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Plusieurs verres d'alcool à moitié vides.

Flickr - CC Commons - Ricardo BERNARDO

"Boire dans l'ombre a fait que je n'avais plus de filtre ni de limite": elles racontent le tabou de l’alcoolisme au féminin

En France, l'alcoolisme concerne plus d'un million de femmes et pourtant. La consommation d'alcool au féminin est un sujet encore si tabou qu'il enferme les personnes concernées dans un silence pesant. Grâce aux prises de paroles de célébrités telles que Muriel Robin ou Noémie Lenoir, les lignes commencent toutefois à bouger. Trois femmes racontent à BFMTV.com la difficulté de sortir de cette spirale, lorsque la honte et la culpabilité vous empêchent de demander de l’aide.

"Une femme qui boit, c'est pas très joli". Des phrases comme celle-là, Pamela H. les a entendues bien trop souvent dans sa vie. Aujourd’hui âgée de 43 ans, elle sait que c’est précisément cette petite musique insidieuse de la honte qui l’a enfermée dans le silence autour de son alccolisme pendant bien trop d'années.

À l’adolescence, cette habitante de Montpellier (Hérault) a glissé doucement dans l’alcool, sans fracas, presque sans s’en rendre compte. À 17 ans, c’était pour faire la fête, comme les autres puis les verres sont devenus des repères jusqu'à ce que pendant des années, elle se mette à boire en silence. Parce que quand on est une femme, on ne boit pas. Ou du moins, pas au grand jour.

"Je buvais surtout seule. Le soir, parfois dès le matin. De l'alcool blanc parce que ça ressemble à de l'eau. Je faisais en sorte que personne ne le voie", raconte-t-elle à BFMTV.com.

"Des prises de paroles libératrices"

"Je rentrais du travail: une bonne journée? Bon ben un petit verre. Une mauvaise journée? Bon ben un verre, puis deux, puis trois, puis la bouteille. Puis une bouteille de vin ne suffisait plus, donc ça a été crescendo et j'en suis venue à l'alcool fort comme la vodka même en journée", se souvient cette ancienne responsable commercial, aujourd'hui abstinente depuis 10 mois.

"Il faut briser le cercle vicieux de la honte!", tape du poing sur la table Pamela, qui veut désormais "en parler" pour sortir les femmes concernées de leur silence. Si l'alcoolisme touche une femme sur 10 en France, soit entre 1 et 1,5 million de femmes, Laurence Cottet constate en effet que le problème reste encore largement invisibilisé à cause du tabou qui entoure la question, bien que les lignes commencent à bouger.

Plusieurs personnalités, dont la comédienne Muriel Robin, ont récemment révélé avoir été alcooliques dans un documentaire "Alcool au féminin : elles brisent le tabou" diffusé mi-mai sur France 5. La mannequin Noémie Lenoir a ensuite confié toujours souffrir de cette addiction: "Je suis alcoolique et je le serai toute ma vie. Et ce n’est pas une honte. Ce n’est pas une fierté non plus, c’est une maladie", a-t-elle résumé.

Des prises de paroles "libératrices" dont se réjouit Laurence Cottet, elle-même ancienne alcoolique devenue patiente-experte en addictologie et présidente de l'association 'Addict-elles' - qui accompagne au quotidien les femmes ayant un problème avec l'alcool.

"À mon époque, quand j'étais malade, on en parlait tellement pas que j'avais l'impression d'être seule sur Terre à avoir ce problème. Dans ces cas-là, on se terre chez soi comme dans un trou à rats et on en meurt".

"Pochtrone" versus "bon vivant"

Rongée par la honte, Rachel avait elle-aussi pris l'habitude de boire en cachette, de camoufler ses bouteilles. Cette femme de 52 ans confie par exemple que pendant les apéros, elle s'absentait pour boire afin que son entourage pense qu'elle était raisonnable. "Le résultat était visible mais je ne voulais pas qu'on me voit faire", note cette femme, qui a réussi à sorti la tête de l'eau depuis plusieurs mois grâce au groupe d'entraide sur Facebook "Stop Alcool & Addictions".

"Le regard des autres sur moi m'a poussé à me cacher pour consommer", développe Rachel, qui explique que cette honte l'a "empêchée d'être transparente sur (sa) consommation". "Ça n'a fait qu'empirer la situation, car du coup le fait de boire dans l'ombre a fait que je n'avais plus de filtre ni de limite".

En tant que femme et mère de famille, Rachel explique avori toujours eu dans un coin de sa tête l'idée que son comportement était "mal vu": "quand il boit, un homme passe pour un bon vivant, une femme beaucoup moins car elle a en charge, très souvent, l'éducation des enfants, le travail, la tenue de la maison. Ce qui est évidemment inconciliable avec une consommation excessive d'alcool".

Une analyse genrée que partage également Laurence Cottet, pour qui la femme incarne "une sorte de figure sacrée censée montrer l'exemple dans son foyer". "Le regard de la société sur la femme qui boit est beaucoup plus dur, beaucoup plus violent que sur l'homme". Il suffit d'ailleurs de se pencher sur le vocabulaire employé pour décrire l'un et l'autre:

"D'un côté on va avoir la pochtronne, la dépravée, la débauchée, la femme facile", note-t-elle. "De l'autre: 'celui qui profite de la vie', le 'rigolo de service' voire l'expert, le connaisseur en vin ou en whisky".

"On est pointées du doigt, on est observées"

Stéphanie, ancienne alcoolique de 48 ans asbtinente depuis 10 mois, a longtemps eu l'impression qu'on ne considérait pas l’alcoolisme comme d’une véritable maladie. "Il y a encore 10 ou 15 ans, c’était vu comme une faiblesse ou un vice. On pensait que c’était un choix. Et quand on tombait, qu’on perdait ses repères ou qu'on nous enlevait nos enfants comme ça a été mon cas, on entendait simplement: 'C’est bien fait pour elle.'"

Selon elle, la société préfère "détourner le regard" face à l'alcoolisme féminin. Ces 20 dernières années, la quadragénaire a ainsi vu tout son entourage se détourner d'elle. "J'ai vécu l'isolement par mes amis qui ont arrêté de donner le contact et puis par ma famille, mon conjoint, mes enfants. Ça m'enfonçait encore plus, parce qu'on ne peut plus en parler à personne et on se renferme", raconte cette habitante de Yenne (Savoie), qui est tombée dans l'engrenage à la mort de sa mère.

"Quand c'est comme ça, on va mal et quand on va mal on boit encore plus".

Cette femme raconte les mensonges, prétextes et autres stratégies bancales qu'elle pouvait inventer pour feindre la "normalité". "On est pointées du doigt, on est observées", se souvient-elle néanmoins. "Je disais que j’achetais du vin rouge pour faire un bœuf bourguignon. Mais bon… le bourguignon, c’était quatre fois par semaine".

"Même quand je n'avais pas bu on me regardait mal. Chaque fois que je sortais, quand j'étais au téléphone, les gens écoutaient ma voix pour savoir si j’avais bu ou pas", raconte la Savoyarde. "Les gens s’écartaient ou m'ignoraient sans que je comprenne toujours pourquoi. Lorsque je faisais l'anniversaire d'un de mes enfants, j’invitais les copains, les copines… et personne ne venait."

Bien que tout ça soit désormais derrière elle, Stéphanie a le sentiment amer d'avoir été mise à l'écart et d'être encore cataloguée à cause de son alcoolisme. Amère, elle regrette que certaines personnes n'aient pas essayé de lui tendre la main, portant encore aujourd'hui un regard de mépris et de jugement sur elle. Il y a deux mois, elle a par exemple eu la triste surprise de découvrir sur Facebook que son fils s'était marié, et qu'elle n'avait pas été invitée.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV