Morbihan: le prénom Fañch se retrouve à nouveau devant la justice ce jeudi

Une main de bébé et celle d'un adulte (Photo d'illustration) - Flickr - CC Commons - Stephen Mitchell
C'est le retour devant la justice du prénom Fañch. Ce jeudi 6 février, une audience se tient devant le tribunal de Lorient pour trancher du sort du prénom d'un enfant né il y a un an et demi dans le Morbihan. Le procureur de la République avait estimé, environ trois mois après sa naissance, qu'il ne pouvait pas garder son "n tilde".
Déterminés à défendre le prénom choisi pour leur petit garçon, les parents avaient décidé de porter l'affaire devant la justice.
Le maire de Lorient avait autorisé le prénom
Selon Le Télégramme, ces Lorientais avaient notamment choisi le prénom Fañch en hommage à un arrière-grand-père et parce qu'ils en aimaient la consonance. Si les services de l'état-civil avaient dans un premier temps refusé ce prénom, c'est le maire de Lorient qui l'avait finalement autorisé quelques jours plus tard, en juin 2023, mois de naissance du petit garçon.
Les jeunes parents pensaient alors que l'affaire était close. Pourtant, environ trois mois plus tard, ils avaient reçu un courrier du procureur de la République de Lorient, Stéphane Kellenberger, qui leur indiquait ne pouvoir "légalement que procéder à la rectification administrative de l'erreur purement matérielle entachant l'écriture du premier prénom attribué à (leur) enfant".
Pour justifier cette décision, le procureur se basait sur une décision du Conseil constitutionnel en date du 21 mai 2021 qui indique "les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage".
"En prévoyant que des mentions des actes de l'état civil peuvent être rédigées avec des signes diacritiques autres que ceux employés pour l'écriture de la langue française, ces dispositions reconnaissent aux particuliers un droit à l'usage d'une langue autre que le français dans leurs relations avec les administrations et les services publics. Dès lors, elles méconnaissent les exigences précitées de l'article 2 de la Constitution", peut-on encore lire dans la décision rendue par le Conseil constitutionnel.
En résumé, Fañch doit perdre son tilde parce que ce signe n'existe pas "tant en français qu'en droit positif" et cela est contraire à la Constitution: ça reviendrait à autoriser les gens à utiliser une autre langue que le français dans leurs rapports avec l'administration et les services publics.
Langue française
Selon l'avocat des parents, ces derniers n'ont pas choisi le prénom Fañch "par militantisme" mais ""pour des raisons personnelles et parce que ça résonne en Bretagne. Ils ne pensaient pas que cela poserait problème".
"Et de fait, le représentant de l'état civil lorientais, en la personne du maire, a indiqué à l'époque qu'il n'y avait aucune difficulté avec ce prénom. Ils ont même fait une demande de pièces d'identité et ont obtenu un passeport délivré par l'État", affirme-t-il auprès de France Bleu.
Selon Me Yannis Alvarez, le tilde existe déjà dans la langue française car on l'utilise, par exemple dans le nom de famille "Nuñez".
Contraire à "l'intérêt de l'enfant"?
Et ce n'est pas la première fois que "Fañch" se retrouve face à la justice. En 2017 déjà, un couple s'était vu refuser ce prénom, d'abord par un officier d'état civil puis par le tribunal de Quimper, ville de naissance de l'enfant, au motif que le n tilde n'existait pas dans la langue française.
Après un appel de la décision et un recours en cassation, les parents avaient finalement été autorisés à appeler leur fils Fañch, avec le tilde. C'est pour cette raison que les parents lorientais qui se retrouvent devant la justice ce jeudi avaient estimé qu'ils pourraient à leur tour choisir ce prénom.
Et ce feuilleton ne va pas s'arrêter là puisqu'un autre couple, résidant dans le Maine-et-Loire, est convoqué ce mois devant un juge des affaires familiales pour avoir prénommé à l'été 2023 leur fils... Fañch.
Pour motiver son refus d'autoriser ce prénom, le parquet d'Angers se réfère là à "l'intérêt de l'enfant" et demande donc au juge des affaires familiales d'ordonner la suppression du prénom Fañch de l'acte de naissance et d'"attribuer à l'enfant un autre prénom avec l'accord des parents ou à défaut sans leur accord".
"On nous dit que nous ne prenons pas en compte l’intérêt de notre enfant. C’est violent. On sous-entend qu’on est de mauvais parents, juste pour un tilde", déclarait alors la mère au Courrier de l'Ouest.
Un "sentiment d'insécurité juridique"
La circulaire ministérielle de 2014 listant les signes autorisés sur certaines lettres (accents, tréma, cédille... mais pas le tilde) n'a jamais été modifiée et le problème demeure donc. Les prénoms bretons ne sont pas les seuls potentiellement concernés.
Un rapport parlementaire détaillait ainsi une liste de signes diacritiques utilisés dans de nombreuses langues régionales de France, comme le ā, ē, ī, ō, ū en tahitien, le signe ò en catalan, créole et occitan ou encore le signe ì en alsacien et en corse.
Comme le rappelle France Bleu, au moment où le procureur de Lorient envoyait sa lettre aux parents de Fañch, celui de Bayonne autorisait une jeune femme, Aña, à inscrire un tilde sur son prénom.
L'avocat Yannis Alvarez déplore une inégalité de traitement. "Ça crée un sentiment d'insécurité juridique profond pour les parents. Parce qu'il ne faut pas oublier qu'un nom, un prénom, c'est aussi une identité. Et donc il y a une grande violence à vouloir refuser aussi le choix des parents. La seule limite que pose la loi, c'est l'intérêt de l'enfant", conclut-il auprès de nos confrères.