
PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV
L'horreur en vidéo: Rohan R., le "gourou" virtuel accusé d'avoir poussé des ados à se torturer
Ses nuits, Rohan R. les passait derrière un écran d’ordinateur. Ses activités nocturnes avaient d’ailleurs déjà surpris ses colocataires. Des propos insultants, des menaces et des ordres avaient transpercé les murs de la chambre de cet étudiant indien de 23 ans installé à Antibes (Alpes-Maritimes).
Accusé d'avoir poussé de jeunes filles à se torturer sur la plateforme en ligne Discord, il est renvoyé ce lundi 3 mars devant la cour criminelle de Paris où il doit être jugé pour "acte de torture et de barbarie", "corruption de mineurs en bande organisée" et "extorsion en bande organisée" sur la période de 2019 à 2021.
Signalements américains
L’affaire débute de l’autre côté de l’Atlantique, lorsque Google signale l’un de ses utilisateurs au National Center for Missing and Exploited Children - une ONG américaine qui s'occupe d'affaires d'enfants disparus ou exploités - après la découverte d’une vidéo inquiétante. Une jeune fille qui dit avoir 12 ans apparaît le torse nu, couvert de l’inscription "Rohan" et de croix gammées écrites au feutre noir.
Cette première vidéo marque le début d’une enquête tentaculaire. Outre-Atlantique, les signalements se multiplient. Les enquêteurs américains découvrent de nouvelles vidéos, tout aussi cruelles, de jeunes filles mineures poussées à se graver le prénom "Rohan" ou des croix gammées sur la peau, à se masturber avec des objets contondants ou à boire leur urine, face caméra.
Toutes agissent sous les ordres d'un même utilisateur qui se cache derrière plusieurs adresses mail. Les enquêteurs américains parviennent à remonter jusqu'à un suspect grâce à l'une d'elles, gunplaylife@gmail.com. Rohan R. est finalement interpellé à Antibes en avril 2021.
Le FBI, les autorités françaises et "une task force internationale" s’unissent alors pour recenser les victimes. Douze jeunes filles sont formellement identifiées aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Nouvelle-Zélande et en Estonie. Elles ont entre 11 et 16 ans.
La méthode Rohan R.
L'enquête détaille le système mis en place. Rohan R., qui se présente lui-même comme un "gourou", regroupe toutes ses techniques de manipulation dans un manuel en ligne "How to get a girl", dans lequel il affirme avoir manipulé 200 victimes.
Pour obtenir de ses "esclaves" qu'elles se torturent, il opère méthodiquement. Il vise des mineures, fragiles émotionnellement ou esseulées pour certaines. Il explique par ailleurs, au cours de l'instruction, cibler des jeunes filles en raison de leur croyance religieuse et leur origine.
Rohan R. les repère sur des forums de discussions sur lesquels elles confient leurs peines et leurs déboires. Il engage alors une discussion pour gagner la confiance de ses victimes, obtenir d'elles des photos nues et les attirer sur son groupe Discord.
"Le but pour ces auteurs, c'est de faire des rencontres", analyse Samuel Comblez, psychologue et directeur des opérations de l'Association e-Enfance, dans Affaire suivante, le podcast inédit de BFMTV. "On va apprendre à se connaître, on va échanger, on va évidemment avoir l'air très sympathique, partager des choses en commun avec la potentielle victime pour que cette relation devienne agréable."
Le piège virtuel se referme ensuite. Rohan R. les oblige ensuite à se filmer nues, à se caresser, à se masturber avec la lame d'un couteau. Certaines jeunes filles sont filmées en train de se plonger la tête dans la cuvette des toilettes, de s'étrangler avec une ceinture ou de boire de l'eau de javel. Ces adolescentes se soumettent aux instructions "précises et cruelles" de cet étudiant qu'elles n'ont jamais rencontré puisqu'il les menace de tout révéler à leurs proches si elles n'obéissent pas à ses ordres.
Une fois "la confiance établie", la victime, placée "dans une espèce de confort relationnel" va "avoir du mal à s'en défaire, à dire 'non, là ce que vous me proposez, d'envoyer plus de photos ça me gêne", décrypte Samuel Comblez. "Il y a une sorte de non-retour et un phénomène d'emballement qui fait que la victime va continuer à envoyer ses photos."
"Il connaissait le nom de mes parents"
Dans cette affaire, les pleurs, les cris de douleur ne mettent pas fin au supplice des victimes. Des victimes sont forcées d'inscrire des croix gammées au feutre noir sur leur corps encore juvénile. Rohan R. exige d'autres jeunes filles qu'elles se taillent les lettres de son prénom "jusqu'au sang" dans la peau, face caméra.
"Il était parvenu à me faire croire que ma vie était finie et que je n'avais plus personne vers qui me tourner", confie une victime américaine du jeune homme au magazine Elle, qui a révélé l'affaire début février.
À 15 ans, l'adolescente affirme avoir été poussée à se scarifier le nom de Rohan R. ainsi qu'à commettre une tentative de suicide en se tranchant la gorge et les poignets. L'étudiant l'avait menacée de diffuser une photo d'elle nue si elle n'obéissait pas à ses ordres. "Il connaissait mon adresse, mon âge, le nom de mon lycée, celui de mes parents", explique la jeune fille.
En garde à vue, Rohan R. prétend que les jeunes filles étaient majeures, les utilisateurs devant valider une déclaration de majorité pour accéder à la plateforme en ligne. Selon lui, ces pratiques étaient scénarisées. Les intervenantes les avaient acceptées. Il évoque une blague, un jeu de rôle pour justifier les visages terrorisés des jeunes filles, admettant par la suite avoir forcé la plupart de ces jeunes filles à se masturber avec des objets tranchants.

Une organisation structurée
L’enquête a permis d’établir que Rohan R. n’est pas seul lors des séances de tortures en ligne. Un public hilare regarde, par écran interposé, les jeunes filles apeurées agir sous les ordres du jeune homme.
Très rapidement, les enquêteurs identifient un groupe baptisé "CVLT" - à prononcer "cult", "secte" en anglais" - sur Discord, dont les membres pratiquent de la "sextorsion" de mineurs. Rohan R. apparaît comme étant le donneur d'ordre principal, si ce n'est le leader, de l'organisation qui avait "un tropisme pour toute forme de violences et d’humiliation à caractère sexuelle". Certaines victimes le positionnent au rang d'administrateur, lui assure n'être qu'un modérateur de cette organisation qualifiée de "structurée et hiérarchisée" par l'accusation.
Plusieurs échelons composent le "CVLT" qui promeut l’idéologie fasciste et la haine envers les "noirs, les musulmans, les arabes, les juifs et néo-féministe". En plus des sévices physiques et sexuels imposés à ses victimes, Rohan R., qui se revendique aussi "nazi", a aussi tenu auprès de certaines de ses victimes des propos humiliants ou racistes lors de séances filmées.
Quatre ans après son interpellation, trois autres hommes, âgés de 23 à 41 ans, ont été inculpés aux États-Unis, a révélé fin janvier le Los Angeles Times. Ces membres présumés du "CVLT" sont accusés d'avoir participé à une entreprise d'exploitation d'enfants. Deux d'entre eux sont soupçonnés d'être les leaders du groupe, aux côtés de Rohan R.
Il se dit "psychopathe"
Placé en détention provisoire, Rohan R. est accusé d'avoir poursuivi ses activités depuis sa cellule à l'aide de téléphones portables. Il attend désormais son procès à l'isolement. Aujourd'hui âgé de 28 ans, c'est un "personnage très complexe", selon les mots de l'un de ses avocats, Me Simon Olivennes. "Un homme qui a une part de mystère et de secret" qui pourrait être liée "à des traumatismes" vécu pendant son enfance en Inde.
Arrivé pour ses études en France en 2016, il avoue une fascination pour la violence. Il dit s’être inscrit sur Discord en 2020, notamment pour participer à des séances sadomasochistes par écran interposé, et où il dit visionner des vidéos de meurtres ou de scarifications.
Il se considère comme "psychopathe", affirmant n’éprouver aucune émotion. Selon les analyses psychologiques réalisées, il ne présente pour autant aucun problème de discernement. Aucun trouble psychiatrique n’a par ailleurs été découvert.
"Ronan R. agit bêtement dans le sens de l'horreur", estime Me Simon Olivennes.
"L'élément fondamental de ce dossier, c'est que Rohan R. n'a jamais vu ou touché physiquement" les victimes, poursuit l'avocat, dont le client reste présumé innocent. "Se pose toujours la question de la déréalisation de l'horreur."
Son procès devant la cour criminelle de Paris pourrait être renvoyé, le magistrat estimant que les faits doivent être jugés devant une cour d'assises où l'accusé encourrait la réclusion criminelle à perpétuité - contre 20 ans de prison devant la cour criminelle.
3018: le numéro contre le cyberharcèlement et les violences numériques
Si un mineur est victime de cyberharcèlement ou de violences numériques, lui ou ses proches peuvent contacter le 3018, le numéro national de référence. Il est gratuit, anonyme et confidentiel, disponible 7 jours sur 7, de 9 heures à 23 heures.