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INFO BFMTV. Fusillade devant un centre kurde à Paris: pourquoi la justice ne veut pas juger William Malet pour terrorisme

L'entrée de la cour d'assises de Paris (image d'illustration)

L'entrée de la cour d'assises de Paris (image d'illustration) - JACQUES DEMARTHON / AFP

William Malet avait semé la terreur dans le 10e arrondissement de Paris en abattant trois personnes d’origine kurde rue d’Enghien, le 23 décembre 2022. Selon les informations de BFMTV, trois juges d’instruction ont demandé, le 22 juillet, son renvoi devant une cour d’assises. Ils écartent définitivement la qualification de terrorisme.

Après deux ans et demi d’enquête, trois juges d’instruction demandent que William Malet soit jugé devant la cour d’assises de Paris pour la fusillade meurtrière perpétrée en décembre 2022 devant un centre culturel kurde de Paris, a appris BFMTV de sources judiciaires ce mercredi 23 juillet.

Dans leur ordonnance de mise en accusation datée du 22 juillet que BFMTV a pu consulter, Katia Dubreuil, Benjamin Lefebvre et Florian Duret relèvent qu’il "existe des charges suffisantes contre William Malet" pour juger ce cheminot lepéniste à la retraite pour les crimes d’"assassinats en raison de la race", "tentatives d’assassinat en raison de la race" et "détention d’armes de catégories A et B".

Le matin du 23 décembre 2022, William Malet, 69 ans arrive à pied devant le centre culturel Ahmet-Kaya, au 16 rue d’Enghien (10e arrondissement). Armé d’un pistolet Colt 45 et de quatre chargeurs garnis de munitions, cet homme solitaire et névrosé tire de sang-froid sur trois personnes qui fument une cigarette en haut des marches de l’établissement: Emine Kara, Aburrahman Kizil et Sirin Ayd.

L’ancien champion de tir sportif monte ensuite achever ses victimes. Il tire notamment une balle dans la tête d’Emine Kara, une ancienne cheffe de guerre kurde. Il continue son périple meurtrier dans un salon de coiffure, situé sur le trottoir d’en face, où il parvient à blesser trois personnes avant d’être maîtrisé par les clients.

Cocard à l’œil droit, William Malet assume devant les enquêteurs de police "une haine pathologique des étrangers" et reconnaît que des fantasmes de tuerie de masse le travaillent depuis toujours. Il déclare alors, condensant ses motivations en une phrase: "J’emporterai mes ennemis dans ma tombe".

Une tuerie raciste préméditée

La qualification d’"assassinat" ne fait aucun doute pour les magistrats, puisque le mis en examen a reconnu avoir "mûri ce projet homicide bien avant" les faits, notent-ils.

Cette préméditation découle de sa "volonté de vengeance à l'égard des étrangers" depuis un cambriolage qu’il a subi en 2016 et par le fait qu’il s’est "rendu en Seine-Saint-Denis avec un fusil d'assaut pour un projet qu'il souhaitait de plus grande ampleur", le matin même des faits.

Les charges sont également suffisantes pour retenir le mobile raciste: William admet lors de ses auditions une "haine" des étrangers, qu’il qualifie régulièrement d'"ennemis". S’il s'est rendu, le matin de l’attaque, devant la basilique de Saint-Denis, c’est par la volonté de tirer sur des "immigrés" même s’il aurait renoncé à ce funeste projet au dernier moment, à l’en croire.

Il reproche enfin aux Kurdes, dans un argumentaire fumeux mais construit, d’être "des terroristes" et d’avoir "mal combattu Daesh" (acronyme arabe de l’État islamique) en zone irako-syrienne. Aux yeux des juges d’instruction toutefois, le tueur n’a pas différencié spécialement les Kurdes des autres étrangers. "Il avait toujours affirmé qu’il avait hésité" entre attaquer ce centre kurde ou une mosquée du 11e arrondissement, estiment les magistrats, ce qui écarte, pour eux, la piste d’un attentat visant spécifiquement les Kurdes.

La qualification de terrorisme écartée

Ils écartent totalement la qualification de terrorisme. À la grande déception des Kurdes, touchés dans leurs chairs par cet acte criminel. Leurs avocats sont convaincus qu’il s’agit d’un attentat, un terme d’ailleurs employé par le tueur lui-même, avant qu’il ne revienne dessus.

Mais "rien dans la procédure ne permet de relever des indices d’une action" terroriste, estiment les juges d’instruction qui discutent, sur sept paragraphes dans ce document de plus de 80 pages, de cette question. Ses ressorts auraient été "davantage d'ordre intime que politique", justifient-ils, citant "le désespoir ressenti par William Malet, ses fantasmes de meurtre, sa haine des étrangers".

William Malet ne s’embarrasse pas d’une "référence à une quelconque idéologie qu(‘il) aurait voulu imposer par la terreur" et aucun document, ajoutent les juges, ne le rattache "à un quelconque courant, notamment d'ultra-droite ou politique d'extrême droite".

Une idéologie proche du nationalisme

Depuis son placement en détention provisoire, William Malet a toutefois fait part, à plusieurs reprises, de sa fascination pour Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national (FN), ou encore pour Éric Zemmour, président de Reconquête.

Au cours de ses interrogatoires, cet ancien militaire parachutiste, qui éprouve une forte haine envers les Algériens depuis la guerre d’Algérie, avait développé une idéologie et une vision de la France le rapprochant du nationalisme.

Mais "s'il a voulu emmener avec lui des 'ennemis dans (sa) tombe', concédé qu'il aimait l'idée que ses actions lui permettraient de sortir de l'anonymat, et qu'il a pu utiliser le terme 'attentat', William Malet n'a jamais cherché à instaurer (…) un trouble particulier à l'ordre public, une terreur ou une intimidation", tranchent les magistrats.

En creux, les juges semblent adresser une critique au parquet national antiterroriste, en estimant qu’ils ne sauraient être tenus "comptables" d’une "interprétation extensive" de la qualification d’actes de terrorisme telle qu’elle aurait été retenue dans d’autres affaires.

Des "zones d'ombre"

Joints par BFMTV, Mes David Andic, Laurent Pasquet-Marinacce et Youri Krassoulia, avocats des survivants et du centre démocratique kurde de France, qui siège au 16, rue d’Enghien, dénoncent une instruction incomplète et vont faire appel de ce refus de la qualification terroriste. "De nombreuses zones d’ombre demeurent", affirment-ils.

Ils relèvent les "contradictions flagrantes" de William Malet pendant ses auditions, notamment au sujet de son emploi du temps. Et estiment que plusieurs de leurs demandes auprès de juges d’instructions ont été rejetées "de manière parfaitement contestable".

Celles-ci se concentrent sur un ADN féminin qui a été retrouvé sur la crosse d’une carabine utilisée par William Malet. Cet ADN n’a "matché" avec aucune empreinte génétique dans les fichiers de police français. Les avocats réclament donc qu’il soit comparé avec les fichiers d’empreintes génétiques dans les fichiers de police à l’échelle européenne, mais aussi en Turquie. À leurs yeux, la piste de complicités dont il aurait pu bénéficier n’a pas été suffisamment explorée.

Sollicité par BFMTV, Clément Pialoux, avocat de William Malet, n’a lui pas souhaité faire de commentaire.

Paul Conge et Matthias Tesson