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"Jamais vu ça": après les émeutes en France, des peines très sévères prononcées par la justice

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Les premières peines concernant les émeutes urbaines ont été prononcées ces derniers jours. Malgré la jeunesse des prévenus ou leur absence d'antécédents judiciaires, des mandats de dépôt ont été prononcés.

À Nanterre jeudi dernier, Aymeric C. fait certainement partie des premières personnes à comparaître à la suite des violences qui touchent la France depuis la mort de Nahel, un jeune de 17 ans tué par un tir policier lors d'un contrôle routier. La vingtaine, il est jugé pour avoir diffusé le nom et la ville où habite le policier mis en cause. Inconnu jusqu'alors de la justice, inséré professionnellement, il est condamné à 18 mois de prison dont 12 avec sursis pour une story Snapchat publiée en privé.

Depuis jeudi, la justice, de Marseille à Créteil en passant par Bobigny, Nanterre ou Grenoble, organise un défilé de comparutions immédiates de personnes soupçonnées d'être impliquées dans les émeutes. Incendie de poubelles, casse de commerces, pillages de magasins, ou attaques contre des policiers, la plupart disent regretter, beaucoup disent ne pas comprendre pourquoi ils ont agi de la sorte. Souvent, c'est l'effet de meute qui est invoqué. Pour l'heure, ce ne sont pas ceux en première ligne dans ces violences qui ont été jugés.

350 incarcérations

Ils ont 18, 19 ans, la trentaine tout au plus, ils sont insérés scolairement ou professionnellement, ils n'ont pas de casier judiciaire pour la plupart, mais sont condamnés, de l'avis de tous, et selon le souhait du gouvernement, "fermement". Sana, 18 ans, en formation pour être auxiliaire de vie, a écopé de quatre mois de prison ferme pour avoir tenté de piller un magasin rue Féréol à Marseille samedi soir. Un autre a pris 10 mois de prison ferme, interpellé - en récidive - une canette de Red Bull à la main alors qu'il sortait d'un magasin pillé. À Montpellier, un homme a écopé de trois mois de prison ferme pour les mêmes faits.

Samedi, au tribunal de Bobigny, dix prévenus étaient jugés dans le cadre de cinq dossiers liés aux violences urbaines. Sur les dix, huit d'entre eux ont été incarcérés immédiatement à l'issue de l'audience pour effectuer la peine à laquelle ils venaient d'être condamnés. De nombreux tribunaux prononcent des mandats de dépôt, synonyme d'incarcération, là où la peine pourrait être faite sous bracelet électronique. Depuis le début des jugements, il y a eu 350 incarcérations, a précisé le garde des Sceaux ce mardi.

"Dissuasion générale"

La justice pénale a un rôle de dissuasion générale. Dès vendredi, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a transmis une circulaire pour réclamer une réponse pénale "rapide, ferme et systématique". "L’encre de la circulaire était à peine sèche que les procureurs la mettaient en marche", a-t-il salué lors des questions au gouvernement dans l'hémicycle.

À Grenoble ou Bobigny, par exemple, les procureurs "en chef" sont d'ailleurs descendus requérir lors des comparutions immédiates, fait rarissime. "Il y a eu atteinte à la sécurité publique collective, il faut une réponse pénale ferme, des peines pour l’exemplarité", estimait le représentant du parquet à Marseille.

"On constate qu’on a des peines fortes et qui sont des peines avec mandat de dépôt pour des gens qui n’ont pas de casier", note Aurélien Martini, secrétaire général adjoint de l'Union Syndicale des Magistrats.

Pour le magistrat, la peine a une "dissuasion spéciale, vis-à-vis de l’auteur des faits", en "prévention de la récidive". "Pour ce qui nous occupe, il n’est pas impossible que ces peines puissent jouer un rôle de dissuasion générale", poursuit Aurélien Martini.

Du "jamais vu"

Pour les avocats, "la justice est totalement instrumentalisée" par le politique. "Depuis la circulaire du 30 juin, le changement a été drastique", constate Me Camille Vannier, qui a participé au système de défense collective ce week-end. "Des mandats de dépôt, des mandats de dépôt, des mandats de dépôt... pour des faits mineurs", poursuit l'avocate qui déplore que "des jeunes, de très jeunes prévenus qui comparaissent pour la première fois" soient qualifiés d'"émeutiers" par la justice.

"Sur des délits aussi mineurs, je n'ai jamais vu ça", martèle Me Vannier.

"Les peines sont extrêmement fermes, les procédures bâclées, il y a de nombreux scénarios où on ne reconnaît pas les gens, les PV d'interpellation sont extrêmement flous, c’est une justice politique", déplore à son tour Me Elsa Marcel. Le traitement de faveur est le même pour les mineurs, une justice rendue différemment que pour les majeurs. Alors que l'âge médian des personnes interpellées est de 17 ans, eux sont systématiquement déferrés devant le parquet et notamment des jeunes de 13 ans, une situation extrêmement rare.

Ce qui est le plus inquiétant, c'est que "les juges du siège (ceux qui prononcent les condamnations, NDLR) suivent de manière aveugle les réquisitions, c'est très inquiétant du point de vue de l'indépendance de la justice", conclut Me Camille Vannier.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV