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Police-Justice

Le drame d'Oradour au coeur d'une décision de justice

Le président français François Hollande et son homologue allemand Joachim Gauck entourent le survivant Robert Hébras, le 4 septembre dernier dans l'église d'Oradour-sur-Glane.

Le président français François Hollande et son homologue allemand Joachim Gauck entourent le survivant Robert Hébras, le 4 septembre dernier dans l'église d'Oradour-sur-Glane. - -

Un survivant du massacre d'Oradour-sur-Glane a été condamné pour avoir remis en cause l'incorporation de force de Français dans l'unité SS, bourreau de son village. La Cour de cassation doit se pencher mardi sur cette condamnation.

MAJ du 17/09: lors de l'audience mardi, l'avocat général a préconisé l'annulation de la condamnation de Robert Hébras au nom de la liberté d'expression, estimant qu'il "parlait au conditionnel" et "sans esprit de haine ou partisan". La décision de la Cour sera rendue le 16 octobre.

On se souvient de cette image, le 4 septembre dernier à Oradour-sur-Glane: le président français et le président allemand, main dans la main avec un survivant du massacre survenu dans ce village en 1944, symbole en France de la barbarie nazie.

Mais si la réconciliation a pour la première fois été actée avec l'Allemagne sur les ruines d'Oradour, la mémoire de ce drame reste sensible - au point de susciter, 70 ans après, des décisions de justice.

Ainsi, la Cour de cassation se penche mardi sur le pourvoi de Robert Hébras, l'homme qui a tenu début septembre la main de François Hollande et Joachim Gauck. L'homme conteste sa condamnation par la justice pour avoir émis des doutes sur l'incorporation de force de Français dans l'unité SS qui a perpétré le massacre.

Français contre Français

Cet homme de 88 ans n'en avait que 19 lorsqu'une unité de Waffen SS, les troupes d'élites du parti nazi, ont pénétré dans son village et massacré la population. Mitraillé avec les autres hommes d'Oradour, il doit son salut aux corps qui ont chuté sur lui, et qui l'ont protégé des balles.

Mais le drame d'Oradour recèle une autre douleur. Parmi les bourreaux SS du village se trouvaient en effet des Français, Alsaciens, incorporés de force dans l'armée allemande. L'Alsace et la Moselle, considérées comme allemandes par les nazis, avaient en effet été annexées à l'Allemagne en 1940 et leurs habitants, soumis contre leur gré à la conscription dans les troupes allemandes - ils se sont eux-mêmes surnommés les "Malgré-nous".

"Alsaciens soit-disant enrôlés de force"

Or, dans un livre de souvenirs paru en 1992, Oradour-sur-Glane, le drame heure par heure, Robert Hébras a fait part de ses doutes sur le caractère forcé de cette incorporation. "Parmi les hommes de main, a-t-il écrit, il y avait quelques Alsaciens soi-disant enrôlés de force dans les unités SS."

Un propos nuancé dans les éditions suivantes de son livre. Mais en 2008, un nouveau tirage a repris la première version, déclenchant la colère de deux associations d'anciens "Malgré-nous", qui ont porté plainte.

Débouté en première instance à Strasbourg en 2010, Robert Hébras a été condamné à Colmar en septembre 2012. La cour d'appel a estimé que l'homme avait contesté une "vérité historiquement et judiciairement établie".

"Souci de réconciliation"

Cet acharnement contre un survivant peut surprendre, voire choquer. Mais en Alsace et en Moselle, l'incorporation de force a été vécue comme le drame d'une région, et les associations de survivants se sont battues pendant des années pour faire reconnaître par les autorités qu'elle avait constitué un crime de guerre.

Lors de la visite des présidents français et allemand à Oradour-sur-Glane, elles avaient demandé à ce que Joachim Gauck y apporte une reconnaissance officielle - en vain.

Mais pour Robert Hébras, la condamnation dont il a fait l'objet est injuste. Le vieil homme indique ainsi avoir modifié son ouvrage, en 2004, "dans un souci de réconciliation avec l'Alsace". Il assure également ne pas être à l'origine de la réédition de la première version de son texte. "Je demande seulement qu'on enlève ma condamnation, c'est la seule chose qui me préoccupe", conclut-il, très affecté.

Mathilde Tournier