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La fête du village de Calamane, qui a eu lieu le week-end du 25 au 27 juillet 2025 dans le Lot.

Alexandre Hernandez

"C'est du temps, de l'argent, et beaucoup de travail": la lente extinction des fêtes de village

L’été signe généralement le retour des fêtes de village. Mais ces événements, piliers de la vie locale, sont de plus en plus menacés: près de 30% d'entre elles ont disparu en quatre ans. De nombreux acteurs locaux peinent à continuer à faire vivre ce folklore, minés par la crise du bénévolat, les difficultés financières et la lourdeur administrative. Ils racontent à BFMTV.com.

"Tous les ans je dis que c'est la dernière, et pourtant, chaque année je remets ça!" À 36 ans, Alexandre Hernandez organise la fête de Calamane (Lot) depuis 14 ans. Pourtant, ce facteur et enfant du village ne se fait guère d'illusions. Il sait que le jour où il quittera la présidence du comité des fêtes, la fête du village pourrait bien disparaître.

Pétanque, frites et grillades, accordéon et jeux gonflables pour les enfants... Ces retrouvailles estivales rencontrent pourtant toujours un franc succès: le week-end dernier, la fête a encore attiré quelque 200 personnes chaque soir. "C'est un repère pour beaucoup de gens ici, un événement très attendu. J'ai d'ailleurs l'interdiction formelle de changer sa date", plaisante le trentenaire, attaché à cette tradition locale.

La fête du village de Calamane, qui a eu lieu le week-end du 25 au 27 juillet dans le Lot.
La fête du village de Calamane, qui a eu lieu le week-end du 25 au 27 juillet dans le Lot. © Alexandre Hernandez

30% des fêtes traditionnelles ont disparu en 4 ans

À Calamane, la fête du village tient encore debout grâce à une quinzaine de fidèles bénévoles, mais pour combien de temps? Les troupes sont vieillissantes, et Alexandre Hernandez redoute la suite. "Un événement comme ça, ça demande du temps, de l'argent, et beaucoup de travail. J'y consacre au moins deux week-ends entiers par an sans compter les réunions tardives tout au long de l'année... ni la charge mentale qui y est associée. Il y a tellement de choses auxquelles penser".

"Entre le remplissage des dossiers, l'accrochage des panneaux ou le remplacement de la machine à café... Ça se prépare au moins un an à l'avance", détaille l'organisateur, parfois fatigué par cette charge qui pèse sur ses épaules toute l'année. "Tout mis bout à bout, c'est énormément de boulot, ça peut être pesant et surtout ça ne tient pas sans le collectif ni sans les coups de main des uns et des autres".

Que faites vous cet été? Une randonnée? Un festival de musique? un loto? Pendant deux semaines, chaque jour, nous vous racontons les vacances en France dans une ville différente, à la mer, à la campagne et à la montagne. Comme un carnet de bord ou une carte postale. Quelles sont les tendances de l'été 2025? Qu'est-ce qui a changé? Et comment? 
Un podcast réalisé par Yves Pulici et Yannis Mezdour.
Deuxième étape - Remettre la fête au milieu du village
18:11

"Certains d'entre nous font ça depuis 20 ans, mais quand on arrêtera, je ne sais pas qui prendra le relais", s'inquiète cet homme, qui a vu disparaître de la sorte les fêtes des communes voisines, Mercuès et Espère, en 2018. Lorsqu'il était enfant, celles-ci étaient pourtant considérées comme des événements incontournables.

Des évènements autrefois incontournables

Après des décennies de fête estivale, la fête du village d'Espère (Lot) a réduit la voilure de l'événement de 3 à 2 jours, avant de s'éteindre en 2018 lorsque le président du comité des fêtes a quitté la région. "J'ai tenu les rênes deux ans pour essayer de sauver le truc", raconte a posteriori Arnaud Caillère, 33 ans, qui vit depuis à Cahors.

"J'aurais aimé que ça continue, qu'on puisse faire perdurer ce côté festif, qui est l'esprit du Sud-Ouest. D'autant que la fête d'Espère était un peu incontournable, il fût un temps... Mais là c'était devenu trop compliqué", relate-t-il.
Les affiches des fêtes de village des communes de Queyssac et Calamane pour l'année 2025.
Les affiches des fêtes de village des communes de Queyssac et Calamane pour l'année 2025. © BFMTV

"Ce sont des événements qui, mine de rien, coûtent cher, autour de 10.000 euros, et avec la hausse des coûts, le budget ne suivait plus, malgré la petite subvention d'un millier d'euros de la mairie. D'autant que petit à petit, beaucoup d'anciens bénévoles ont voulu arrêter. Or sans eux la tâche était compliquée, et on a eu du mal à reconstituer un bureau".

Un constat partagé au niveau national, puisqu'au-delà des questions financières, c’est aussi l’engagement bénévole qui s’effrite, comme le souligne Jean Bobet, chargé de développement de l’association Les Plus Belles Fêtes de France: "Le tissu associatif est aujourd’hui vieillissant. Passé un certain âge, les gens se désengagent, et la jeunesse est soit moins présente dans les territoires ruraux, soit moins investie. Or sans bénévoles, le modèle économique de ces fêtes ne tient plus".

Ainsi en France, 30% des fêtes de village et fêtes traditionnelles ont disparu en quatre ans, selon un sondage Infopro* réalisé en novembre 2024 pour l'association Les plus belles fêtes de France. Et 20% des collectivités organisatrices de fêtes se disent aujourd’hui pessimistes concernant leur pérennité.

"On manque de sang neuf"

"Tous les ans, c'est pareil: on a du mal à trouver des gens motivés et prêts à s'investir tout au long de l'année", confirme Anaïs, bénévole de 27 ans pour la fête du petit village de Peyrilles (Lot). "On manque de sang neuf. Ce sont souvent les mêmes personnes, des mêmes familles, qui viennent aider", regrette la jeune femme, qui ne compte pas ses heures à oeuvrer en coulisses pour que puisse se tenir le bal dansant, le repas saucisse-magret et les attractions foraines dans la petite commune de 350 habitants.

"Depuis le Covid, un certain nombre de personnes se sont repliées sur leurs intérêts personnels, leur vie de famille", observe aussi Marie-Christine Mayet, trésorière et secrétaire du comité des fêtes du village de Queyssac (Dordogne) qui compte 530 habitants. "Comme s'ils avaient perdu le pli de l'entraide et de la solidarité... Alors forcément, ceux qui restent n'ont d'autre choix que d'être sur tous les fronts et de toucher à tout".

"La jeunesse, on ne la voit pas ou c'est très rare", abonde Alexandre Hernandez, qui est le plus jeune de sa commune à s'investir, du haut de ses 36 ans. "Aujourd'hui, on est plus trop dans l'esprit où on sort de chez soi et on va aider spontanément les voisins", ce qu'il trouve aussi "compréhensible": "les gens n'ont pas le temps d'aller remuer des cartons ou des papiers le soir en rentrant du boulot".

Et puis "la nouvelle génération, ce n'est pas trop son truc de passer la soirée à écouter de l'accordéon", ajoute-t-il. "C'est d'un autre temps pour elle".

Dans l'organisation des fêtes de village aujourd'hui, tout s'apparente à un casse-tête. À Calamane par exemple, la fête n'attire même plus les forains avec leurs caravanes, comme avant. "Aujourd’hui, s’il y a un seul manège, c’est déjà une chance", lance Alexandre Hernandez. Et pour cause depuis 2020, les forains ne font plus le déplacement mais se contentent de louer leur matériel. "Les petits villages ne pèsent plus assez lourd dans leur calendrier pour qu'ils viennent, ce n’est plus assez rentable pour eux".

Faire preuve d'ingéniosité pour survivre

Dans ce contexte, les organisateurs doivent trouver d’autres moyens pour faire vivre la fête. Car en plus du désengagement des forains, la hausse générale des coûts complique sérieusement la donne. Sponsoring, tombolas, vide-greniers, coopération intercommunale… À Salignac-sur-Charente (Charente-Maritime), le comité des fêtes a dû faire preuve d’inventivité pour sortir d’un déficit chronique, raconte son président Patrick Lardillon, aujourd’hui fier de leur autonomie financière.

Alors pour rétablir l’équilibre, il a fallu confier le traditionnel feu d’artifice à la commune et organiser une brocante le dimanche. Les recettes ainsi récoltées permettent désormais de financer les temps forts du week-end, comme la retraite aux flambeaux, les attractions foraines, le méchoui ou encore la course cycliste. "Avec ses 200 exposants, le vide-grenier permet de se maintenir à flots. Pour l'instant on est sur une bonne dynamique avec un bon noyau de bénévoles qui tient depuis longtemps".

La fête du village de Calamane, qui a eu lieu le week-end du 25 au 27 juillet dans le Lot.
La fête du village de Calamane, qui a eu lieu le week-end du 25 au 27 juillet dans le Lot. © Alexandre Hernandez

"C'est simple: il faut absolument tout calculer", ajoute Marie-Christine Mayet, trésorière du comité des fêtes de Queyssac (Dordogne). "D'autant que dans la conjoncture économqiue actuelle, les gens sont un peu plus frileux dans les dépenses et qu'il faut faire en sorte de ne pas abuser sur les prix, notamment celui du repas".

Bien que particulièrement attachée à cette fête locale, la présidente du comité des fêtes ne cache pas qu'elle est parfois fatiguée par la lourdeur des tâches administratives liées à un tel événement. "S'il y a bien quelque chose qui freine l'enthousiasme des troupes, c'est bien ça!", râle la sexagénaire. "C'est chronophage. Il faut le trouver, le temps, pour remplir tous ces dossiers à la préfecture: entre les aspects sécuritaires, le personnel à déclarer et j'en passe..."

Le poids des contraintes administratives

Jen Bobet, de l'association des plus belles fêtes de France, a bien en tête le poids de la contrainte administrative pour les organisateurs. "Ça fait partie des aspects qui découragent et démotivent le plus les organisateurs, à en croire les résultats de notre sondage".

Même si les comptes du comité sont désormais à l’équilibre, Patrick Lardillon reste prudent quant à l’avenir. "C’est toujours difficile de trouver des gens prêts à s’investir sur la durée. Quand on cherche à mobiliser 60 ou 70 bénévoles, ça représente 10% de la population. Et la moyenne d’âge tourne autour de 50-60 ans. À terme, ça peut devenir problématique. Pour l’instant, ça tient, mais après… ce sera une autre histoire."

Les affiches des fêtes de villages des communes de Peyrilles et de Salignac-sur-Charente, pour l'année 2024 et 2025.
Les affiches des fêtes de villages des communes de Peyrilles et de Salignac-sur-Charente, pour l'année 2024 et 2025. © BFMTV

Au-delà du simple divertissement, ces fêtes jouent un rôle essentiel dans la vie des territoires ruraux. "Amener un peu de vie ici, c’est précieux. C’est ce qui permet de rassembler toutes les générations. Sinon, on finit par ne plus se parler, ne plus se mélanger et on n’a plus de nouvelles des uns des autres", souligne Alexandre Hernandez.

Ce rôle social est au cœur des inquiétudes, car ces fêtes ne sont pas que des moments de folklore: elles incarnent "l’identité d’un territoire, la mémoire collective, la transmission d’un patrimoine vivant. Leur disparition représenterait non seulement une perte culturelle, mais aussi un affaiblissement du lien social qui unit les habitants", rappelle Jean Bobet, des plus belles fêtes de France. C’est pour cette raison que l’association a créé un label, afin de recenser et valoriser la richesse et la diversité de ces événements. Une façon de rappeler que maintenir ces rendez-vous, c’est aussi faire vivre nos campagnes.

* Un sondage commandé par l'association Les plus belles fêtes de France et réalisé par le cabinet de sondage Infopro digital en 2024 auprès de 500 municipalités de toutes les tailles.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV