Procès de Jean-Marie Bernard: la voiture personnelle du président a-t-elle été payée par le département?

Jean-Marie Bernard, président du conseil départemental des Hautes-Alpes, le 28 avril 2021 dans son bureau à Gap. - BFM DICI
La journée sera longue. Jean-Marie Bernard, président du conseil départemental des Hautes-Alpes depuis 2015, est attendu pour la seconde fois de sa présidence au tribunal ce mercredi 4 décembre.
Le 16 novembre 2021, l’élu avait été condamné par la cour d’appel de Grenoble à 10.000 euros d’amende avec sursis pour avoir offert une queue de loup, un animal protégé, à une ancienne préfète lors de son pot de départ. Cette fois-ci, les reproches formulés par la justice ne sont plus les mêmes.
Parmi les griefs, il y a des soupçons de "favoritisme", "faux" et "usage de faux" dans l’attribution de quatre marchés publics litigieux. La Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lyon, compétente en matière de délits financiers complexes, a commencé à se pencher sur cette partie du dossier en 2019, après un signalement interne au sein du conseil départemental. Dans ce signalement, Jean-Marie Bernard et son entourage sont accusés d’avoir détourné les règles de marchés publics pour un service de géomètre expert, pour l’achat d’engins agricoles et pour la location de longue durée de véhicules de fonction.
Dans ce troisième marché, Jean-Marie Bernard est soupçonné d’avoir fait financer son véhicule personnel par des fonds du département. Une opération qui aurait été menée avec la complicité de trois personnes également poursuivies dans cette affaire: l’ancien directeur de cabinet Fabrice Hurth, l’ancienne directrice générale adjointe du pôle ressources Béatrice Chevalier et l’actuel directeur général des services Jérôme Scholly.
Le procès de Jean-Marie Bernard est à suivre en direct ce mercredi sur le site de BFM DICI.
Des soupçons de modification des résultats du marché public
Pour les achats de ce type, le département a obligation de passer par un marché public en respectant trois grands principes: la collectivité doit permettre à toutes les entreprises qui veulent se positionner de se porter candidate, les procédures doivent être transparentes et tous les candidats doivent bénéficier d’un traitement équitable.
Toutefois, pour le contrat de locations de véhicules, cela ne semble pas avoir été le cas.
Le 11 mai 2018, le conseil départemental, à travers son service des achats publics, ouvre le marché et reçoit, un mois plus tard, plusieurs offres. Dans le détail, le département est à la recherche de 12 véhicules pour les agents, le directeur général des services, ses adjoints, le cabinet du président et le président lui-même qui bénéficie d’un chauffeur.
Dans une série de documents transmis à la justice que BFM DICI a pu consulter, on constate que le rapport d’analyse des offres place l’entreprise Leaseplan en tête du marché avec une note globale de 92 sur 100, juste devant le concessionnaire Volkswagen à Gap qui obtient la note de 91. Le résultat est basé sur une note de prix et une note technique.
Pourtant, ce résultat n'a pas semblé convenir à Jean-Marie Bernard. Les équipes en charge de ce dossier sont soupçonnées d'avoir modifié, à la demande du président, les résultats du marché public afin de favoriser Volkswagen.
La demande d'un véhicule personnel faite en personne
Plus loin, dans d’autres documents sur lesquels s’appuie la justice pour renvoyer Jean-Marie Bernard devant un tribunal, on lit que le président en personne accompagné de son directeur de cabinet de l’époque, se seraient déplacés chez Volkswagen en pleine période de publicité du marché de location, alors même que les résultats n’étaient pas connus.
Chez le concessionnaire, Jean-Marie Bernard aurait choisi la couleur des voitures et en aurait profité pour faire une demande spéciale au commercial en charge du marché: ajouter une autre voiture pour son usage personnel. À la suite de ce passage chez Volkswagen, dans un mail datant du 11 juillet 2018, le commercial en charge du dossier envoie un nouveau document faisant apparaître les modifications vues avec Fabrice Hurth.
Un nouveau véhicule est ajouté au bordereau de commande sans que les autres candidats au marché public ne soient informés.
Une demande de "craquer le mot de passe"
Sept jours plus tard, dans un mail datant du 18 juillet 2018 que la rédaction de BFM DICI a pu consulter, Béatrice Chevalier, adjointe du pôle ressources, demande à ses équipes de "craquer le mot de passe (du rapport d’analyse des offres, NDLR) de telle sorte que je puisse apporter la modification qui m’appartient". Ainsi, elle va modifier le rapport d’analyse de l’offre en dehors des règles de marchés publics et sans en informer les autres candidats.
L’analyse des offres modifiée permettra à Volkswagen d’obtenir une meilleure note que ces concurrents passant de 91,76 à 96,33 sur 100. Pour arriver à ce résultat, Béatrice Chevalier a supprimé deux véhicules initialement prévus et ajouté une Seat Léon X-perience de 184CH à 18.877 euros. Une voiture à destination supposée de Jean-Marie Bernard. Les autres candidats pour ce marché de location ne seront jamais prévenus de ces modifications.
Une fois l’analyse modifiée, le montant hors taxe de l’offre de Volkswagen s’élève à 89.870 euros alors que le bon de commande signé par Jérôme Scholly, le directeur général des services est en réalité de 108.747 euros. La différence représente à l’euro près le prix de la Seat Léon dont Jean-Marie Bernard aurait bénéficié.
L'ancienne directrice générale adjointe déjà condamnée
Dans ce dossier, seuls Jean-Marie Bernard, Fabrice Hurth et Jérôme Scholly seront jugés ce mercredi 4 décembre au tribunal de Lyon. Béatrice Chevalier, elle, a déjà été condamnée par la justice.
Le 7 octobre dernier, l’ancienne directrice générale adjointe a décidé de comparaître sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Le tribunal l’a condamnée à six mois de prison avec sursis et une amende de 1.500 euros. Peu de temps après le signalement des faits à la justice, elle a quitté le conseil départemental. Béatrice Chevalier est aujourd’hui directrice générale des services de la ville de Briançon.
Ce mercredi 4 décembre, d’autres marchés publics seront également décortiqués par les magistrats lyonnais, comme l’achat d’engins agricoles pour le déneigement. Le département devra également justifier ses choix pour l’attribution d’un marché de géomètres en février 2019. Des élus auraient modifié les résultats pour attribuer le marché à un concurrent local qui n’était pas attributaire dans l’analyse initiale des offres.
Un an auparavant, en 2018, dans le cadre de travaux routiers, un élu toujours vice-président du conseil départemental aujourd’hui aurait enfin déclaré vouloir que les élus fassent eux-mêmes les choix dans l’attribution des marchés publics. Remettant en cause le travail des techniciens du département, il avait échangé directement avec une entreprise locale et candidate malheureuse.
Avant le début du procès de Jean-Marie Bernard ce mercredi 4 décembre, retrouvez tous les jours des articles consacrés aux différents volets de l'affaire.
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