Au musée d'Orsay, un chef-d'oeuvre de Courbet exposé pour la première fois en France depuis 17 ans

Un visiteur prend une photo avec son téléphone portable du tableau "Autoportrait", également connu sous les noms "Le Désespéré" (1843-1845) du peintre français Gustave Courbet, exposé en prêt au musée d'Orsay, à Paris, le 13 octobre 2025. - Ian LANGSDON
Représentant un Courbet au regard halluciné, ce chef-d'oeuvre de 1844-1845 est prêté à Orsay pour au moins cinq ans par Qatar Museums, l'organisme de développement des musées de l'émirat, qui en a fait l'acquisition auprès d'un propriétaire privé à une date et pour un montant inconnus.
Mondialement connue mais très rarement exposée, cette huile sur toile de petit format (45×54 cm) n'a pas été montrée au public français depuis 2007-2008 lors de la rétrospective consacrée à ce maître du réalisme (1819-1877) à Paris, New York puis Montpellier (sud).
Avant cette grande exposition internationale, ce tableau peint par Courbet alors qu'il n'avait que 25 ans n'avait pas été exposé depuis la fin des années 70, précise à l'AFP le musée d'Orsay, qui compte dans ses collections une trentaine de toiles du peintre français, dont "Un Enterrement à Ornans".
"Le Désespéré est unique dans la production d'autoportraits de Courbet parce que c'est le plus halluciné, c'est le plus fort en termes d'expression des émotions et des sentiments", a expliqué à l'AFP Paul Perrin, conservateur en chef d'Orsay.
Alors jeune peintre venu de l'est de la France chercher le succès à Paris, Courbet s'y représente les traits défigurés par l'effroi, la peur ou la folie, se tenant la tête, les bras et le visage pris dans un clair-obscur bluffant. "C'est vraiment une démonstration de maîtrise picturale", commente M. Perrin.
"Dépasser les murs"
Comme d'autres toiles de Courbet, "Le Désespéré", également appelé "Autoportrait de l'artiste" ou "Désespoir", n'a jamais fait partie des collections publiques françaises et a très longtemps été entre les mains de propriétaires privés.
Le père de la psychanalyse française, Jacques Lacan, a ainsi possédé "L'Origine du monde", autre chef-d'oeuvre de Courbet, qui a rejoint les collections du musée d'Orsay en 1995.
L'éparpillement de l'oeuvre de l'artiste tient beaucoup à ses péripéties judiciaires et politiques.
Condamné en France pour sa participation au soulèvement de la Commune de Paris de 1871, Courbet s'était exilé en Suisse pour échapper à la prison et avait dû vendre ses toiles pour payer la lourde pénalité infligée par la justice.
Au moment de la grande rétrospective de 2007-2008, "Le Désespéré" était la propriété du fonds d'investissement dans les arts de la banque française BNP Paribas, a appris l'AFP de sources concordantes.
Les Qataris en ont fait ensuite l'acquisition dans l'optique de l'exposer dans leur futur musée d'art contemporain et moderne, le Art Mill Museum de Doha, dont la construction doit être achevée à l'horizon 2030.
Entre Doha et Paris
Côté français, Sylvain Amic, nommé à la tête d'Orsay en 2024 et éminent spécialiste de Courbet, a été le grand artisan de la convention de prêt de cette oeuvre, signée en avril dernier avec la présidente de Qatar Museums, Sheykha Al-Mayassa bint Hamad bin Khalifa Al Thani.
Mais son décès brutal, survenu fin août, l'aura empêché de voir ce prêt se concrétiser.
"Il était vraiment enthousiaste à l'idée de rendre à nouveau accessible cette oeuvre à nos visiteurs", a déclaré à l'AFP Julia Beurton, administratrice générale de l'Etablissement public des musées d'Orsay et de l'Orangerie.
"Nous honorons aujourd'hui sa mémoire en dévoilant Le Désespéré au musée d'Orsay, avec la fierté de savoir que cette oeuvre voyagera régulièrement entre Doha et Paris, et avec la conviction que l'héritage de Sylvain inspirera les futures générations de directeurs et de conservateurs à concevoir la culture comme une force qui dépasse les murs de leurs institutions", indique Mme Al Thani, dans un communiqué transmis à l'AFP.