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La vie de Jacques Prévert racontée en BD

détail de la couverture de Prévert n'est pas un poète

détail de la couverture de Prévert n'est pas un poète - Cailleaux/Bourhis Dupuis 2017

ENTRETIEN - A l’occasion du 40ème anniversaire de la mort du célèbre poète, le scénariste Hervé Bourhis et le dessinateur Christian Cailleaux rendent hommage à l’auteur de Paroles.

Après une biographie dessinée de Boris Vian (Piscine Molitor, 2009), le scénariste Hervé Bourhis et le dessinateur Christian Cailleaux viennent d’achever, après un premier tome paru en 2011, Jacques Prévert n’est pas un poète, évocation de la vie de l’auteur du recueil de poésie Paroles (1946) et des scénarios des classiques du 7ème Art Le Quai des brumes (1938) et Hôtel du Nord.

"Je ne connaissais pas aussi bien Prévert que Vian, que je portais en moi depuis l’adolescence”, a raconté à BFMTV.com Hervé Bourhis, rencontré lors du Festival d’Angoulême fin janvier. "J’ai dû me plonger dans la vie de Prévert. C’est là que l’on a découvert que sa jeunesse était passionnante et méconnue." Et son camarade Christian Cailleaux de renchérir: "Et oui! On a l’image du vieux bonhomme et des poèmes que l’on apprend à l’école. En se plongeant dans des livres - en particulier dans l’autobiographie de Marcel Duhamel, qui évoque beaucoup la jeunesse de Prévert -, on a découvert un personnage iconoclaste, libre, débridé dans une époque tourmentée, celle de 'l'entre-deux-guerres'."

Hervé Bourhis et Christian Cailleaux ont accepté de commenter pour BFMTV.com quatre planches de leur album, dont la sortie coïncide avec le 40ème anniversaire de la mort de Jacques Prévert.

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- © Cailleaux/Bourhis Dupuis 2017

Le lionceau

Christian Cailleaux: Cette image termine la première période, celle des années 1920, tout en introduisant l’idée que le cinéma va arriver. C’est un décor de Trauner [célèbre chef décorateur de cinéma, NDLR]. Je me suis inspiré d’une photo très connue de lui où il pose devant un de ses décors, allongé par terre [sur le tournage d’Irma la Douce de Billy Wilder, NDLR]. Hervé Bourhis: C’est toi d’ailleurs qui a trouvé le titre de l’album - Jacques Prévert n’est pas un poète. Pourtant, toi, dans ta mise en page, dans ta narration, tu apportes beaucoup de poésie. C.C.: Tu as dit que c’est un titre "magrittien", c’est ça? Prévert lui-même disait qu’il n’était pas un poète. Il portait trop haut la poésie pour se définir comme poète. Le lionceau appartient à son ami comédien Batcheff, qu’il admirait, et chez qui il a un peu squatté. H.B.: Comme c’était une période très alcoolisée pour Prévert, on s’est dit que c’était ça ou des éléphants roses. C.C.: Il y a un parti pris pendant tout l’album: celui de ne pas faire de cases. C’est venu naturellement: il s’est avéré difficile, dès le début, d’enfermer Prévert dans des cases. Ça peut paraître banal de le dire, mais je cherchais comment restituer par le rythme, une époque mais aussi un rythme de penser. Prévert - surtout pendant ces premières années - était dans une logorrhée permanente. C’était compliqué de raconter de manière classique sa vie. Ça ne m’intéressait pas d’être tenu à une représentation photographique des décors et de l’époque. J’étais surtout en quête d'"atmosphère" [il imite Arletty dans Hôtel du nord, NDLR].

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- © Cailleaux/Bourhis Dupuis 2017

Le Quai des brumes

C.C.: C’est la fin des années 1930. Je me suis retrouvé confronté à des préoccupations qui n’étaient pas celles du début de l’album: avec l’arrivée du cinéma, je dois dessiner des têtes très connues, comme celle de Jean Gabin… Ça a été ma difficulté. Je ne suis pas un bon portraitiste, ni un bon caricaturiste. Il aurait fallu que ce soit Hervé qui s’en occupe, il est meilleur que moi dans cet exercice. Il a d’ailleurs fait un petit dessin dans l’album: la fausse pub de sel de table Sauveur qu’amène Paul Grimault [le réalisateur du Roi et l'oiseau, NDLR] à l’agence de pub. Je dois rester cohérent par rapport à mon traitement graphique habituel, à mon trait. Je travaille beaucoup d’après photos, je ne peux pas passer 15 jours sur chaque tête, à m’entraîner à la dessiner. Je ne m’en suis pas mal sorti avec Clark Gable par exemple.

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- © Cailleaux/Bourhis Dupuis 2017

Rencontre avec Clark Gable

H.B.: J’ai beaucoup aimé dans toutes les bios les descriptions du voyage de Prévert aux Etats-Unis, mais c’était une partie du livre que je trouvais plan-plan: une succession de scènes où il découvre Hollywood. C.C.: Il ne fait que suivre Jeanine [sa seconde épouse, une actrice, NDLR]. H.B.: Prévert était passif pendant son voyage aux Etats-Unis. J’ai voulu imaginer un rêve absurde pour redonner un peu d’humour et retrouver le personnage. L’histoire, c’est que son voisin est Clark Gable, ce qui est vrai. Prévert habitait dans le quartier où vivaient toutes les stars de Hollywood. C.C.: Je n’aime pas dessiner des traits tout mous pour signifier qu’un personnage est alcoolisé ou rêve. Je préfère être plus subtil. Mon dessin reste réaliste. C’est donc grâce au dialogue, qui devient surréaliste, que le lecteur comprend puis interroge la situation. Comme il ne faut pas fourvoyer le lecteur, je me sers aussi des couleurs pour créer un décalage. C’est pour cette raison que cette planche est le seul endroit de l’album où les bulles sont jaunes.

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- © Cailleaux/Bourhis Dupuis 2017

L’accident

H.B.: C’est la couverture d’un vrai magazine, sorti quand il a eu son accident en 1948. C’est un tournant pour Prévert. Il n’a plus jamais été aussi créatif après. Le fameux vieux Prévert a commencé en 1948. C.C.: Paroles a été publié en 1946. C’est à ce moment-là qu’il accède à une immense notoriété et que le grand public le découvre. H.B.: C’est pour cela que l’on a arrêté notre album à ce moment-là: on voulait parler du jeune Prévert, avant qu’il soit connu. On voulait parler d’un créateur.

Prévert n’est pas un poète, Hervé Bourhis (scénario) et Christian Cailleaux (dessin), Dupuis, collection Aire Libre, 232 pages, 32 euros.
Jérôme Lachasse