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INFO BFM DICI. Hautes-Alpes: Jean-Marie Bernard et cinq autres personnes renvoyés devant le tribunal correctionnel

Jean-Marie Bernard, président LR du département des Hautes-Alpes.

Jean-Marie Bernard, président LR du département des Hautes-Alpes. - JACQUES DEMARTHON / AFP

Le président du Conseil départemental des Hautes-Alpes est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Lyon pour "favoritisme", "prise illégale d’intérêt" et "détournements de fonds publics". Sa nièce, Alexandra Butel, pourrait aussi être convoquée lors de cette audience.

"C’est une période difficile", souffle un proche de Jean-Marie Bernard. Tant pour l’intéressé que pour son entourage, qui reste néanmoins confiant et combatif. Le président du Conseil départemental des Hautes-Alpes est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Lyon au mois de décembre prochain.

Cinq autres personnes sont concernées par cette procédure, dont Alexandra Butel, maire de la commune de Dévoluy et nièce de Jean-Marie Bernard. Dans un mail adressé le 19 juin dernier aux avocats des six personnes convoquées, et que BFM DICI a pu consulter, le vice-procureur de Lyon avance la date du mercredi 4 décembre 2024 pour la tenue de ce procès qui doit durer une journée entière.

Cette décision du parquet de Lyon fait suite à une longue procédure menée depuis 2019 et comprenant deux volets: l’un portant sur des soupçons de “favoritisme” et "détournements de fonds" dans le cadre de la présidence du Département et un autre portant sur le fonctionnement du Centre de Gestion des Hautes-Alpes entre 2008 et 2019.

"Aucune convocation" reçue pour l'heure

BFM DICI a appris de sources concordantes que l’ensemble du dossier devrait être jugé en décembre prochain. "Nous ne pouvons pas communiquer sur ce dossier en l’état. Cela ne sera possible que lorsque la procédure avant jugement sera terminée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce", indique ce samedi 3 août Thierry Dran, procureur de la République de Lyon. De son côté, l’avocat de Jean-Marie Bernard déclare se tenir prêt.

"Officiellement, nous n’avons reçu aucune convocation de la part de la juridiction. Nous imaginons que c’est donc toujours à l’instruction. Dans tous les cas, Jean-Marie Bernard et moi-même attendons sereinement la décision", précise Me Philippe Neveu à BFM DICI.

Aucune autre communication ne sera faite par le président du Conseil Départemental et son conseil d’ici la fin de l’été. Ensuite, viendra le temps d’une prise de parole publique pour entrer dans la bataille judicaire. Puisque qu'il s'agit bien d’une bataille pour Jean-Marie Bernard, ses proches et ses soutiens.

Depuis 2019, le dossier traîne sur le bureau des magistrats de la "JIRS Eco-Fi", la juridiction interrégionale spécialisée dans les délits économiques et financiers. Arrivé en septembre 2023 à la tête de cette division, le procureur-adjoint Éric Jallet, réputé pour sa grande précision en matière de droit pénal, comptait bien faire avancer l’affaire. Et elle n’est pas simple.

Plusieurs affaires distinctes

Il y a tout d’abord la partie concernant le Conseil départemental, fruit de deux enquêtes ouvertes. L’une pour “favoritisme”, “faux” et “usage de faux” dans le signalement de quatre marchés publics litigieux en juillet 2019.

La seconde enquête est ouverte pour “détournement de fonds par personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public”, “recel” et “complicité”, résultat d’un signalement fait après un rapport critique de la Chambre régionale des comptes (CRC) sur la gestion du Département, publié en 2019.

L’autre partie concerne le fonctionnement du Centre de Gestion de la fonction publique territoriale des Hautes-Alpes (CDGFPT). Dans cette procédure, sont cités les noms de Jean-Marie Bernard, d’Alexandra Butel et celui d’une autre fonctionnaire du Centre de Gestion.

Des irrégularités constatées

Tout commence en 2019. Alors que Jean-Marie Bernard est président de cette structure qui gère la gestion de la carrière et le suivi des dossiers des fonctionnaires territoriaux, la Chambre Régionale des Comptes (CRC) Provence-Alpes-Côte-d’Azur publie un rapport à la suite d'un contrôle de la CDGFPT.

Des irrégularités sont constatées, ce qui n’est pas rare lorsque la CRC enquête sur la gestion d’une collectivité ou d’un organisme public. "La gestion du centre est perfectible. En effet l’établissement apparaît désorganisé et sans pilotage, en l’absence de directeur(trice) désigné(e) et de règles de fonctionnement clairement définies", écrivait la CRC dans la synthèse de son rapport.

Parmi les points qui font "tiquer" les fonctionnaires en charge de ce contrôle, il y a les primes attribuées à deux co-directrices. "La gestion des ressources humaines reste perfectible. Il conviendrait en effet de mettre à jour les règles relatives au temps de travail et du régime des congés des agents en les intégrant dans un document unique. Le centre de gestion doit également mettre fin au versement irrégulier de certaines primes", incitait la CRC dans sa synthèse.

Des primes qui interrogent

De quoi s’agit-il précisément? Dès 2008 et à l’arrivée de Jean-Marie Bernard, aucun directeur général n’a été nommé pour le Centre de Gestion.

"De fait, il existe une organisation bicéphale composée d’une directrice du pôle des ressources et moyens et d’une directrice du pôle concours, emploi, sécurité, organisation au travail et maintien dans l’emploi", écrit la CRC.

Parmi ces deux directrices, on y retrouve Alexandra Butel. Pourtant, en 2010, un appel à candidatures avait été lancé pour trouver un directeur censé piloter la structure. 34 candidats avaient déposé un CV dont plusieurs attachés principaux ou directeurs territoriaux qui avaient une expérience professionnelle répondant au profil requis. Mais personne n’avait été recruté. Une fausse note pointée du doigt par la CRC qui soulève dans son rapport une autre difficulté, celle portant sur des primes versées aux co-directrices.

La CRC a relevé que les deux co-directrices avaient reçu chacune 116 jours indemnisés grâce à leur Compte Épargne Temps (CET) entre 2015 et 2017, soit 14.500 euros bruts. Dans le détail, 40 jours avaient été indemnisés en 2015 et 2017, 36 en 2016. En 2014, c’est 50 jours qui avaient été indemnisés aux deux co-directrices. Des chiffres bien supérieurs aux congés que peuvent habituellement épargner les fonctionnaires.

Un "versement d'indemnités indues"

Le Centre de Gestion a précisé à la CRC que l’indemnisation des 40 jours étaient le fruit, non pas d’un reliquat de congés annuels non pris, mais d’une conversion de jours de repos compensateurs non pris, justifiés par un temps passé pour envoyer des courriels en dehors des heures de service.

Or, les heures supplémentaires étaient déjà payées. Pour la CRC, il s’agit donc d’un "versement d’indemnités indues". La chambre a aussi relevé qu’il s’agissait chaque année d’un versement identique pour les deux agents, ce qui prouverait que les versements en cause ont correspondu à des compléments indemnitaires.

"L’indemnisation de ces jours de congés s’est donc faite de manière irrégulière", insistait la CRC. En outre, les deux co-directrices ont aussi perçu entre 2011 et 2015 des indemnités complémentaires contestées par la CRC compte tenu de leurs statuts et de l’absence de directeur.

"Un agent ne peut pas cumuler un statut d'agent titulaire à temps complet avec un statut d'agent non titulaire au sein d'une même collectivité […] Or, en l’espèce, le président du centre de gestion a procédé de la sorte pour attribuer un complément indemnitaire à des personnes chargées de l’intérim d’un agent en congé maladie", rapportait la CRC dans son rapport.

L’entourage du président "confiant"

Autant d’éléments qui poussent aujourd’hui le parquet de Lyon, compétent depuis le dessaisissement de Florent Crouhy et du parquet de Gap en 2019, à renvoyer Jean-Marie Bernard devant le tribunal. Aujourd’hui, l’élu n’est plus à la tête du Centre de Gestion des Hautes-Alpes.

Battu en 2020 aux élections municipales à Dévoluy, il a laissé sa place à Marcel Cannat qui a immédiatement mis fin à la co-direction en nommant un directeur. Alexandra Butel, elle, s’est mise en disponibilité au sein de la structure, c’est-à-dire qu’elle reste fonctionnaire mais ne touche plus de salaire.

Selon nos informations, plusieurs élus du Centre de Gestion ont été mis dans la confidence pour se préparer à un procès médiatique à la fin de l’année. Une réunion portant exclusivement sur ce sujet s’est d’ailleurs tenue à la fin du mois de juillet. Le Centre de Gestion pourrait se porter partie civile dans ce dossier.

Contacté directement, Jean-Marie Bernard n’a souhaité faire aucun autre commentaire que celui de son avocat. Pas plus qu’Alexandra Butel. "Pour l’instant, il n’y a aucune convocation même si l’affaire est 'enrôlée' pour le 4 décembre. Ce que nous craignons, ce sont les gros titres dans la presse et le battage médiatique car sur le fond, nous sommes confiants", confie un intime du président du Conseil départemental des Hautes-Alpes. Et de conclure: "Ce procès sera politique. Les magistrats savent qu’il y a un gros poisson au bout, alors, ils y vont. Nous répondrons présents."

Valentin Doyen