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Justice plus rapide ou au rabais? Les cours criminelles divisent

La première audience devant une cour criminelle a lieu au tribunal de Caen.

La première audience devant une cour criminelle a lieu au tribunal de Caen. - BFMTV

L'expérimentation des cours criminelles débute ce jeudi. Quand certains y voient une piste efficace pour lutter contre l'engorgement des cours d'assises, d'autres dénoncent une régression démocratique.

Cinq magistrats professionnels pour juger des faits de viol, de vols à mains armées ou de coups mortels. Dès ce jeudi, les cours criminelles, imaginées dans le cadre de la réforme de la Justice, sont expérimentées pour trois ans. Ces tribunaux seront consacrés aux affaires passibles de 15 à 20 ans de prison. L'objectif annoncé par la Chancellerie: une justice plus rapide, mieux orientée et plus efficace. Sept départements ont été choisis: les Ardennes, le Calvados, le Cher, la Moselle, la Réunion, la Seine-Maritime et les Yvelines.

"Les cours criminelles départementales répondent à deux impératifs, détaille Youssef Badr, porte-parole du ministère de la Justice. Réduire les délais d'audiencement, c'est-à-dire le délai qui court entre le moment où le juge d'instruction rend son ordonnance de mise en accusation et le moment où l'accusé est présenté devant la cour d'assises (...). Le deuxième objectif part du constat que beaucoup trop de viols sont correctionnalisés, c'est-à-dire transformés en délits."

Plus d'affaires audiencées

Actuellement en France, accusés et victimes peuvent attendre jusqu'à quatre ans avant que leur affaire ne soit jugée devant les cours d'assises, les cours qui jugent les faits les plus graves, et qui sont engorgées. Pour preuve, le ministère de la Justice avance les délais d'attente des procès: 2 à 3 ans pour un accusé libre et 12 à 15 mois pour les accusés détenus. La solution expérimentée est alors de réduire le travail préparatoire et pédagogique qu'impose le fonctionnement des cours d'assises. 

Dans ces cours siègent trois magistrats professionnels et six jurés citoyens, qu'il faut tirer au sort. 35 citoyens initialement tirés au sort sur les listes électorales sont convoqués en début de session d'assises. Six sont alors à nouveau tirés au sort parmi cette liste, tandis que l'accusation ou l'avocat général ont la possibilité d'en récuser. Un délai auquel s'ajoute aussi le temps d'explication avant le rendu du verdict.

Moins de risques de corruption

L'oralité intégrale des débats, respectée dans les cours d'assises, ne le sera plus forcément avec certains témoignages qui pourront être recueillis par écrit et transmis à la cour. En faisant siéger uniquement des magistrats professionnels, une affaire qui aurait pris 4 jours à être jugée, pourrait l'être en un à un jour et demi, estime-t-on à la Chancellerie. Le délai d'audiencement pourrait être réduit de moitié. Plus d'affaires pourraient alors être jugées.

"La procédure sera la même que devant la cour d'assises, les pénalités encourues seront les mêmes que devant la cour d'assises, c'est-à-dire que la protection de la société sera assurée dans les mêmes conditions, les victimes seront entendues plus rapidement et les personnes qui seront détenues provisoirement seront jugées plus rapidement, c'est une justice de meilleure qualité et pas une justice au rabais", estime pour sa part Jean-Frédéric Lamouroux, le procureur général de Caen.

Autre argument pour les pro-expérimentation: le risque moins important de corrompre un magistrat professionnel plutôt qu'un juré. En mars dernier, par exemple, une enquête a été ouverte par le parquet de Bobigny après que le verdict dans une affaire de tortures sur fond de trafic de drogue avait fuité avant d'être prononcé. Trois des cinq principaux accusés avaient été acquittés, tandis que 18 ans de prison avaient été requis à leur encontre. L'affaire sera rejugée.

Un "palliatif médiocre"

L'idée de ces cours criminelles est également d'éviter que certains crimes soient disqualifiés en délits. Notamment pour éviter les questions trop pesantes de la cour ou des avocats de la défense, dans leur rôle. "La fragilité de certaines victimes de viol pousse les magistrats à 'correctionnaliser' certains faits en requalifiant des faits de viol en agression sexuelle", rappelle Jacky Coulon, le secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats, favorable à l'expérimentation. Les suspects ne sont alors plus jugés devant une cour d'assises mais devant un tribunal correctionnel.

Avant même le début de l'expérimentation, le principe même de ces cours criminelles a fait hurler les avocats. "Oui, il faut trouver des solutions mais la solution qui a été trouvée est une solution que je qualifierais de pis-aller et même de pis-aller médiocre parce que nous renonçons à des principes fondamentaux dans le droit français", dénonce Me Christian Saint-Palais, président de l'association des avocats pénalistes. En cause, le fait que la justice, pour les faits les plus graves, est rendue par le peuple, principe même de la Constitution. 

La crainte d'une généralisation

Les opposants à ces cours criminelles redoutent la fin de l'oralité des débats, une justice expéditive, une hiérarchisation des crimes mais surtout ils craignent que cette expérimentation, si elle était généralisée, signe la fin définitive des jurés citoyens dans les tribunaux. "D'abord on a supprimé les jurés dans les affaires les plus lourdes, les affaires de terrorisme et de drogue en bande organisée, rappelle Me Saint-Palais. Aujourd'hui, on dit qu'on va supprimer les jurés dans les affaires criminelles les moins lourdes, comme s'il y avait des crimes moins graves que d'autres. En réalité ce que l'on veut, c'est économiser."

L'expérimentation va durer trois ans et sera évaluée à son terme par le Parlement. L'Union syndicale des magistrats alerte sur le besoin de moyens en terme de magistrats - des magistrats honoraires, à la retraite, ont été recrutés cet été - mais aussi pour les greffes. La France a été plusieurs fois condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour ne pas avoir jugé des accusés dans un délai raisonnable.

Justine Chevalier