TOUT COMPRENDRE - Gaz toxiques, mégatsunami: quels dangers après l'éruption du Cumbre Vieja aux Canaries?

Le volcan Cumbre Vieja en éruption, dégageant de la lave et de la fumée, le 21 septembre 2021 - DESIREE MARTIN / AFP
Ce mardi, des coulées de lave du volcan Cumbre Vieja continuaient de tout emporter sur leur passage en descendant vers la côte de l'île espagnole de La Palma. L'éruption a débuté dimanche, et entrainé jusque-là le déplacement de 6100 personnes, dont 400 touristes "qui ont été éloignés des zones de risque" et installés à Tenerife, a assuré le gouvernement régional des Iles Canaries mardi soir.
Si cette éruption, la première depuis 1971 sur cette île peuplée de près de 85.000 habitants, n'a fait aucun mort ou blessé, les dégâts sont énormes, dépassant largement les 400 millions d'euros. De plus, l'arrivée des coulées de lave dans la mer est redoutée, car cela peut donner lieu à des explosions de morceaux de lave, des vagues d'eau bouillante ou des émanations de gaz toxique.
· Cette éruption est-elle particulièrement dangereuse?
Le volcan Cumbre Vieja, fait "ce que l'on appelle une éruption effusive", expliquait lundi sur BFMTV Édouard Kaminski, chercheur en volcanologie physique à l’institut de physique du globe de Paris. "Il y a deux grandes familles d'éruptions. Les éruptions explosives, qui vont projeter des cendres et des lapilli [fragments de lave éjectés] très haut dans le ciel, et les éruptions effusives qui vont inonder des zones de terrain, à une certaine vitesse et avec un certain débit".
Ce deuxième type d'éruption "est moins dangereux" qu’une éruption explosive, explique le volcanologue.
"Ce sont des éruptions lors desquelles vous avez quand même un certain temps pour faire évacuer les personnes, délimiter des zones de risques. C’est plus facile à gérer".
Les autorités des Îles Canaries ont en effet réussi l'évacuation des habitants des zones en danger, en les mettant à l'abri. Mais l'un des risques lors d'une éruption est l'apparition par la suite d'autres bouches éruptives entrainant des inondations de lave sur d'autres parties de l'île. Ainsi dans la nuit de lundi à mardi, l'apparition d'une nouvelle bouche éruptive, la neuvième, sur la commune d'El Paso, a entraîné l'évacuation de 500 personnes supplémentaires.
"C’est quelque chose que l’on surveille", déclare Édouard Kaminski, "mais a priori aujourd’hui, d’après les informations données par les géophysiciens sur place il n’y a pas de risques de changement" sur ce sujet.
· Qu'arrivera-t-il quand la lave touchera l'eau?
Ce qui inquiète actuellement, c'est l'arrivée prochaine de la lave dans l'océan. Initialement prévue pour lundi soir, l'épisode a été retardé en raison du ralentissement de la coulée. Située à environ 2 km de la mer, la lave avançait mardi soir à 200 mètres par heure, contre 700 plus tôt. Les autorités n'étaient, mardi soir, pas en mesure d'indiquer précisément quand elle pourrait atteindre l'océan, mais cette rencontre entre l'eau à 20 degrés et la lave à 1000 degrés est redoutée car elle peut donner lieu à des phénomènes dangereux.
L'Institut d'études géologiques des États-Unis (USGS) explique ainsi sur son site que si la lave arrive dans l'eau, elle "peut bouillir violemment et provoquer une pluie explosive d'éclaboussures en fusion sur une large zone". Ces éclats de lave peuvent également être transportés dans l'air et, déposés plus loin sur le sol, devenir toxiques pour la faune.
Mais la rencontre entre la lave et l'eau peut aussi créer des gaz toxiques, car l'eau de mer n'est pas pure, explique au média espagnol Onda Cero José Mangas, volcanologue. Cela peut entrainer la création d'acide carbonique, chlorhydrique, sulfurique, ou encore de CO2.
"Les nuages engendrés par l'interaction eau de mer et lave sont acides" et "peuvent être dangereux si l'on est trop près", avait également expliqué à l'AFP Patrick Allard, de l'Institut de Géophysique du Globe de Paris.
En ce sens, le gouvernement des Canaries, qui a conseillé aux habitants de la région de se couvrir le nez et la bouche lorsqu'ils sortent, a décrété un "rayon d'exclusion de deux milles marins" autour de l'endroit où est prévue l'arrivée des coulées et demandé aux curieux de ne pas se rendre sur place.
· Y a-t-il un risque de mégatsunami?
La théorie que cette éruption pouvait entraîner un mégatsunami sur l'archipel, qui irait jusqu'à toucher la côte américaine, a également été évoquée. Cette hypothèse se fonde sur l'existence d'une supposée faiblesse du terrain par endroits autour du volcan, due à des éboulements antérieurs, voire d'une faille verticale de plusieurs dizaines de kilomètres. Cela entrainerait un effondrement du volcan au-dessus de la mer, avec des vagues de dizaines de mètres de haut.
Ce scénario catastrophe a été developpé en 2001 par un groupe de chercheurs, mais a depuis été plusieurs fois démenti, tout comme l'existence d'une fracture profonde sur le territoire.
"Pour que le flanc du Cumbre Vieja rencontre des conditions proches de l'instabilité, un séisme de très forte magnitude devrait se produire simultanément avec une éruption avec un indice d'explosivité élevé, ou encore l'édifice volcanique devrait atteindre une croissance de plus de mille mètres au-dessus de l'altitude maximale actuelle", expliquaient en 2017 l'Institut volcanologique des Canaries (Involcan).
· Quand n'y aura-t-il plus de danger?
Difficile pour l'instant de donner une date de fin à cette éruption. "On est capables de prédire le début de l’éruption. Sa durée, c’est compliqué", souligne Édouard Kaminski.
"On regarde les données historiques, là on voit que c’est un volcan qui va faire des éruptions pendant une semaine à trois mois".
L'éruption pourrait durer, "plusieurs semaines voire quelques mois", a également déclaré Involcan.
La question de la diffusion et de la toxicité de gaz, avant même que la lave ne touche l'eau, pourrait être abordée d'ici-là. "D'importantes quantité de CO2, de dioxyde de soufre, de sulfure d'hydrogène et d'halogénures d'hydrogène peuvent être émises par les volcans", explique ainsi l'USGS. Selon leur concentration, "ces gaz sont tous potentiellement dangereux pour les personnes, les animaux, l'agriculture".
Quoi qu'il en soit, "la crise ne se terminera pas quand la lave arrivera dans la mer", a déclaré mardi le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez, mais quand La Palma "aura récupéré sa normalité", et que sera "reconstruit tout ce qu'a détruit et va détruire la lave".
Les agriculteurs doivent également recevoir une aide du gouvernement espagnol en raison de la destruction de certaines de leurs terres, et le gouvernement régional a déclaré surveiller la qualité de l'eau sur l'île, vérifiant qu'elle n'a pas été contaminée. Les dégâts globaux sont énormes, dépassant largement les 400 millions d'euros, a relevé le président de la région Angel Victor Torres, qui a souligné que les Canaries pourraient bénéficier de fonds européens pour reconstruire.
