Procès de Jean-Marie Bernard: les codirectrices du centre de gestion ont-elles touché des primes irrégulières?

Le centre de gestion de la fonction publique des Hautes-Alpes situé 1 rue des Marronniers à Gap, en octobre 2022. - Capture d'écran Google Maps
C’est le troisième volet de l’affaire dans lequel les magistrats de la Juridiction Interrégionale Spécialisée (JIRS) de Lyon vont devoir se plonger ce mercredi 4 décembre lors du procès de Jean-Marie Bernard: celui du fonctionnement du centre de gestion de la fonction publique territoriale des Hautes-Alpes à Gap.
Le président du conseil départemental est soupçonné d'avoir détourné et reversé de l’argent sous forme de primes à deux codirectrices, dont l’une n’étant autre que sa nièce.
Tout commence en 2019, lors de la publication d'un rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC). Alors que Jean-Marie Bernard est président du centre de gestion depuis 2008, structure qui gère la gestion de la carrière et le suivi des dossiers des fonctionnaires territoriaux, la CRC publie son rapport à la suite d'un contrôle de l’établissement portant sur l’exercice 2011-2018.
Des irrégularités sont constatées, ce qui n’est pas rare lorsque la CRC enquête sur la gestion d’une collectivité ou d’un organisme public.
"La gestion du centre est perfectible. En effet, l’établissement apparaît désorganisé et sans pilotage, en l’absence de directeur(trice) désigné(e) et de règles de fonctionnement clairement définies", écrit la CRC dans la synthèse de son rapport.
Parmi les points qui font "tiquer" les fonctionnaires en charge de ce contrôle, il y a notamment les primes attribuées à deux codirectrices.
"La gestion des ressources humaines reste perfectible. Il conviendrait en effet de mettre à jour les règles relatives au temps de travail et du régime des congés des agents en les intégrant dans un document unique. Le centre de gestion doit également mettre fin au versement irrégulier de certaines primes", incite la chambre région des comptes dans sa synthèse.
Des primes qui interrogent
De quoi s’agit-il précisément? Dès 2008 et à l’arrivée de Jean-Marie Bernard, aucun directeur général n’a été nommé pour le centre de gestion.
"De fait, il existe une organisation bicéphale composée d’une directrice du pôle des ressources et moyens et d’une directrice du pôle concours, emploi, sécurité, organisation au travail et maintien dans l’emploi", souligne la CRC.
Parmi ces deux directrices, on y retrouve Alexandra Butel, nièce du président en place. Pourtant, en 2010, un appel à candidatures avait été lancé pour trouver un directeur censé piloter la structure. Au total, 34 candidats avaient déposé un CV dont plusieurs attachés principaux ou directeurs territoriaux qui avaient une expérience professionnelle répondant au profil requis. Mais personne n’avait été recruté.
Une fausse note pointée du doigt par la CRC, qui soulève dans son rapport une autre difficulté: celle portant sur des primes versées aux codirectrices, Alexandra Butel et Catherine Reboul.
La chambre régionale des comptes a relevé que les deux avaient reçu chacune 116 jours indemnisés grâce à leur Compte épargne temps (CET) entre 2015 et 2017, soit 14.500 euros bruts. Dans le détail, 40 jours avaient été indemnisés en 2015 et 2017, 36 en 2016. En 2014, c’est 50 jours qui avaient été indemnisés aux co-directrices. Des chiffres bien supérieurs aux congés que peuvent habituellement épargner les fonctionnaires.
Un "versement d'indemnités indues"
Le centre de gestion a précisé à la CRC que l’indemnisation des 40 jours était le fruit, non pas d’un reliquat de congés annuels non pris, mais d’une conversion de jours de repos compensateurs non pris, justifiés par un temps passé pour envoyer des courriels en-dehors des heures de service. Or, les heures supplémentaires étaient déjà payées.
Pour la CRC, il s’agit donc d’un "versement d’indemnités indues". La chambre a aussi relevé qu’il s’agissait chaque année d’un versement identique pour les deux agents, ce qui prouverait que les versements en cause correspondaient à des compléments indemnitaires.
"L’indemnisation de ces jours de congés s’est donc faite de manière irrégulière", insiste la CRC.
En outre, les deux codirectrices ont aussi perçu entre 2011 et 2015 des indemnités complémentaires contestées par la CRC compte tenu de leurs statuts et de l’absence de directeur.
"Un agent ne peut pas cumuler un statut d'agent titulaire à temps complet avec un statut d'agent non-titulaire au sein d'une même collectivité. (...) Or, en l’espèce, le président du centre de gestion a procédé de la sorte pour attribuer un complément indemnitaire à des personnes chargées de l’intérim d’un agent en congé maladie", rapporte la CRC.
Un euro symbolique demandé en cas de condamnation
Autant d’éléments qui ont poussé le parquet de Lyon, compétent depuis le dessaisissement du parquet de Gap en 2019, à renvoyer Jean-Marie Bernard devant le tribunal ce mercredi.
Aujourd’hui, l’élu n’est plus à la tête du centre de gestion des Hautes-Alpes. Battu en 2020 aux élections municipales à Dévoluy, il a laissé sa place à Marcel Cannat qui a immédiatement mis fin à la codirection en nommant un directeur.
Alexandra Butel, elle, s’est mise en disponibilité au sein de la structure, c’est-à-dire qu’elle reste fonctionnaire mais ne touche plus de salaire. Poursuivie dans cette affaire, l’actuelle maire du Dévoluy a déjà été condamnée dans le cadre d’une convocation sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) le 4 novembre dernier par le tribunal de Lyon.
Elle a reconnu les faits reprochés et a été condamnée à six mois de prison avec sursis et 1.500 euros d’amende. Alexandra Butel était poursuivie pour "recel de bien provenant de soustraction, détournement ou destruction de biens d’un dépôt public par dépositaire ou un de ses subordonnés".
Catherine Reboul, elle, occupe actuellement le poste de directrice du pôle Santé-Sécurité-Handicap au sein du centre de gestion. Elle sera jugée ce mercredi 4 décembre en même temps que Jean-Marie Bernard. Selon nos informations, Catherine Reboul a refusé le principe d’une reconnaissance préalable de culpabilité et souhaite s’expliquer devant les magistrats.
Dans ce dossier, le centre de gestion présidé par Marcel Cannat a décidé de se porter partie civile. Selon nos informations, en cas de condamnation, la structure envisage de demander le versement d’un euro symbolique à Jean-Marie Bernard et plusieurs dizaines de milliers d’euros aux deux anciennes co-directrices.
Avant le début du procès de Jean-Marie Bernard ce mercredi 4 décembre, BFM DICI consacre plusieurs articles sur les différents volets de l'affaire.
>Procès de Jean-Marie Bernard: du matériel de golf aux nuits d'hôtels, ce qui a alerté la Chambre régionale des comptes
>Procès de Jean-Marie Bernard: la voiture personnelle du président a-t-elle été payée par le département?