"Mourir peut attendre": pourquoi le dernier "James Bond" de Daniel Craig risque de décevoir les fans

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Les aventures de Daniel Craig en James Bond prennent fin ce mercredi 6 octobre avec Mourir peut attendre, conclusion aussi émouvante qu'explosive d’une série de cinq films qui aura hésité pendant quinze ans entre classicisme et modernité au détriment de ses idées les plus novatrices. Mourir peut attendre, qui met en scène un espion à bout de souffle dont la principale mission est de sauver son couple avec Madeleine Swann (Léa Seydoux), conclut de manière logique l’ère Daniel Craig, dominée par des films spectaculaires en contradiction avec leur ambition introspective.
Si le 007 torturé et esseulé de Daniel Craig aura permis de faire entrer le personnage dans le XXIe siècle, les créateurs de Mourir peut attendre semblent plus que jamais embarrassés par la figure de James Bond, reliquat de la Guerre froide visiblement impossible à moderniser. Cette lutte entre ce que la saga a été et ce qu’elle devrait être est le sujet même du film, qui voit James Bond contraint de détruire son passé (le Spectre, responsable de la mort de Vesper Lynd) et celui de Madeleine (le terroriste Safin, qui la hante depuis l’enfance) pour mieux aller de l’avant.
Baisers tendres sur fond de soleil couchant
Contrairement aux précédents volets, la mission compte moins que le parcours émotionnel du personnage et les secrets de famille qu’il exhume. Le film ressemble souvent plus à un mélodrame qu’à un film d’espionnage, avec grand renfort d'imagerie romantique et de baisers tendres sur fond de soleil couchant. C'est dans ces séquences, inédites dans l'histoire de la saga, que le film se révèle le plus convaincant.
Mourir peut attendre se gâte dans les séquences d'action, souvent illisibles. Elles ont cependant l'intérêt de montrer un Bond dépassé par les événements, sans cesse assailli par des ennemis qui ont toujours un coup d’avance sur lui. Le réalisateur Cary Joji Fukunaga le filme d'ailleurs le plus souvent le regard dissimulé derrière des lunettes de soleil ou caché de l'ombre, comme s'il n'existait déjà plus. En toute logique, Safin (Rami Malek), le grand antagoniste du film, est tout aussi effacé. Il ne représente aucune véritable menace et reste donc assez peu mémorable.
Recycler ses propres codes
Mourir peut attendre s'intéresse davantage à la mythologie de la saga. Les personnages secondaires auparavant réduits à des apparitions gaguesques ont désormais autant d’importance que Bond. L'agent Tanner (Rory Kinnear), aide de camp du MI6 présent depuis Quantum of Solace (2008), occupe une place de choix dans cette famille informelle, tout comme Moneypenny (Naomie Harris) et Q (Ben Whishaw). C’est l’un des points forts de Mourir peut attendre, film mieux équilibré que Spectre (2015) mais plastiquement moins spectaculaire que Skyfall (2012), dont la photographie a été nommée aux Oscars.
Trop occupée à recycler ses propres codes, la saga tourne néanmoins en rond. Si elle a toujours pratiqué l'autocitation (une cascade de L'Homme au pistolet d'or est ainsi reprise dans Le Monde ne suffit pas), Mourir peut attendre a des allures de "best of" de James Bond. Quelques accords de We Have All The Time In The World de Louis Armstrong, générique d'Au Service secret de sa Majesté (1969), retentissent au début du film, alors que James Bond et Madeleine Swann coulent des jours heureux en Italie. Safin s'habille comme Dr. No, et l'île déserte lui servant de base n'est pas sans rappeler celles de On ne vit que deux fois (1967) et de Demain ne meurt jamais (1997). Une séquence voit enfin Bond se débarrasser de ses adversaires à l'aide de pièges, comme dans Skyfall.
L'agente 007 sous exploitée
Bien que la presse anglo-saxonne ait présenté Mourir peut attendre comme le volet le plus osé de la saga, il témoigne pourtant de l'impossibilité pour ses créateurs de réellement moderniser le personnage de James Bond et d'assumer le changement de ton radical de Casino royale. L’un des apports de Daniel Craig avait été d’offrir une véritable allure de tueur à 007.
La mort brutale du Chiffre au milieu de Casino Royale - avec un gros plan sur le trou laissé par l'impact de balle - avait renouvelé le traitement graphique de la violence dans la saga en montrant comment elle pouvait faire irruption sans prévenir. Dans Mourir peut attendre, la mort n'existe plus à l'écran, les ennemis de Bond meurent hors champ et James Bond apparaît tel un être surhumain affrontant sans sourciller des pluies de missiles.
Mourir peut attendre cède aussi aux clichés sexistes des ères Sean Connery et Roger Moore - et ce malgré l'intervention au scénario de Phoebe Waller-Bridge (Fleabag) et l'idée de céder le matricule 007 à une femme, Nomi, incarnée par Lashana Lynch. Ce rôle attendu au tournant, mais complètement secondaire à l'intrigue, est sous exploité, voire oublié pendant des pans entiers du film.
C'est le principal échec de Mourir peut attendre, preuve que James Bond après un nouveau départ prometteur dans Casino Royale semble craindre le renouveau. Le film s'en sort cependant avec un final effectivement très osé, à rebours des canons de la saga, et en total accord avec la relecture du personnage lancé en 2006. Il risque cependant d'énerver les fans.