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Coups, violences: un ex-otage du jihadiste Nemmouche raconte sa captivité avant l'ouverture du procès

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Le procès du tueur du musée juif de Bruxelles Mehdi Nemmouche et de quatre autres jihadistes, accusés d'avoir détenu des journalistes français sous Daesh en Syrie en 2013, s'ouvre ce lundi 17 février devant la cour d'assises spéciale de Paris. L'ancien otage, Didier François, revient pour BFMTV sur ses mois de captivité.

Le procès de cinq jihadistes de Daesh, dont Mehdi Nemmouche, va débuter ce lundi 17 février à 9h30 devant la cour d'assises spéciale de Paris pour la séquestration, des actes de tortures et de barbarie perpétrés sur sept Occidentaux, dont quatre journalistes français entre 2013 et 2014.

Sur ces cinq accusés, deux sont présumés morts en Syrie et seront donc jugés par contumace. Les trois autres seront présents et encourent la perpétuité. Mehdi Nemmouche a déjà été condamné à la perpétuité pour l'attentat du musée juif de Bruxelles en 2014 qui avait fait quatre morts. Pendant toute la période d'instruction, le jihadiste a fait jouer son droit au silence et n'a pas reconnu avoir été le geôlier des journalistes français.

"Sur l'aventure jihadiste, c'est incontestable. Concernant les otages, Mehdi Nemmouche est silencieux depuis 10-11 ans, il ne dit rien. C'est donc la mécanique de la présomption d'innocence qui s'applique dans ces cas-là", rappelle son avocat Me Francis Vuillemin auprès de BFMTV.

Ce dernier pointe par ailleurs du doigt les "déclarations contradictoires" des quatre journalistes français, Didier François, Nicolas Hénin, Edouard Elias et Pierre Torres, sur l'identification de son client.

Les quatre anciens otages seront entendus ce mercredi à la barre. Si le reporter de guerre Didier François, interrogé par BFMTV, n'attend pas tant du verdict, il souhaite surtout que ce procès "soit une piqûre de rappel sur la dangerosité de cette organisation islamiste radicale et de cette idéologie". "Cette menace n'a pas disparu, c'est important de le rappeler", assure-t-il.

"Un guet-apens extrêmement bien monté"

Deux des journalistes français, Didier François et Edouard Elias, sont enlevés en Syrie près d'Alep le 6 juin 2013. Nicolas Hénin et Pierre Torres sont quant à eux kidnappés deux semaines plus tard le 22 juin près de Raqqa. Les deux premiers se rendent dans le pays pour effectuer un reportage sur l'utilisation d'armes chimiques contre la population syrienne par le régime de Bachar Al-Assad. Un "piège" se referme sur eux "dès le passage de la frontière".

"On se rend immédiatement compte que la situation a changé et est terriblement tendue. On n'est pas entourés des mêmes groupes rebelles que l'on connaît (...) Les drapeaux syriens de résistance ont été remplacés par des drapeaux des groupes islamiques", se remémore Didier François.

Les deux hommes sont enlevés "20 minutes après leur passage de la frontière" dans "un guet-apens extrêmement bien monté".

"Ils nous enlèvent nos lunettes, nos ceintures et nos chaussures et nous emmènent menottés dans une camionnette vers le premier lieu de détention", raconte Didier François.

"On est frappés en permanence"

À partir de ce jour, ils subissent des mois de violence et de mauvais traitements. "Dès qu'on arrive, il y a zéro discussion, on est frappés en permanence", abonde le reporter de guerre.

Ils passent "quatre jours et quatre nuits sans boire ni manger" menottés à un radiateur. Sans avoir le droit d'aller aux toilettes ou de dormir. "De manière régulière, ils viennent et ils nous frappent", assure l'ex-otage qui décrit des hallucinations liées à la déshydratation.

À la différence des "cris des autres prisonniers qui se font torturer dans cet immense hangar qui raisonne", les "coups maîtrisés et retenus" qu'ils reçoivent visent à les "briser moralement", et non à "les briser totalement".

Au bout de quatre jours, leurs geôliers leur donnent un premier verre d'eau et un morceau de pain.

"Pour la première fois, j'ai le droit d'aller aux toilettes. J'ai tellement soif que je bois l'eau des toilettes", rapporte Didier François qui a perdu 30 kilos pendant sa captivité.

Sur les dix mois et demi de détention, jusqu'à leur libération en avril 2014, les quatre journalistes ont été déplacés huit fois. L'ex-otage nous décrit le mécanisme de domination qu'instaurent les ravisseurs. Leur manière de montrer qu'ils "peuvent faire tout et n'importe quoi quand ils veulent".

"Un jour, votre tortionnaire vous torture et le lendemain, il vous ramène un thé", image Didier François. "C'est leur façon de vous contrôler, on ne sait jamais ce qui va se passer, que ce soit la violence, le fait de nous affamer ou des blagues, il n'y a pas de règles".

"Je me rappelle ses mots glaçants"

Mehdi Nemmouche appliquait lui-même ce mécanisme de domination. Le journaliste le décrit comme étant "cyclothymique", soit atteint par des changements d'humeur intenses.

La première fois que Didier François rencontre le jihadiste français, c'est après 15 jours d'interrogatoires dans leur premier lieu de détention: l'hôpital ophtalmologique d'Alep, devenu le quartier général de l'Amniyat, le service de renseignement de Daesh.

"On est vraiment au coeur de leur système. Ils ont créé une prison clandestine dans les sous-sols de l'hôpital", dépeint le sexagénaire. La première chose qu'il aperçoit de Medhi Nemmouche, qui reste toujours masqué, ce sont ses "rangers". Il réussira à apercevoir son visage une seule fois lors d'un moment d'inadvertance du jihadiste, mais il reconnaît aisément "sa voix, son attitude, ses gestes".

"Dans un premier temps, il va instaurer un rapport de force brutal qui va durer de juin jusqu'à octobre", souligne le reporter de guerre.

Jusqu'à ce qu'il réalise qu'il est bel et bien un reporter de guerre ayant couvert l'Irak, la Tchétchénie, ou encore la Bosnie, comme il l'assurait et qu'il ne mentait pas. "Il se rend compte que dans mon travail de reporter j'ai rencontré plusieurs dirigeants terroristes islamistes qui sont leurs héros".

Le journaliste parle d'un homme qui était "extraverti", "beaucoup plus que depuis qu'il a été arrêté". "Je me rappelle ses mots glaçants, quand il disait que son héros était Mohammed Merah. Il disait que son rêve était d'attraper une petite fille juive par les couettes et de la tuer avec un 9 mm ou encore que sa spécialité était le nettoyage ethnique religieux contre les chiites", détaille-t-il.

"Il me disait qu'il rentrait dans les familles irakiennes ou syriennes, violait la femme, abattait les enfants, égorgeait l'homme, puis se servait dans leur frigidaire".

Pour Didier François, Medhi Nemmouche n'envisageait pas l'attentat-suicide: "Il m'avait dit 'un jour on se retrouvera dans un procès'".

Mélanie Bertrand avec Juliette Brossault