L'Education nationale fait l'impasse sur les écrivaines au bac littéraire

Marguerite Yourcenar fait son entrée à l'Académie française en 1981. - STAFF - AFP
C’est désormais souvent sur le site de pétitions en ligne Change.org que naissent les polémiques. L’une d’entre elles, relevée par Le Parisien, doit faire siffler quelques oreilles du côté du ministère de l’Education nationale: François Cahen, prof de français dans un lycée d’Alfortville, a effet écrit un texte réclamant qu’on fasse enfin leur place aux écrivaines dans le programme du bac littéraire. Elle note ce curieux fait que tous, élèves et professeurs, avaient sous les yeux sans jamais le remarquer: "Jamais une femme n’a été au programme de littérature en terminale L."
Le 16 avril, le Bulletin officiel introduisait un nouvel auteur pour la rentrée prochaine: André Gide. Une nomination en forme de désillusion parmi celles et ceux qui attendaient de voir enfin surgir le nom d’une Marguerite Yourcenar, d’une madame de La Fayette (ce qui n’aurait pas manqué de déplaire à l’ancien chef de l’Etat), d’une marquise de Sévigné, d’une Nathalie Sarraute etc. Mais non, si des ouvrages écrits par des femmes sont ponctuellement donnés à lire aux collégiens, à des classes de lycéens, la porte du baccalauréat littéraire leur semble fermée. "Mon idée n'est pas de réclamer une parité, mais au moins une présence des femmes", déclare Françoise Cahen au Parisien.
Le ministère a cependant réagi devant ce début de polémique: "Najat Vallaud-Belkacem prend le sujet au sérieux. Le ministère veut des femmes, dans les manuels, dans les programmes, dans les sujets d'examen!" affirme l'entourage de la ministre de l'Education nationale, cité par le quotidien.
Des réactions "positives et étonnées"
Hisis Lagonelle (il s’agit d’un pseudonyme) tient "La chronique d’une prof infiltrée" sur le site féministe Barbieturix. Il y a près d’un an, elle consacrait un billet à cette absence. Elle cherche à identifier la racine du problème:
"Le métier d’écrivain est resté depuis les origines un métier masculin. Une femme qui écrivait n’était pas forcément bien vue. Etudier l’œuvre d’une femme c’est donc un regard marginal sur le monde et un parti-pris vers lequel l’Education nationale n’ose pas se diriger. Quand on fait lire une femme à une classe, on doit expliquer le contexte, la position particulière des femmes dans la société. Alors, on préfère éviter ça et aller à la facilité, c’est une forme de paresse intellectuelle."
Enseignante au lycée à des élèves issus de classes de Première ou de seconde, elle n’oublie pas de mettre régulièrement sous les yeux de ses élèves des textes d’écrivaines. Les réactions sont aussi positives qu’étonnées:
"Il faut prendre le temps. Il y a souvent une surprise chez eux. Ils me disent: 'Je ne savais pas qu’elle avait écrit!' ou 'Je ne savais pas qu’elle existait!', 'Je ne savais pas que c’était aussi bien!'. Par exemple, j’ai déjà fait lire L’Invitée de Simone de Beauvoir. Ils savaient qu’elle avait été la compagne de Sartre, pas qu’elle écrivait au moins aussi bien que lui. C’est normal, ces élèves sont nourris par des manuels où les femmes sont globalement en deuxième ligne."
Le paradoxe du bac littéraire
En parcourant les programmes récents du bac littéraire, la prof de lettres soulève encore un paradoxe: "Paradoxalement, on a eu au programme du bac L des ouvrages écrits par des hommes qui parlaient de la femme, comme Madame Bovary de Flaubert ou Zazie dans le métro de Queneau mais pas l’inverse. Apparemment, la femme peut être l’objet d’un livre mais pas le sujet agissant."
Des siècles de traditions féminines de la littérature n’ont donc pas entamé la position marginale des écrivaines dans le champ scolaire. C’est bien dommage pour Hisis Lagonelle, qui estime qu’elles auraient de grandes choses à apporter aux jeunes lecteurs, et aux autres aussi d'ailleurs: "Une femme, de par sa position de retrait par rapport aux hommes dans la société, a un regard sur le monde plus contemplatif que celui des hommes. A l’arrivée, ça donne une littérature où la réflexion est plus profonde."