"Une trajectoire marseillaise": pourquoi la hausse importante du narcotrafic à Rennes inquiète

Un policier scientifique inspecte la zone où une fusillade a eu lieu à Rennes, le 17 avril 2025 - Damien MEYER © 2019 AFP
Une fusillade qui dure une heure dans le quartier du Blosne, en janvier 2024. Des tirs à l'arme automatique, rue de Suède en septembre. D'autres coups de feu sur la dalle Kennedy, le 17 avril dernier. Puis ce samedi 3 mai, des jeunes blessés par balles dans le quartier de Villejean et une enquête qui a abouti à la mise en examen de trois suspects âgés de 19 à 21 ans.
Cela fait déjà quelques années que la ville de Rennes (Ille-et-Vilaine) connaît une hausse d'épisodes violents liés au contrôle et à la défense des points de deal. Dans certains quartiers comme Villejean, Le Blosne ou Maurepas, ces fusillades et règlements de comptes adviennent beaucoup plus régulièrement qu'auparavant, nourrissant l'inquiétude des riverains.
"Sur le coup, on va nous dire qu'il y a des brigades qui sont envoyées, mais au bout de trois jours il n'y a plus personne, tout le monde est reparti", témoignait l'un d'entre eux, interrogé par BFMTV deux jours après la fusillade du 3 mai.
Face à ces menaces, d'autres préfèrent se résigner: "Je n'y pense pas, je me dis que si je dois avoir un malheur, eh bien il arrivera", dit une habitante.
"Ça devient presque systémique, ça s'installe"
"C'est assez traumatisant", commente Charles Compagnon auprès de BFMTV.com. L'élu municipal, leader du groupe centre-droite Libre d'agir pour Rennes, sait de quoi il parle: il était aux premières loges de la fusillade qui s'est produite le 17 avril sur la dalle Kennedy, alors qu'il était attablé dans un restaurant Subway.
"J'avais fait un beau travail sur moi depuis 15 jours, et quand j'ai appris la fusillade de samedi soir, ça m'a séché. Je me suis dit 'ça recommence'".
"Ça devient presque systémique, ça s'installe. Je suis très inquiet, il y a des points de non-retour, et on les franchit un par un. On est sur une trajectoire marseillaise, la gangrène s'installe", estime l'élu.
Selon les données du ministère de l'Intérieur, Rennes est récemment devenue la deuxième ville où le trafic de stupéfiants a le plus augmenté en dix ans, juste derrière Marseille. En deux ans, une trentaine de fusillades ont été recensées dans la ville qui compte environ 30 points de deal, couvrant la grande majorité des quartiers.
Interrogée par BFMTV, la conseillère départementale sans étiquette Régine Komokoli estime que la ville a franchi une nouvelle étape depuis l'an dernier. "On passe un autre cap, avec les armes lourdes. Donc on passe en état de guerre, comme disent certains. Ça fait vraiment peur, c'est là où les familles vivent", détaille-t-elle.
La maire demande plus de moyens à l'Etat
Après la fusillade du 3 mai, dans laquelle trois jeunes ont été blessés, "l'unité de forces mobiles spécialisée en milieu urbain, la CRS82, a été sans délai déployée afin de sécuriser le secteur et renforcer les effectifs locaux samedi soir et dimanche soir", a expliqué la préfecture de Rennes, contactée par BFMTV.com.
Elle ajoute que les forces de sécurité assurent un travail de terrain "au quotidien" pour sécuriser le secteur "jour et nuit", et qu'elles viennent chaque jour au contact des commerçants, notamment sur la dalle Kennedy, théâtre de nombreux affrontements et réglements de comptes.
Pour la maire, qui s'est exprimée sur ici Armorique mercredi, malgré les événements récents, Rennes reste une ville "considérée comme sûre" et exposée depuis moins longtemps que d'autres municipalités à la criminalité. "C'est pourquoi nous avons des moyens de police nationale, des moyens de justice qui sont plus bas que sur d'autres territoires", explique Nathalie Appéré.
"Je remue ciel et terre depuis des mois pour faire entendre cette situation", ajoute-t-elle auprès de nos confrères, fustigeant le manque de moyens alloués à sa ville en matière de sécurité.
Elle n'est pas la seule à pointer ce manque de moyens humains et techniques. Dans une lettre ouverte adressée aux élus le 24 avril, le groupe écologique à Rennes a lui aussi demandé au gouvernement un gros renforcement des effectifs de la police nationale.
Si l'intervention de la CRS82 après les fusillades a pour effet de sécuriser les lieux et d'empêcher toute escalade dans la violence, celle-ci ne peut se maintenir constamment sur ces territoires. Son départ laisse donc à nouveau le champ libre aux malfaiteurs, déclare Charles Compagnon.
Plus de policiers?
Pour l'élu, c'est tout d'abord à la racine du problème qu'il faut agir. Ancien restaurateur, il raconte avoir constaté il y a quelques années qu'un point de deal commençait à s'installer à l'arrière de son restaurant. Après avoir été à la rencontre des dealers à plusieurs reprises avec ses cuisiniers, leur demandant ce qu'ils souhaitaient, ces derniers avaient fini par ne plus revenir.
"Il faut un harcèlement en présentiel, parce que quand un point de deal s'installe, il vaut zéro", commente-t-il.
Mais pour pouvoir exercer cette pression au quotidien, estime l'élu, il faut encore une fois que les effectifs soient au niveau. Lui aimerait que les policiers municipaux aient davantage de prérogatives. "La police municipale doit être nombreuse et équipée, avec un équipement maximum, avec un armement létal", avance Charles Compagnon. "Il faut décharger la police nationale des dossiers sur lesquelles la police municipale peut intervenir."
À la mairie de Rennes, cette proposition n'est pourtant pas recevable. "Un policier municipal n'est pas un policier national, il n'est pas officier de police judiciaire, il n'a pas de pouvoir d'interpellation, il n'a pas de pouvoir de contrôle d'identité. (...) Il ne faut pas faire croire aux gens que armer la police municipale serait la solution contre l'explosion du narcotrafic dans le pays, c'est une hérésie, c'est même plutôt un mensonge", réagit la maire Nathalie Appéré, toujours sur ici Armorique.
Plus de vidéosurveillance?
Invité récemment du podcast Legend, le ministre de la Justice a dressé un constat très tranché concernant l'augmentation du trafic de stupéfiants. "Il n'y a plus de lieux 'safe' (sûrs, en français, NDLR) (...), ce qui marque beaucoup les Français, c'est que ça s'est généralisé, métastasé quelque part", a commenté Gérald Darmanin.
Le ministre avance une solution pour réguler le narcotrafic et les violences qui en découlent: l'élargissement de la vidéosurveillance. Il propose notamment d'utiliser l'intelligence artificielle et de mettre en place des technologies s'appuyant sur la reconnaissance faciale. "Si vous voulez une société sûre, il faut la reconnaissance faciale par exemple. C'est grâce à l'IA appliquée aux caméras qu'on peut la (la violence, NDLR) contrôler", estime-t-il.
À Rennes, les autorités ont renforcé leur dispositif en matière de vidéosurveillance. En 2024, douze nouvelles caméras ont été installées dans la ville. Bien, mais pas suffisant, pour Charles Compagnon: "La vidéoprotection elle-même ne sert à rien du tout si on n'a pas les effectifs de terrain et les bons équipements derrière. Par contre, si on a tout ça, c'est redoutable."
Invité sur BFMTV lundi, le préfet d'Ille-et-Vilaine, Amaury de Saint-Quentin, s'est dit "choqué" par les fusillades récentes, mais aussi "particulièrement déterminé dans la lutte que nous menons depuis plusieurs mois contre les acteurs du narcotrafic".
"Un travail très important est réalisé, à la fois d'occupation du terrain, de démantèlement des réseaux et de prévention de la consommation, avec de très nombreuses interpellations qui ont été réalisées", a-t-il assuré.
"Cette violence aveugle est inacceptable, intolérable. (...) La République va l'emporter, et elle y mettra les moyens nécessaires", a conclu le préfet. Sur le seul mois de mars, 312 personnes liées au trafic de stupéfiants ont été interpellées à Rennes.