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"Anora": comment la Palme d'or 2024 veut changer le regard sur les travailleuses du sexe

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Anora, qui a reçu la Palme d'or en mai dernier à Cannes, sort en salles ce mercredi. Un film qui pourrait se tailler la part du lion aux Oscars en mars 2025.

Un thriller new-yorkais explosif doublé d'un plaidoyer pour les travailleuses du sexe, le tout saupoudré d'un humour décapant: c'est le programme d'Anora, Palme d'or du dernier Festival de Cannes. Un film qui pourrait se tailler la part du lion à la prochaine cérémonie des Oscars grâce à l'énergie de son actrice principale, Mikey Madison.

Décrit comme un Pretty Woman punk et trash, ce film de 2h18, mené tambour battant, commence comme un conte de fées. Anora (Mikey Madison), une escort girl dans un club miteux de New York, rencontre Vanya (Mark Eydelshteyn), le fils d'un richissime oligarque russe.

Anora connaît des bribes de russe: sa grand-mère, immigrée aux États-Unis, n'a jamais appris l'anglais. On lui confie le client. Elle parvient à lui prendre son numéro. Ils se revoient. Anora découvre l'argent à ne pas savoir qu'en faire, une vie de fête et d'insouciance.

Les parents de Vanya étant restés en Russie pour affaires, ils confient au prêtre de l'église orthodoxe locale le soin de garder un œil sur Vanya. Mais lorsque Anora et Vanya tombent amoureux et décident de se marier à Las Vegas, les parents tentent d'intervenir.

Alors qu'un trio de mafieux envoyés par les parents de Vanya débarquent chez lui pour annuler cette union, celui-ci prend la fuite, laissant Anora seule entre leurs mains. Commence alors une course-poursuite dans les méandres de la communauté russophone de Coney Island.

"Un film d'humanité"

Sean Baker avait abordé un sujet similaire dans ses précédents films Tangerine, The Florida Project et Red Rocket. Des œuvres qui mettent en scène des personnages vivant en marge de la société, débordant d'humanité. Mais avec Anora, il livre son film le plus comique à ce jour et emprunte des chemins inattendus.

"Ce film est magnifique, empli d'humanité (...) Il nous a brisé le cœur", avait déclaré en mai dernier le président du jury et réalisatrice Greta Gerwig avant de lui remettre sa Palme d'or.

"Nous sommes tous fascinés" par le travail du sexe, avait confié Sean Baker à l'AFP lors du Festival de Cannes. Lors de son discours de remerciement, le réalisateur avait dédié son film "à toutes les travailleuses du sexe". Avec Anora, il veut changer les regards sur ces personnes "injustement stigmatisées".

Le réalisateur entend "explorer à l'infini" cette thématique, déjà abordée dans quatre autres de ses films. S'il ne veut pas se "contenter de faire une histoire de "prostituée au grand cœur", il préfère explorer dans Anora la complexité des personnages. Et montrer la manière dont Anora va tenir tête aux puissants de ce monde.

À l'inverse de nombre de personnages féminins au cinéma, "Anora a son pouvoir, elle en est consciente, et garde le contrôle même quand le monde s'abat sur elle", avait insisté Sean Baker à Cannes. Loin d'être effrayée par le pouvoir des oligarches, Anora ridiculise ce monde d'hommes corrompu par l'argent.

Le personnage est magnifié par Mikey Madison. Pour beaucoup de critiques, cette comédienne âgée de seulement 25 ans, découverte dans Once Upon a Time… in Hollywood et Scream 5, devrait figurer aux Oscars. Isabelle Huppert en est fan et trouve son interprétation "captivante", a-t-elle déclaré dans la revue Interview.

"Un rôle difficile"

Mikey Madison s'est plongée corps et âme dans ce personnage aux antipodes de ce qu'elle est. Elle s'est imprégnée de l'accent de Brooklyn et a rencontré de véritables travailleuses du sexe. "C'était très important pour créer un personnage réaliste", explique-t-elle à BFMTV. "Le personnage aurait été très différent si je n'avais pas pris cette décision."

Elle a aussi dû apprendre à parler russe et à danser comme une strip-teaseuse aguerrie. "Je n'ai jamais eu peur", assure-t-elle. "Je voulais qu'elle ait l'air d'une danseuse professionnelle et je n'avais que quelques mois pour me préparer. Je voulais que ça soit impressionnant. Je me suis mis la pression."

"Je fais confiance à Sean en tant que réalisateur", ajoute-t-elle. "J'étais prête à tout pour le personnage, à faire des choses vraiment folles. Je savais qu'il serait là pour me guider. C'était un rôle difficile. Je voulais sans cesse repousser mes limites. En tant qu'actrice, on ne doit pas avoir de limites."

Se surpasser

Un investissement qui a poussé Sean Baker à lui aussi se surpasser. "Les comédiens que j'avais choisis prenaient le film tellement au sérieux et ils étaient si géniaux que je devais être au taquet et donner le meilleur de moi-même. Je tournais le film en me disant que je ne voulais pas les décevoir."

Sa Palme d'or l'encourage à continuer dans cette voie. "C'est difficile partout dans le monde, et particulièrement aux États-Unis, de faire du cinéma indépendant. Vous pouvez parfois être tenté de prendre un chemin plus simple pour travailler pour un studio. Mais cette Palme d'or m'encourage à continuer à faire le même type de film."

Jérôme Lachasse avec Claire Fleury