Fortes hausses de prix, sacs Vuitton "made in USA"... Comment le luxe français compte s'adapter au choc des droits de douane

Un sac à main en cuir pleine fleur, un flacon de parfum rare ou une bouteille de vin millésimé: ces symboles du luxe sont-ils les nouvelles cibles de la guerre commerciale qui agite le monde? Alors que les politiques de droits de douane s’intensifient, le secteur du luxe se retrouve face à une réalité inédite: composer avec une fiscalité qui menace non seulement ses marges, mais aussi sa clientèle internationale.
Les grands groupes français du secteur ont d'ailleurs averti les investisseurs cette semaine que des décisions radicales seraient prises si Donald Trump mettait ses menaces à exécution en juillet après la suspension du 9 avril.
Hermès a annoncé des hausses de prix pour ses clients américains et de son côté LVMH a évoqué une relocalisation de la production de ses articles de luxe aux Etats-Unis.
BFM Business fait le point sur les conséquences de cette guerre commerciale sur le secteur du luxe essentiel pour la France.
Quels sont les produits de luxe les plus touchés par les droits de douanes?
La maroquinerie haut de gamme: sacs, bagages, petite maroquinerie. Les droits de douane annoncés pourraient atteindre jusqu’à 20% sur ces produits européens (en grande partie fabriqués dans les ateliers et italiens français). Cela concerne directement Louis Vuitton, Dior, Fendi, ou encore Celine – piliers de l'activité de LVMH.

Les montres suisses: avec des surtaxes potentielles allant jusqu’à 31% (plus élevées que celles concernant les produits de l'UE). TAG Heuer, Hublot ou Zenith, toutes propriétés de LVMH, sont en première ligne.
Les vins et spiritueux: ce secteur représente représente 34% du chiffre d’affaires de LVMH aux États-Unis. On parle de maisons comme Moët & Chandon, Dom Pérignon, Veuve Clicquot ou Hennessy qui sont actuellement taxées à 10% et qui pourrait arriver à 20% - (pour rappel Donald Trump avait menacé d'augmenter les taxes de 200%).
Ce jeudi, Bernard Arnault a d'ailleurs pressé les autorités européennes de trouver un accord rapide avec les Etats-Unis, sous peine de "conséquences sociales dramatiques en particulier pour notre viticulture".

Le but du président américain est de privilégier la production d'alcools américains et notamment de... champagne. En effet, des bouteilles de "champagne californien" sont vendues aux États-Unis, sans qu'elles ne soient interdites.
Ces bouteilles sont vendues entre 10 et 20 dollars, à des prix bien plus bas que les vrais champagnes français et s'apparente plus à des prosecco italien.
Pour rappel: les États-Unis représentent près de 25 % du chiffre d’affaires de LVMH, soit 21,5 milliards d’euros en 2024. Le marché américain est donc, avec la Chine, un pilier stratégique.
Comment le secteur du luxe subit ces droits de douanes?
Contrairement à la fast-fashion, qui peut ajuster ses chaînes logistiques et sa production plus rapidement, le luxe fonctionne sur un tout autre modèle. Ici on parle de marges très élevées sur un plus faible volume, une production très centralisée, souvent en Europe (France, Italie, Suisse) et une valeur ajoutée fortement liée à l’origine géographique, au récit du "Made in France", du "Made in Italy" ou du “Made in Switzerland”. Cela signifie aussi que le luxe est plus rigide et moins agile.

Un sac Dior, un flacon Guerlain ou une montre TAG Heuer repose sur des ateliers, des artisans, une chaîne de valeur ancrée dans l’excellence européenne. Résultat: quand une surtaxe douanière de 20 à 31 % tombe, les groupes de luxe n’ont pas d’autre choix que d’augmenter leurs prix de vente, (c'est d'ailleurs ce que va faire faire Hermès en augmentant de 10%) ou de rogner sur leurs marges.
Il est vrai que le luxe dispose d’une élasticité tarifaire favorable. Sa clientèle, plus fortunée, est moins sensible à une augmentation des prix de quelques points. Mais il faut nuancer. Tout d'abord, cette élasticité n’est pas illimitée, surtout en période de baisse du moral économique, elle varie fortement selon les segments et elle pèse davantage sur les clients dits "aspirants", ceux pour qui le luxe est un achat exceptionnel. Ce sont ces consommateurs qui risquent de se détourner du luxe si les prix flambent trop vite.

Et si Bernard Arnault a annoncé vouloir "augmenter la production aux États-Unis pour éviter les droits de douane", elle soulève une question: le “Made in USA” peut-il vraiment incarner l’excellence française? Et surtout LVMH pourrait-il réellement exporter son savoir-faire à grande échelle?
Le groupe français produit déjà des sacs Louis Vuitton au Texas depuis 2019. L'usine de sacs à main situé à Alvarado avait été inauguré en grande pompe à l'époque par Bernard Arnault en compagnie déjà de Donald Trump. Un site qui peine cependant à décoller. Malgré des millions de dollars d'incitations fiscales locales et la promesse de créer jusqu'à 1.000 emplois, l'usine employait moins de 300 personnes début 2025, selon le site spécialisé The Fashion Law.
Productivité en berne, problèmes de contrôle qualité et un manque de main-d'œuvre qualifiée... Les ateliers américains de LVMH seraient très loin d'atteindre le niveau de fiabilité des français. Avec notamment de nombreux défauts cachés sur les produits qui nuiraient fortement à l'image de marque de ces produits de luxe.
Est-ce que l'impact se fera vraiment sentir pour les consommateurs ?
Les estimations sont claires: selon UBS, les marques européennes devront augmenter leurs prix d’environ 6% aux États-Unis pour compenser les surtaxes. Deutsche Bank parle même d’une hausse moyenne de 7 % aux US, et de 2 % au niveau mondial.
Certaines marques comme Hermès ont déjà annoncé des hausses de prix sur le marché américain (10%). Alors, effectivement la clientèle fortunée peut absorber ce choc sans douleur mais attention, le luxe ne vit pas uniquement de l’ultra-richesse. Il vit aussi de ses clients aspirants, ceux pour qui un sac ou un parfum est un rêve accessible. Or, ceux-là pourraient se détourner face à une hausse des prix brutal.
Autre point important quand on parle de luxe: l'aspect émotionnel. Car le luxe n’est pas une simple transaction. C’est un récit, une expérience et cette promesse repose sur un équilibre subtil. Si l’on touche trop aux codes (en délocalisant), si l’on touche trop au prix ou si l’on touche à la psychologie du consommateur (par l’instabilité politique ou économique), alors le luxe perd son pouvoir émotionnel, de son attractivité et de sa valeur. Et c’est là aussi que réside le risque.