
Pierre-Oscar Brunet
Hausse des cancers chez les jeunes: obésité, pollution... Les pistes avancées par les scientifiques pour l'expliquer
Des chiffres qui exigent une surveillance accrue. Certains cancers - du cerveau, du rein, du sein ou colorectal - ont vu leur incidence augmenter chez les jeunes populations, soit les personnes âgées de 15 à 39 ans, entre 2000 et 2020 dans certains départements de France métropolitaine, selon une étude publiée au début du mois de mars par Santé publique France (SPF).
Un phénomène qui ne concerne pas que l'Hexagone. Selon une autre étude publiée en 2023 par le British Medical Journal Oncology, le nombre de nouveaux cas de cancer chez les moins de 50 ans a bondi de 79% en moins de trente ans, passant de 1,82 million en 1990 à 3,26 millions en 2019.
"Un fait qui reste rare"
Ces chiffres nécessitent toutefois de prendre de la hauteur. L'explosion constatée par le British Medical Journal Oncology peut s'expliquer en premier lieu par la croissance démographique ou encore par les meilleurs diagnostics.
Il convient également de prendre des pincettes concernant l'étude menée par Santé publique France, l'Institut national du cancer, le réseau des registres des cancers Francim, les Hospices Civils de Lyon et la Ligue contre le cancer. Les 54.735 cas relevés entre 2000 et 2020 chez les 15-39 ans ont été comptabilisés sur seulement 19 départements, soit 24% de la population française.
"C'est une étude descriptive, réalisée sur les zones du territoire métropolitain couvertes par un registre des cancers et non la totalité", insiste auprès de BFMTV.com, le Dr Claire Morgand, directrice de l'observation, des sciences de données et de l’évaluation à l’Institut national du cancer.
Et surtout, "le nombre de cancers reste rare dans cette population", abonde la spécialiste.
Avant d'ajouter: "La hausse des cancers chez les adolescents et jeunes adultes est au final très progressive et très faible quand on regarde le nombre de cas et pas uniquement les pourcentages".
"Notre mode de vie s'est transformé"
Par exemple, pour les glioblastomes -forme agressive du cancer du cerveau-, une augmentation de l'incidence de plus de 6% par an a été observée entre 2000 et 2020. "L'incidence a doublé en vingt ans. Mais en pratique, on est passé de 4 à 9 cas sur 1 million", affirme Iris Pauporté de la Ligue contre le cancer auprès du Figaro, soit 233 cas en vingt ans.
Comme pour le cancer du rein, "l'augmentation annuelle est de 4,61 %. Cela représente, sur la période 2000 à 2020, 866 cancers du rein, soit 43 cas par an", nous donne pour exemple le Dr Claire Morgand.
Les cancers progressent de plus dans toutes les strates d'âges et continuent de toucher majoritairement les populations vieillissantes. En 2023, Santé publique France a comptabilisé "969 nouveaux cas de cancers chez les 15-19 ans et 1.335 nouveaux cas chez les 20-24 ans" contre 433.000 cas recensés dans la population générale. L'âge médian du diagnostic est de 70 ans chez l'homme et de 68 ans chez la femme, précise l'Institut national du cancer.
À noter, qu'une baisse de l'incidence de 0,79% par an a été constatée entre 2015 et 2020 chez les jeunes populations.
"Notre mode de vie s'est transformé"
Si les spécialistes n'adoptent pas un discours alarmiste, ils sont vigilants et s'interrogent sur ce fait. Ils souhaitent en comprendre les causes pour mieux les prévenir.
À ce stade, faute de données suffisantes, aucune étude ne donne d'explications concrètes. "Aujourd'hui, on a des hypothèses mais on n'a aucune démonstration", affirme auprès de BFMTV.com le Dr Pascal Pujol, médecin au CHU de Montpellier, spécialisé en oncogénétique. "On ne connaît pas la cause mais on peut avancer très logiquement des variations de notre environnement au sens large".
"Notre mode de vie s'est transformé, et c'est intéressant de voir que cela peut influer sur notre biologie", abonde le président de la Société française de médecine prédictive et personnalisée.
Le Dr Cristina Smolenschi, oncologue médical au centre Gustave Roussy prévient de son côté qu'il n'existe pas "de cause unique".
La première piste? L'évolution des habitudes alimentaires. Les produits ultratransformés prennent désormais une place considérable dans nos assiettes. Le Dr Cristina Smolenschi pointe du doigt l'"altération de notre microbiote", à cause par exemple de l'excès de produits gras, de viande rouge ou encore de la prise d'antibiotiques pendant l'enfance. "On a l'impression que ce processus est accéléré chez les jeunes", note-t-elle.
L'obésité, qui touche de plus en plus les jeunes, est particulièrement scrutée. "L'obésité pourrait être un facteur explicatif de l'augmentation des cancers du système digestif, y compris colorectal, ainsi que des cancers du rein", selon la dernière étude française menée par le Dr Emmanuel Desandes.
"L'obésité, le surpoids et la sédentarité sont des hypothèses assez fortes en ce qui concerne les cancers digestifs, notamment du côlon et du rectum", confirme Dr Claire Morgand de l'Institut national du cancer. Mais cela reste à démontrer. "Des travaux sont en cours".
Selon le directeur général de l'institut Gustave Roussy interrogé par BFMTV, Pr Fabrice Barlesi, les personnes nées dans les années 90 ou après ont 3,6 fois plus de risque de développer un cancer du colon et 2,5 fois plus de risque de développer un cancer du pancréas.
La pollution environnementale, responsable?
La pollution environnementale, les micro-plastiques ou encore les pesticides sont aussi dans le viseur.
"On sous-estime considérablement la question des perturbateurs endocriniens, qui a un effet sur la croissance des maladies chroniques de façon générale, certains cancers, la prématurité, etc", déplore auprès du journal Le Monde, André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé. "Les données sont nombreuses et on a pourtant du mal à se faire entendre".
Une étude publiée dans le journal scientifique The Lancet Respiratory Medicine en février dernier relève que la pollution de l'air et donc les particules fines seraient en partie responsables de l'augmentation des cancers du poumon chez les non-fumeurs.
"Cela concerne tout le monde, et donc les jeunes qui sont exposés. On verra certainement plus tard qu'il y a une exposition cumulative", note le Dr Pascal Pujol.
Le médecin spécialisé en cancérologie précise que les jeunes adultes sont de plus "particulièrement fragiles vis-à-vis des agents mutagènes, aux radiations, aux polluants chimiques" car "leurs cellules se renouvellent plus rapidement". "Si vous introduisez une mutation à ce moment-là, vous allez potentiellement induire un cancer beaucoup plus vite", explique-t-il.
Une autre hypothèse explorée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses): l'impact des ondes électromagnétiques. L'établissement français devrait publier un rapport prochainement à ce sujet, nous apprend le Dr Claire Morgand.
L'obésité, l'alcool et le tabac, des facteurs de risques
Comme pour toute les strates de la population, l'alcool, le tabac ou comme cité précédemment, l'obésité, sont des facteurs de risques mis sur la table. À noter que la consommation quotidienne d'alcool chez les jeunes diminue depuis trente ans mais a été remplacée par des "alcoolisations ponctuelles importantes" plus fréquentes, rapporte la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Depuis 2000, le niveau du tabagisme quotidien tend quant à lui a légèrement diminué, note l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives.
À ce jour, les scientifiques précisent que les conséquences de ces facteurs de risques se font généralement ressentir sur le temps long. Il est donc compliqué de tisser un lien direct avec la hausse des cancers chez les jeunes.
"Pour certains facteurs de risque, il faut des temporalités fortes pour que ça se répercute", note le Dr Pascal Pujol soulignant que les cancers observés actuellement sont les conséquences "de ce qu'il se passe depuis 20 ans". À l'inverse de l'alimentation par exemple qui peut avoir un effet plus rapide.
De plus, le Dr Cristina Smolenschi relève que "85% des jeunes patients atteints d'un cancer ne sont pas obèses, ne fument pas, ne boivent pas..." "C'est contradictoire avec tout ce qu'on attend", souligne-t-elle.
Dans tous les cas, adopter un mode de vie favorable à la santé: ne pas fumer, réduire sa consommation d’alcool, avoir une alimentation équilibrée et variée tout en favorisant une activité physique régulière reste primordial pour réduire le risque de développer, plus tard un cancer, nous rappelle le Dr Claire Morgand. "Près de la moitié des cancers pourraient être évités chaque année en France en limitant notre exposition à ces facteurs", insiste-t-elle.
L'Institut national du cancer a d'ailleurs lancé une campagne d'information à destination des 18-25 ans sur les réseaux sociaux ce mercredi 2 avril pour "sensibiliser aux habitudes de vies qu'il est préférable de prendre le plus tôt possible" pour limiter le risque d'un cancer qui pourrait survenir 30 à 40 ans plus tard.
Plusieurs projets sont menés pour tenter d'expliquer la hausse de certains cancers chez les jeunes. Les données étant rares, les pays mutualisent les données pour avancer.
L’Institut national du cancer participe par exemple au projet Prospect qui vise à "déterminer pourquoi l'incidence des cancers précoces chez les adultes augmente à l'échelle mondiale". En partenariat avec les centres de recherche britannique et américains, Cancer Research UK et National Cancer Institute US, ce projet vise à "appréhender" "les origines de la perturbation des processus biologiques menant au développement" des cancers avant 50 ans. Avec pour but, in fine, de les contrer.