Panne d'électricité: les Vénézuéliens engagés dans une course contre la montre pour sauver les vivres

Des personnes font la queue pour récupérer de l'eau potable à Caracas privée d'électricité depuis 3 jours, le 10 mars 2019 - Cristian Hernandez, AFP
Vicente Fernandez n'a pas entrouvert son congélateur depuis le début de la panne d'électricité qui a plongé le Venezuela dans le noir, jeudi après-midi. "J'ai peur que tout soit pourri", explique-t-il. Impuissants face à une crise d'une ampleur et d'une durée sans précédent, les Vénézuéliens se sont lancés dans une course contre la montre pour sauver les vivres qui leur restent, à domicile comme dans les restaurants.
"Je n'ai pas eu une minute de courant chez moi", reprend, résigné, Vicente, un commerçant de 54 ans en télécommunications. Le marché de Chacao, où il demande "un régime de bananes bien vertes", fonctionne dans la pénombre et sans les boucheries, poissonneries ou laiteries, fermées faute de glace.
Il a décidé de n'acheter que le strict nécessaire, et au jour le jour. Circonstance aggravante: les commerçants ne prennent plus que les dollars et les espèces, particulièrement rares au Venezuela. La plupart des transactions y sont devenues électroniques du fait du manque de billets disponibles, lui-même lié à l'inflation à huit chiffres.

"Qu'ils nous envoient les marines, pour une fois!"
Après avoir convaincu le vendeur qu'il lui transférerait l'argent sur son compte en banque, Vincente conclut: "Qu'ils nous envoient les marines, pour une fois!". Un appel à une intervention militaire américaine pour renverser le régime de Nicolas Maduro.
Comme pour les médicaments et les produits de première nécessité, les achats d'aliments sont de plus en plus limités dans ce pays pétrolier. Les denrées sont trop chères pour un salaire moyen, et manquent souvent. Le salaire minimum, 18.000 bolivars par mois, permet à peine d'acheter deux poulets.
"Aujourd'hui peu importe le prix, il faut manger. Et sortir de cet enfer. Ce gouvernement ne sert à rien, ils ont volé l'argent qui devait permettre la maintenance des infrastructures", affirme Vicente.
Déjeuners communautaires
Sans nier la gravité de la situation, qu'il attribue à un "sabotage" de la principale centrale fomentée par les Etats-Unis et l'opposition, le président Maduro a annoncé une distribution massive d'aide alimentaire, d'eau et d'essence pour ce lundi. Il a également donné ordre de secourir en priorité les hôpitaux, où des patients sont morts faute d'assistance selon les ONG - ce que nie par ailleurs le gouvernement.
Attablée dans son restaurant, sur un autre marché de Caracas, Libia Arraiz espère qu'elle ne perdra pas les vivres qu'elle garde au frais. Si le courant ne revient pas lundi, assure-t-elle, ce sera trop tard et la viande et les poissons stockés pour une semaine seront à jeter.
"Ah mon Dieu... Je n'aurai plus qu'à tout donner ou à les répartir dans la famille. Parce que vendre, impossible", raconte la sexagénaire, les yeux humides. Pour le moment, elle prépare des déjeuners communautaires: chacun apporte ce qu'il a et elle, elle cuisine.

"C'est l'oeuvre des mains noires qui agissent dans l'ombre"
"Une stratégie de survie", observe-t-elle. "C'est l'oeuvre des mains noires qui agissent dans l'ombre. Les gens de l'opposition disent qu'il faut ça pour qu'ils puissent prendre le pouvoir, mais tout le monde en souffre", ajoute-t-elle.
Pour elle, l'opposant Juan Guaido, autoproclamé président par intérim et reconnu par une cinquantaine de pays, est responsable du "sabotage" dont parle le chef de l'Etat.
"Il dit que le pire est encore à venir, que nous aurons d'autres surprises... Ces gens n'ont aucune conscience, ce sont des terroristes", poursuit-elle en rappelant que Juan Guaido a prévenu que des "jours difficiles" s'annonçaient.
"Comme au Moyen-Age"
Dans la boucherie où travaille Henry Sosa, la présence d'un cochon de 80 kilos peut paraître surprenante. Il s'apprête à l'emporter chez lui, dans le quartier de Guarenas, où l'électricité arrive encore par intermittence. Pendant qu'il charge l'animal, il raconte avoir déjà perdu la moitié de sa marchandise. "Elle n'est même pas bonne à donner, qui va manger cette viande pourrie!" déplore-t-il.
La panne géante permet aussi à certains de faire des affaires. Dans le quartier de El Cafetal, à Caracas, un camion vend des petits sacs de glaçons à trois dollars. María Ribas et d'autres payent avec les devises que leur envoient leurs proches, émigrés hors du pays. Selon l'ONU, ils sont 2,7 millions à avoir quitté le pays depuis 2015.
A côté, María Mendoza se dépêche de vendre les papayes et les pastèques qu'elle sera bientôt obligée de donner. Résignée, elle annonce le prix, en baisse. "Au moins je ne perds pas tout mon investissement", soupire-t-elle en pestant contre "le sabotage et l'embargo des Etats-Unis".
Alors qu'elle emporte sa glace, Maria Ribas commente: "On est comme au Moyen-Age".