Après les ventes à l'Inde et à l'Egypte, on ne pourra plus se moquer du Rafale

Le chef de l'armée de l'air indienne se hisse dans le cockpit d'un Rafale, le 9 juin 2014. - Sam Panthaky - AFP
Finis les quinze ans de moqueries. Le Rafale avion a longtemps été accusé d'être un "cocorico dispendieux" s'est enfin vendu. Comme le Minitel, il serait en avance sur son temps, mais en retard sur une certaine réalité. En effet, depuis la naissance du Rafale, l'industrie américaine a toujours fait concurrence à l'offre française. En Corée du Sud et en Pologne, depuis la fin des années 90, le Rafale ne trouvait grâce aux yeux d'aucun gouvernement: il était accusé d'être soit trop cher, soit incompatible avec les équipements américains. Que valaient ces deux arguments?
L'avis technique des aviateurs sud-coréens était alors clairement favorable au Rafale, véritablement plus performant que l'offre américaine. Seulement, voilà: les conditions de l'appel d'offres stipulaient que le ministre sud-coréen pouvait ajouter un critère politique – ce qui fut fait. La raison politique invoquée: incompatibilité avec le matériel américain. Dans le cas de la Pologne, le facteur financement fut invoqué, car le Rafale était plus cher, tournant autour du 25 millions pièces, c'est-à-dire une bonne dizaine de millions de plus que l'offre américaine de F-16.
Chez Dassault, 20 ans de calme superbe
Du côté de Dassault, sur leur péniche sur la Seine en proche banlieue parisienne, années après années l'on répétait plusieurs choses:
• D´abord, qu'il ne fallait jamais se presser en matière de vente: le client qui veut s'approvisionner en avions d'un choix autre que des avions américains est un client qui sait ce qu'il veut et surtout ce qu'il ne veut pas. Il se manifestera lorsqu'il sera fin prêt. La plupart de ces clients sont les États ayant déjà acheté des Mirages (de Dassault) dans les années passées, donc qui savent se défendre sans avions américains.
• Les offres américaines étaient exorbitantes et sortaient de la logique normale des affaires, à savoir: l'offset. L'État fédéral américain garantit par ce système des achats conséquents dans le pays client. Autre argument américain: les États acquérant des F-16 auraient une réduction importante sur le F-35. En effet, le F-35 (autrefois nommé Joint Strike Fighter), qui n'a entamé ses premiers vols expérimentaux que depuis deux ou trois ans, coûterait normalement l'équivalent de trois Rafale, bien que le prix catalogue ne soit pas encore publié.
• Le niveau élevé de l'euro était pénalisant, les produits Dassault étant libellés en devise européenne. Contre cela, point de remède, on ne pouvait qu'attendre. Le réajustement viendrait. Comme l'on voit, il est effectivement venu courant 2015! Le prix d'un Rafale, calculé en euros dès sa conception, chutait brusquement en termes de dollars.
• Le Rafale est constamment engagé dans la chasse aux talibans, aux troupes de Kadhafi, aux djihadistes du Sahel, à Daesh en Irak. Clairement, l'avion qui frappe le plus sur ces ennemis est le Rafale. Cet avion est donc "battle tested" dans le jargon commercial, c'est-à-dire qu'il a passé l'épreuve du feu. Ceci est un argument de vente des plus forts.
New Delhi fait confiance à Paris malgré le revirement sur le Mistral
Parmi les arguments les plus drolatiques de la saga de la vente improbable du Rafale: l'escamotage de la livraison du Mistral à la Russie allait refroidir la confiance indienne! Quelle créativité dans l'argument creux. New Delhi a accepté du bout des lèvres le référendum de rattachement de la Crimée de mars 2014, mais sans plus. L'ingérence indienne est traditionnellement faible dans les affaires "intérieures" d'autres États; surtout, la diplomatie est stable et originale, comme lorsqu'elle abrite le site du gouvernement en exil tibétain sur son sol, au grand dam des dirigeants communistes chinois. New Delhi aurait pu acheter des avions russes, ce qu'elle a décidé de ne pas faire depuis plusieurs années.
Peu importe si le gouvernement Modi n'a pris que 36 Rafales, au lieu de la commande préalablement évoquée de 120 et quelques avions, dont la plupart auraient été construits en Inde moyennant un intense transfert de technologie qui n'est pas nécessairement souhaitable. L'achat des 36 Rafales par l'Inde puissance autonome , et d'une vingtaine par l'Égypte principale puissance arabe, devrait suffire pour démontrer que la direction de Dassault avait raison dans ses arguments de vente, et que Washington n'a pas pu entièrement verrouiller le marché mondial. Et tant mieux pour tous si les sources d'équipement militaire sont diversifiées et que les industriels occidentaux non américains parviennent à survivre et à prospérer.