Piment, thé vert, ananas... ces aliments sont-ils vraiment "brûle-graisse"?

Les fruits et légumes du mois de novembre. - Pierre-Oscar Brunet
Le piment, le thé vert, l'ananas mais aussi l'aubergine, la pomme, le poivron, la cannelle, le pamplemousse, le citron, le son d'avoine ou les baies. Voici une liste non exhaustive des aliments souvent loués pour leurs propriétés dites "brûle-graisse".
Selon certains articles, pages en ligne consacrées à la nutrition, mais aussi sur les réseaux sociaux ou sites marchands de compléments alimentaires, ces aliments permettraient de "dégommer la graisse trop bien stockée" et perdre plusieurs kilos "sans faire de régime ni de sport", promettent-ils.
Certains y vont de leur recette: l'un propose une infusion oignon rouge/clou de girofle "pour brûler la graisse du ventre en seulement trois jours", un autre un "jus détox brûle-graisse" composé de graines de chia, citron et pommes Granny, ou encore cette "recette brûle-graisse pour maigrir du ventre" composée d'un avocat quinoa et crevettes.
Mais cette expression "aliment brûle-graisse" est-elle scientifiquement correcte? Martine Laville, professeure émérite de nutrition à l'université Claude-Bernard-Lyon-1, est formelle: l'association de ces termes n'a rien d'un concept médical reconnu.
"Penser qu'on peut brûler des graisses en mangeant, c'est un énorme contresens", balaie-t-elle pour BFMTV.com.
"Aucune réalité biologique"
Cette ancienne responsable du centre intégré de l'obésité aux Hospices civils de Lyon explique que s'alimenter fait sécréter de l'insuline, cette hormone produite par le pancréas qui régule le taux de glucose (ou de sucre) dans le sang. À l'exception des personnes diabétiques qui n'en sécrètent pas assez ou dont l'organisme est devenu résistant à l'insuline, ce phénomène se produit naturellement.
"La sécrétion d'insuline freine la lipolyse, c'est-à-dire le mécanisme naturel qui permet de brûler les graisses", ajoute Martine Laville. "Quand on mange, notre corps stocke en prévision des périodes de jeûne. Donc affirmer que l'on peut brûler des graisses en mangeant ne recouvre aucune réalité biologique."
Également auteure du rapport Mieux prévenir et prendre en charge l'obésité en France rendu en 2023, Martine Laville poursuit son explication. "L'insuline est aussi l'hormone qui permet le stockage des graisses. Ce n'est que quand elle est basse que leur dégradation peut se faire."
L'organisme humain brûle donc en dehors des repas, quand l'insuline est au plus bas, mais aussi lors d'une activité physique. "L'exercice freine la sécrétion d'insuline. Ce qui est logique: le gras est libéré du tissu adipeux pour donner de l'énergie aux muscles."
Pour Boris Hansel, endocrinologue-diabétologue et nutritionniste à l'hôpital Bichat-Claude-Bernard à Paris, il ne faut pas confondre les propriétés d'un aliment et la réalité clinique. "Un aliment peut contenir une molécule particulière, qui dans des conditions de laboratoire, peut produire des effets biologiques", explicite-t-il pour BFMTV.com.
"Mais il ne faut pas pour autant en déduire que l'aliment aura le même effet chez l'humain."
Piment et thé vert?
Dans le cas du piment, parfois présenté comme l'un des meilleurs brûle-graisse, il contient de la capsaïcine (le composé naturel qui donne la sensation de brûlure) qui augmente la dépense énergétique. Selon une synthèse scientifique publiée dans la revue Appetite, consommer 5 à 10 mg de capsaïcine quotidiennement permet de brûler 50 kcal de plus par jour. Ce qui revient à avaler quotidiennement 10 à 20 grammes de harissa, compare le service public d'information en santé.
Concrètement, cela représente une perte d'au maximum deux kilos par an, estime Boris Hansel, "à condition d'une consommation quotidienne". "Et si vous arrêtez le piment, vous reprenez vos kilos."
L'un des "brûle-graisse" les plus réputés, c'est aussi le thé vert, riche en catéchines, des polyphénols qui stimulent la lipolyse et le métabolisme. Une étude publiée dans la revue International Journal of Obesity a conclu à une perte de poids de 900 g après deux mois de supplémentation en tyrosine (un acide aminé), capsaïcine, catéchines et caféine.
Mais cette supplémentation, concentrée et administrée dans le cadre d'une étude, n'a que peu de choses à avoir avec une consommation de thé courante. "Ce n'est pas en buvant une tasse ou deux de thé vert par jour que vous allez perdre du poids", avertit Boris Hansel, également chef de l'unité nutrition-prévention de l'hôpital Bichat. A contrario, boire deux litres de thé vert par jour n'est pas non plus une bonne idée. "Cela poserait d'autres problèmes, notamment sur l'absorption du fer."
"C'est assez vendeur d'affirmer qu'un aliment a un effet 'brûle-graisse'. Mais si vous comptez dessus pour perdre du poids, vous allez être déçu."
Le mythe de l'ananas
Ce professeur de médecine dénonce un autre mythe: celui de l'ananas qui serait le "brûle-graisse" par excellence. En témoignent ces nombreux compléments alimentaires "anti-cellulite" et "déstockage des graisses" qui contiennent de l'ananas. Plus précisément l'un de ses composés: la bromélaïne, "véritable allié minceur".
Pourtant, l'Autorité européenne de sécurité des aliments n'a retenu aucune allégation thérapeutique concernant la bromélaïne, en particulier sur de pseudo-vertus amaigrissantes, comme le rappelle le dictionnaire médical Vidal.
"Vous pouvez certainement trouver des personnes convaincues qu'elles ont perdu du poids grâce à un régime ananas. Elles ont d'ailleurs certainement mis aussi en place des rituels, des bonnes pratiques et un contrôle de leur alimentation qui expliquent cette perte de poids. Mais aucune étude scientifique solide n'a jamais prouvé ce genre de bénéfices de l'ananas."
Pour ce médecin, également auteur de Manger l'esprit léger, en plus d'être illégales et trompeuses, ces allégations et promesses "brûle-graisse" sont dangereuses à plusieurs titres.
"Je vois arriver en consultation des patients âgés de 50 ou 60 ans qui cumulent des années à enchaîner les méthodes, les régimes, les cures avec une charge mentale nutritionnelle énorme sur ce qu'il faut manger ou ne pas manger, à quel moment ou comment. Et pendant toutes ces années, le patient n'est pas suivi." En plus du risque de faire le yoyo sur la balance, Boris Hansel craint "un yoyo mental".
"C'est un vrai risque sur la santé mentale, mais aussi un risque de retard de diagnostic et de prise en charge. Et in fine, une perte de chances."