Cannes: l'enfance mutilée et avilie, mais éternelle

Le réalisateur Markus Schleinzer, entouré de Michael Fuith (à gauche) et David Rauchenberger, les deux acteurs principaux de "Michael", film dont la force est de présenter de manière crue un quotidien qui serait banal, s'il n'était celui d'un pédophile. / - -
CANNES (Reuters) - Plusieurs films montrés depuis l'ouverture du 64e Festival de Cannes mercredi ont restitué une image douloureuse et meurtrie de l'enfance.
Lors de la présentation de la sélection officielle le mois dernier, le délégué général, Thierry Frémaux, avait dit qu'elle aurait une "tonalité moins sombre qu'à l'habitude". Mais il s'était empressé d'ajouter que tout était relatif.
Huit longs métrages sur les 20 en compétition ont été projetés et cinq évoquent directement l'enfance ou l'adolescence, le plus souvent mise en pièces, que ce soit par la faute des adultes ou par les circonstances.
L'enfance saccagée n'est certes pas un sujet nouveau du Septième Art. "Jeux interdits" (1952), de René Clément, "Les 400 coups" (1959), de François Truffaut, ou encore "L'Enfance nue" (1968), premier long métrage de Maurice Pialat viennent immédiatement à l'esprit.
Mais la manière de traiter le sujet a parfois radicalement changé quelques décennies plus tard, ne serait-ce, par exemple, qu'en abordant de front la question de la pédophilie, ce que font "Polisse", de la réalisatrice française Maïwenn, et "Michael", premier film de l'Autrichien Markus Schleinzer qui est lui aussi en compétition pour la Palme d'or.
"Polisse" est au coeur du sujet puisque le long métrage reconstitue le quotidien d'une équipe de la Brigade de Protection des mineurs (BPM).
Victimes et coupables sont mis en scène avec retenue. Tous les pédophiles ne sont pas montrés comme abjects. Les répliques des enfants ont été passées au peigne fin par la DDASS (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales), dont un inspecteur était présent en permanence sur le plateau, accompagné d'un psychologue.
Maïwenn a expliqué que les enfants comédiens avaient développé une sorte de "solidarité enfantine" avec les petites victimes de sévices, puisque le film s'appuyait sur des histoires vraies. "C'étaient des choses très pures et très dignes qui les motivaient pour jouer", avait-elle ajouté.
L'HORRIBLE EST DÉJÀ SUFFISAMMENT HORRIBLE
La force de "Michael" est de présenter de manière crue un quotidien qui serait banal, s'il n'était celui d'un pédophile.
L'homme, interprété par le comédien Michael Fuith, est agent d'assurance. Son existence est sans couleur, sans relief. Son application au travail lui vaut tout de même une promotion.
Il est par ailleurs impuissant, ne parvenant à prendre du plaisir qu'avec sa proie bloquée entre quatre murs, tantôt engloutis dans une obscurité totale, tantôt réfléchissant une lumière omnipotente qui ne laisse de place à aucune ombre.
Pourtant, entre le petit prisonnier et son geôlier un semblant de normalité semblerait s'installer. L'homme, qui peut se montrer gentil, et l'enfant fêtent ainsi Noël ensemble. Mais l'enfant n'oublie jamais qu'il est séquestré et que tout ce qu'il fait, il le fait par force.
La mise en scène de Markus Schleinzer, directeur de casting de Michael Haneke avant de passer à la réalisation, est totalement glacée et neutre, soucieuse d'éviter tout affect et tout pathos.
"L'horrible est déjà suffisamment horrible. Je ne vois pas au nom de quoi j'aurais dû pousser le film encore plus loin dans cette direction (NDLR - le sensationnel) en choisissant d'autres procédés narratifs", explique le cinéaste.
Son esthétique est aux antipodes de celle, complexe et raffinée, de "We need to talk about Kevin". L'originalité du long métrage de la Britannique Lynne Ramsay est qu'il ose présenter un enfant qui semble n'avoir d'autre but que le mal, sans verser dans le film d'horreur ou d'angoisse.
La relation mère-fils repose non sur l'amour mais sur la haine et aboutira à un drame épouvantable, irréductible à l'analyse. A défaut, la réalisatrice explique que la violence du fils "peut être comparée à celle du monde", nous laissant sur notre faim.
VISAGES ANGÉLIQUES
Dans "Sleeping Beauty", premier film de la romancière australienne Julia Leigh, Lucy n'est plus vraiment une enfant. C'est une étudiante qui joint les deux bouts en faisant une multitude de petits boulots.
Elle devient une "belle endormie" pour assouvir ce qui reste de libido à des hommes mûrs, voire gâtés, qui n'ont pratiquement plus les capacités d'outrepasser l'interdit de la pénétration qui leur est signifié. Cette enfance qui se prolonge encore dans l'adolescence et la prime jeunesse n'en ressort pas moins avilie.
"Le Gamin au vélo", des frères Dardenne, et "Restless", films hors compétition de Gus Van Sant, posent au contraire un regard plein d'espérance sur des enfants qui ont pourtant, eux aussi leur compte de malheurs.
Le gamin au vélo est rejeté par un père qui ne peut ou ne veut pas assumer ses responsabilités.
Mais cet enfant a une énergie vitale démesurée qui lui insuffle le courage de tenter une autre vie avec une femme qui deviendra peut-être une mère de substitution.
"Ce gamin sans attache court sans le savoir après l'amour", dit Jean-Pierre Dardenne.
Dans la lumière automnale de Portland, éclot un amour immortel entre un jeune homme rendu orphelin par un chauffard et une jeune fille qui va bientôt mourir d'un cancer.
Une fois de plus, le réalisateur d'"Elephant" pose un regard doux, tendre et tragique sur l'enfance. Sa caméra sait rendre les visages angéliques, comme témoins d'un paradis perdu.
Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Jean-Loup Fiévet