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Politique

"Gréviculture", le mot utilisé par la majorité qui met le feu aux poudres

Gabriel Attal le 10 avril 2019 à Paris.

Gabriel Attal le 10 avril 2019 à Paris. - BERTRAND GUAY / AFP

Un député LFI accuse Gabriel Attal, porte-parole de LaREM, de reprendre avec le mot "gréviculture" une expression du Front national. En réalité, on retrouve le terme dans la presse du début du XXe siècle.

Dans un conflit, les mots sont importants. Celui de Gabriel Attal, prononcé lundi sur France Inter, a fait son effet. Le porte-parole de la république en marche a appelé à sortir de la "gréviculture, où on annonce une grève avant même que des réformes soient annoncées." Il dénonce ce qu'il qualifie d'"opposition de principe, un conservatisme" en France.

Ce choix de terme qui lui a aussitôt été reproché par le député de la France insoumise Alexis Corbière: l'élu l'accuse de reprendre un terme "inventé et utilisé" par Jean-Marie Le Pen et sa fille Marine.

Un mot effectivement utilisé en 1995 par l'ancien président du Front national. Mais Gabriel Attal fait savoir à son interlocuteur que l'expression a également été utilisée par un secrétaire général de la CFDT en 2014.

Le terme a du mal à passer auprès de certains élus. "Il a quelque chose d'odieux et de méprisant", estime la députée communiste Elsa Faucillon sur Franceinfo. Même Richard Ferrand, le patron des députés LaREM, prend ses distances: "Chacun parle avec ses mots (...) C'est une question de génération", dit-il sur Public Sénat.

Le mot apparaît dans un ouvrage de... 1900

En réalité, le mot est bien plus ancien que ce que croient Gabriel Attal et Alexis Corbière. Comme le fait remarquer Ferocias, un usager de Twitter, le mot "gréviculture" apparaît déjà dans l'ouvrage La science sociale suivant la méthode de F. Le Play, en… 1900. Un livre dirigé par Edmond Demolins, un sociologue royaliste et contre-révolutionnaire, dont on peut consulter un extrait en ligne sur le site de la Bibliothèque nationale, Gallica.

L'auteur y évoque "la lassitude qu'ont laissé percer les commis voyageurs en grève, les orateurs, députés ou autres, chargés d'entretenir le zèle des partisans du chômage (…) On a même trouvé un mot pittoresque pour désigner cette profession malheureusement trop répandue de nos jours. On compte désormais l'appeler la gréviculture". 

Il apparaît également la même année dans le quotidien catholique L'Univers pour qualifier "le métier consistant à parcourir la France pour exciter les ouvriers à se mettre en grève".

Le journal radical-socialiste Le Radical y consacre même un article en 1905 pour prouver que son utilisation est caduque, en s'appuyant sur la grève des employés de chemin de fer italiens: pour l'auteur, ce mouvement est bien la preuve que la grève n'est pas l'apanage de la France.

"Introduit à date récente dans le vocabulaire nationalo-progressiste, le mot est mort et dûment enterré. La grève est de tous les pays, il semble même aux dernières constatations, qu'elle soit plus clémente à la République qu'aux fameux gouvernements forts. Les inventeurs de la gréviculture sont bien forcés de le reconnaître eux-mêmes. Les faits sont là qui parlent haut".
Ariane Kujawski