Disparition d'un convoyeur de fonds: quand Toni Musulin fascinait les Français

Le butin de Toni Musulin découvert par la police. - POLICE / AFP
Adrien Derbez, le convoyeur de fonds qui avait disparu lundi à Aubervilliers avec les 3,4 millions qui remplissaient son fourgon, a été arrêté ce mardi à Amiens. L'enquête s'emploiera à faire la lumière sur les détails de sa cavale, mais l'histoire rappelle d'ores et déjà un fait-divers, qui fut aussi un phénomène: la subtilisation de 11,6 millions d'euros il y a dix ans par le convoyeur de fonds, lui aussi salarié alors de l'agence Loomis, Toni Musulin.
Il y a dix ans
L'affaire remonte au 5 novembre 2009, comme l'a retracé ici Paris Match. Ce matin-là, à 10h, Toni Musulin, est au volant de son fourgon, comme la plupart du temps depuis dix ans. Le véhicule est lourd de son dernier chargement, effectué à la succursale lyonnaise de la Banque de France. Soudain, profitant de la descente de ses deux collègues, il démarre. Il embarque dans la cavale, qu'il lance du même coup, 11,6 millions d'euros. Toni Musulin, qui avant son opération, préparée depuis deux ou trois mois, a notamment vidé son appartement, prend la direction d'un box qu'il a loué sous un faux nom. Là, il commence à remplir une Renault Kangoo blanche, elle aussi de location, avec les millions dérobés.
Il ne doit pas en rester là: l'idée est dans un second temps d'entreposer sa délictueuse fortune derrière le faux mur qu'il a édifié auparavant. Faux mur, faux nom, mais faux départ. Il ne peut en effet mener sa tâche à bien, car le quartier est très vite bouclé par la police et son box découvert. il doit alors prendre la fuite, la vraie. Pendant onze jours, il échappe à tous les radars avant de se rendre de lui-même à la police monégasque le 16 novembre. Musulin sera par la suite remis aux forces de l'ordre française.
Et si celles-ci ont bien mis la main sur 9,1 millions d'euros dans le box, elles sont formelles: 2,475 millions d'euros sont introuvables. Toni Musulin est jugé en 2010 et condamné. Il avoue le vol mais maintient ne pas être en possession de cette part importante du butin qui semble, encore aujourd'hui, comme évaporée. Il sort de prison quatre ans après y être entré. Le 29 septembre 2013, il est libre.
Fascination
Paris Match a donc aussitôt profité de cette liberté recouvrée pour aller rencontre Toni Musulin et le portraiturer. Car c'est sans doute le plus intéressant dans le périple de ce dernier: l'homme fascine, et les médias les premiers.
A l'époque, le site de la BBC a même consacré un article évoquant en longueur l'étonnante popularité du convoyeur renégat. Le traitement médiatique à chaud du fait-divers y figurait en bonne place. La correspondante britannique Emma Jane Kirby y décrit ainsi le récit radiophonique du vol des 11,6 millions d'euros par un journaliste français.
"Il était tellement excité qu'il en haletait", écrit-elle avant d'assurer que son confrère paraissait "incapable de cacher la note d'admiration perçant à travers sa voix". Le reportage, assure-t-elle dans la foulée, "achevait en informant triomphalement l'auditeur que la police n'avait aucune piste pour localiser le fugitif".
Les médias ne sont pas les seuls sur le moment à manifester ce qui ressemble à un intérêt coupable à l'endroit de Toni Musulin. Sur les réseaux sociaux de la fin d'année 2009 et du début d'année 2010, les groupes de soutien pullulent. "Il a fui, il a tout compris", proclame l'un d'entre eux, parodiant une publicité de l'époque pour un fournisseur d'accès internet. "Libérez Toni Musulin", pose un autre, qu'on devine ultérieur au premier. "Toni Musulin, président!" fanfaronne un troisième, anticipant de plus de deux ans sur le scrutin prévu. Une autre publication Facebook désigne unilatéralement Toni Musulin: "meilleur conducteur de l'année 2009".
La crise des subprimes
La question se pose alors avec force, incontournable. Comment expliquer cette popularité pour un voleur? Et Toni Musulin n'étant pas un cas isolé, faut-il y voir l'admiration français pour le panache et l'élégance supposée des braquages "sans arme, ni violence et sans haine" pour reprendre le slogan qu'Albert Spaggiari, un bandit qui a lui aussi durablement imprimé son souvenir dans les consciences, avait couché sur les murs de son "casse du siècle", dans un coffre de la Société générale de Nice, un soir de juillet 1976?
Le Figaro a livré une autre explication, plus conjoncturelle, mais invoquant également les mânes d'Albert Spaggiari:
"Dans le contexte anxiogène de la crise, Thierry Musulin passe pour avoir détroussé le grand capital avec ce 'casse du siècle'".
A l'automne 2008, en effet, la crise des subprimes est devenue mondiale, n'arrangeant évidemment pas la réputation des banques et la popularité des banquiers.
Alors que des demandes en mariage, relativement ordinaires dans le cas de délinquants ou de criminels médiatisés, en direction de la prison rhodanienne de Toni Musulin au moment de sa détention préventive sont signalées par l'AFP, celui-ci passe une tête dans le monde de la culture. Un certain Sundyata, notait encore Le Figaro, compose pendant la cavale un morceau marqué au coin du ragga et intitulé La méthode Musulin en son honneur.
De Toni Musulin à François Cluzet
L'analyse de la BBC explorait aussi cet hommage de la culture française à la figure du bandit:
"Les films français célèbrent régulièrement - d'aucun pourrait même dire qu'il s'agit d'une obsession - la culture criminelle. Les gangsters français y sont presque toujours des gens charmants, une sorte géniale de larrons bien plus intelligents que les flics stupides lancés à leurs recherches. Faire de la morale n'a pas de sens, tout le monde sait bien ici que les lois sont faites pour être transgressées - du moment, bien sûr, que vous le faites avec un certain style".
Vérifiant le théorème, Toni Musulin a aussi eu droit son film: 11.6, sorti en 2013, François Cluzet lui prêtant ses traits.