Eric Dupond-Moretti visé par une plainte de deux syndicats de magistrats pour conflit d'intérêts

Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti le 18 novembre 2020 à Paris - Ludovic MARIN © 2019 AFP
La dernière fois que les relations entre un ministre de la Justice et les syndicats de magistrats étaient aussi tendues, c'était en 1978 lorsque le garde des Sceaux de l'époque Alain Peyrefitte était visé par une plainte du Syndicat de la magistrature. Ce jeudi, ce syndicat et l'Union syndicale de la magistrature annoncent avoir déposé plainte contre l'actuel ministre Eric Dupond-Moretti pour dénoncer des conflits d'intérêts.
La plainte pour "prise illégale d'intérêts" a été déposée devant la Cour de justice de la République (CJR), seule institution ayant le pouvoir de juger un ministre en exercice. Elle doit désormais décider d'ouvrir ou non une enquête, avant que la plainte soit examinée sur le fond.
"C'est une décision grave et exceptionnelle. Elle répond à la gravité des faits", ont affirmé l'Union syndicale des magistrats, majoritaire dans la profession et le Syndicat de la magistrature, au cours d'une conférence de presse.
Conflits d'intérêts
Dans cette plainte, les deux syndicats dénoncent deux faits. Le premier: l'ouverture par Eric Dupond-Moretti, alors ministre, d'une enquête administrative visant trois magistrats du parquet national financier. Ces derniers avaient ouvert une enquête préliminaire pour identifier la taupe qui aurait informé Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog qu'ils étaient sur écoute dans l'affaire Paul Bismuth. Le parquet avait épluché, en vain, les fadettes de plusieurs avocats parisiens, dont Eric Dupond-Moretti qui portait encore la robe à cette époque.
"Un ministre de la Justice a-t-il le droit d’intervenir dans un dossier le concernant ou concernant ses anciens clients ? L’USM, le SM et l’immense majorité des magistrats pensent que non. Éric Dupond-Moretti, lui, pense que oui. Le président de la République ne trouve rien à redire. Nous sommes donc face à un blocage institutionnel", s'est justifiée Céline Parisot, présidente de l'USM.
Les deux syndicats déplorent également l'enquête administrative ouverte par le ministre de la Justice, en fonction depuis juillet, à l'encontre du juge Edouard Levrault. Après avoir quitté ses fonctions de juge d'instruction à Monaco, le magistrat avait dénoncé les pressions subies lors de ces enquêtes. Or, les syndicats de magistrats rappellent qu'Eric Dupond-Moretti, avant de prendre ses fonctions à la Chancellerie, était l'avocat d'un policier mis en examen par ce juge dans une de ses enquêtes. A l'époque, il s'était attaqué aux méthodes de ce magistrat, faisant craindre un conflit d'intérêt pour les syndicats.
"En tant qu'avocat, Éric Dupond-Moretti a voulu faire punir des magistrats s'étant occupés de dossiers concernant un de ses clients ou le concernant lui-même et ses proches. En tant que ministre, il a exercé ses prérogatives pour mettre en mouvement ou poursuivre ces actions punitives", ont affirmé l'USM et le SM, tout en récusant tout esprit "corporatiste".
Matignon destinataire des enquêtes
Contacté, l'entourage du garde des Sceaux a dénoncé une "obsession" des syndicats de magistrats. "Cet acharnement pour unique projet est dommageable pour les magistrats qu'ils sont censés représenter et pour la justice pour laquelle ils ne proposent plus rien depuis tout ce temps", a encore précisé les proches du ministre de la Justice.
Au mois d'octobre, et face à la grogne des magistrats qui avait accueilli la nomination d'Eric Dupond-Moretti à la Chancellerie comme "une déclaration de guerre", le gouvernement a pris un décret précisant que c'est désormais le Premier ministre qui est destinataire des conclusions des enquêtes impliquant l'avocat Eric Dupond-Moretti. C'est également Matignon qui gère désormais les dossiers concernant des individus ou personnes morales qui auraient engagé des actions judiciaires contre le ministre de la Justice.