menteur. S'il le dit pour des motifs politiques c'est un chacal. Celui qui s'est trompé doit payer (…)". Puis il rappelle les prises de position du gouvernement contre les grands chantiers du pays: "vous dites non à tout, au chantier ferroviaire Turin-Lyon, aux contrats de travail, à la Gronda. Vous voilà bien avancés maintenant que le viaduc s'est effondré. Continuer à dire non ne rendra pas le pays plus sûr (…)".
Qui devra payer pour le drame?
Outre le gouvernement précédent, l'exécutif italien a également décidé de viser l'Union européenne et sa politique d'austérité, accusée d'empêcher les investissements. "Les investissements qui sauvent des vies, des emplois et le droit à la santé ne doivent pas faire l'objet des calculs rigides et des règles imposées par l'Europe", a déclaré Matteo Salvini. La Commission européenne a rapidement réagi en assurant avoir encouragé l'Italie à investir dans ses infrastructures et en rappelant que les Etats membres étaient "libres de fixer" leurs priorités.
L'Europe, le gouvernement, la société Autostrade... qui devra payer pour cette tragédie? Jeudi, le ministère des Infrastructures a annoncé la création d'une commission d'inspection sur les causes du drame. Elle rendra son rapport au ministre dans les 30 jours.