Jérôme Kerviel, visage banal d'une catastrophe financière

Jérôme Kerviel a été condamé mardi à cinq ans de prison dont trois ans ferme. L'ex-trader de la Société générale devra également rembourser les 4,9 milliards d'euros de pertes infligées à la banque en 2008. Son avocat a fait appel. /Photo prise le 5 octob - -
par Thierry Lévêque
PARIS (Reuters) - La personnalité de l'ancien trader de la Société générale Jérôme Kerviel, lourdement sanctionné mardi par le tribunal de Paris, a surpris ceux qui voyaient en lui un personnage extraordinaire.
L'enquête très fouillée réalisée sur sa vie et sa personnalité est formelle. Non, Jérôme Kerviel, né le 11 janvier 1977 à Pont-Labbé (Finistère), d'une mère coiffeuse et d'un père artisan forgeron, n'est pas un "terroriste", comme l'avait dit le président de la Société générale Daniel Bouton.
La procédure a en effet écarté toute intention de destruction de la banque. Ce jeune homme au visage lisse n'est pas non plus un "génie de la fraude" comme l'avait dit le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer.
Ses astuces se limitent finalement à de faux courriels et des transactions fictives rudimentaires, confectionnés sans usurpation d'identité, sous son nom.
Il n'est pas non plus un "trader fou". "Il est apparu indemne de trouble mental", dit le tribunal dans son jugement.
"Il a une histoire familiale, scolaire, sans problème majeur. Il présente une personnalité équilibrée tant sur les plans affectif, intellectuel, que des investissements relationnels et sociaux", conclut l'expertise psychologique commandée par les juges d'instruction.
Jérôme Kerviel ne semble pas avoir été obsédé par son train de vie, dit la police financière dans son rapport: "Aucune extravagance de quelque nature que ce soit n'a été relevée".
Il avait une amie au moment des faits mais vivait seul dans un petit logement à Neuilly. Il passait douze heures par jour au travail et de retour chez lui, s'informait sur l'état du marché.
"LE SIGNE +, UNIQUE RÈGLE"
Ses loisirs se limitaient à un verre le samedi avec les amis et un week-end en Normandie de temps à autre. Il ne prenait presque jamais de vacances. Quand son père est mort d'un cancer en 2006, il a fait un aller-retour pour l'enterrer avant de revenir en trombe au travail, raconte-t-il dans son livre.
En 2007, il a perçu un revenu annuel de 48.500 euros, confortable dans l'absolu, mais très éloigné des sommets que peuvent atteindre les traders, avec un bonus de 60.000 euros en 2006, également classique dans ce milieu.
En voulait-il plus ? Il le nie mais le tribunal a retenu dans son jugement qu'il s'était vu promettre de confortables bonus et avait ainsi demandé 600.000 euros en 2007.
Le tribunal a conclu sévèrement. Un "cynique", dit le jugement, "cultivant l'ambivalence dans ses comportements". Les juges relèvent qu'il jargonnait à l'envi pour tromper ses collègues. Tout en développant des stratégies réelles, il avait recours à des techniques "occultes" pour miser gros.
"La diversité des techniques de falsification ou de dissimulation n'a d'égale que la réactivité fulgurante, le sang-froid permanent et l'impassibilité trompeuse dont il a su faire preuve quotidiennement", relève le jugement.
Jérôme Kerviel a dit lors de l'enquête: "j'étais dans un monde virtuel, les montants n'avaient plus de sens. J'étais pris dans une spirale, j'étais grisé par le succès".
Embauché au "middle-office" (contrôle) à la Société générale en 2000, il était devenu trader par promotion interne. Son DESS obtenu à Lyon était vu comme faible par les traders, issus le plus souvent des grandes écoles.
En a-t-il conçu un complexe, a-t-il voulu en faire plus pour démontrer qu'il pouvait être un bon trader ? L'accusation l'affirme, il le nie.
Il aimait cet univers de "chiffres qui apparaissent sur un écran, circulent à travers la planète et où quelques millièmes de secondes changent tout", dit-il simplement dans son livre.
Jérôme Kerviel est un phénomène du web et le trader est devenu avec lui, plus que jamais, une veine de fiction, comme dans le récent roman français "Comment j'ai liquidé le siècle".
Flore Vasseur y parle du trading. "Les mathématiques et les codes nous ont donné le pouvoir. La complexité est l'arme absolue, le signe +, l'unique règle. La planète est un Monopoly. Le monde bosse pour nous. En ce moment, nous parions contre l'humanité, valeur extrêmement volatile".
Edité par Patrick Vignal